Nos Occupations : des mécanismes humains mis en scène au coeur d’un réseau clandestin du 14 au 28 mai au Théâtre des Abbesses à Paris

Nos Occupations
Nos Occupations

Auteur de Nos Occupations, David Lescot met lui-même en scène cette pièce qui s’attarde sur le pourquoi et le comment de l’action politique en restituant dans un premier temps les mécanismes de survie collective à l’œuvre à l’intérieur d’un réseau clandestin pour ensuite s’intéresser à ce qu’il reste de sens, individuellement, après la dissolution de celui-ci.

« Très lent à l’intérieur et très rapide à l’extérieur. »

En pleine lumière, Le Tanneur et ses cinq acolytes mettent en situation les modus operandi mystérieux et les modes de communication sibyllins qu’ils ont minutieusement mis au point en vue de dissimuler leur action.

Noms d’emprunt, rencontres codées, mots de passe, lettre scellées…

Si l’on pense tout de suite à la Seconde Guerre Mondiale et aux réseaux clandestins qui s’organisèrent naguère sous l’Occupation, David Lescot explique que sa pièce n’est pas une reconstitution historique mais plutôt un questionnement sur l’acte même de résistance, sans restreindre son espace-temps à La Résistance.

On ne saura donc pas contre qui ni contre quoi s’est mis en place ledit réseau clandestin, ni à quel endroit, à quelle époque, ni encore pourquoi.
Le contexte est aux abonnés absents car l’accent est mis sur le fonctionnement interne du réseau et sur les relations humaines qui se font et se défont au sein de ce microcosme de situation sans cesse menacé de dissolution et qui doit composer aussi bien avec l’ennemi extérieur qu’avec les « crises humaines » qui surviennent de l’intérieur.

Sur scène, des pianos. Certains en état de marche, d’autres en morceaux. Par terre, partout, des morceaux de pianos.
Evoluant en duos, les six acteurs du réseau interprètent en « virtuoses » leurs partitions, se livrant à une sorte de ballet choral, lequel pas à pas et mot à mot se déroule avec la précision d’une mécanique bien huilée sur des airs de piano.

« De quelle manière, en cryptant, en décryptant, le pianiste occupe-t-il le temps ? »
C’est la question à laquelle s’est attelé à répondre David Lehman, qui interprète le pianiste du réseau (pianiste étant le terme utilisé pour désigner la personne en charge de coder et décoder les messages sur sa machine à écrire).

Reprenant à son compte le rythme de rapidité et de lenteur imposé à ses comparses par le personnage du Tanneur, David Lehman compose son propre tempo qui rend sonore l’impression que le temps, sans cesse, se tend entre les deux vitesses de l’action et qu’en pianotant son point de vue personnel le pianiste prend part, à sa manière, à la pièce.

« J’étais, je suis, je serai. »

La seconde partie de la pièce met en scène un autre espace-temps ; Le Tanneur a convié les survivants du réseau à se réunir dans une salle de réception.
La réunion d’anciens se voit très vite « envahie par l’espace mental » des uns et des autres, les leitmotiv répétés au piano ravivant les souvenirs de ce qu’ils ont été au sein du réseau : un leader, un leurre…

Alors qu’ils arrivaient jadis à s’entendre en utilisant un système de communication crypté à l’extrême, les résistants retraités découvrent qu’ils ne parviennent pas à entrer en relation en dehors du cadre des automatismes codés d’un état de danger appartenant désormais passée. Restent à présent des étrangers.
Tombe la conclusion, qui sonne comme une résolution : On ne se reverra pas, et on survivra.

C’est surtout la première partie, avec ses duos tout en gestes et langages codés qui donnent dans l’abstraction mathématique et finissent par ressembler à une étrange musique, qui retient l’attention.
On s’ennuie un peu au cours de la seconde partie qui s’étire mélancoliquement tandis que les individus au présent se renvoient les uns les autres leurs interprétations respectives d’un passé persistant qu’ils ont vécu collectivement.
Reste que la belle mécanique de la musique et des mots, la scène parsemée de pianos, la drolatique absurdité qui colle aux mises en situation ainsi que le questionnement pertinent sur les raisons d’être de l’action en réunion contribuent à faire de Nos Occupations une pièce à voir, au moins par curiosité.

Nos Occupations, une création de la compagnie Kaïros, sur scène du 14 au 28 mai au Théâtre des Abbesses à Paris.

Distribution : Scali Delpeyrat, Sara Llorca, Céline Milliat-Baumgartner, Grégoire Oestermann, Norah Krief, Jean-Christophe Quenon, Damien Lehman

Texte et mise en scène : David Lescot
Assistante à la mise en scène : Charlotte Lagrange
Scénographie : Alwyne de Dardel
Ecriture chorégraphique : Rozer Montlló Guberna
Composition musicale : Damien Lehman
Lumière : Laïs Foulc
Costumes : Sylvette Dequest

Crédits photographiques : Patrick Pauvret