L’Annonce faite à Marie : un opéra de paroles donne de l’âme au drame rural et surnaturel de Paul Claudel

Judith Chemla
Judith Chemla

« Où est-ce que j’ai été la chercher, cette grande histoire que commémoraient trois fois par jour aux différentes étapes de la journée les trois coups au-dessus de ma tête de la Salutation évangélique ? Cette relation déchirante de quelque chose qui ne fut jamais et qui à jamais ne cessera plus d’arriver ! »

Cette Salutation évangélique, Paul Claudel la raconte à partir d’un drame domestique :

Violaine est promise par son père à l’homme Jacques Hury et Mara sa sœur en conçoit dès lors de la rancœur.
Mais si Mara a le cœur mauvais, Violaine l’a pour sa part si cristallin que celui-ci va lui inspirer un acte de compassion déraisonné en la poussant à donner un baiser d’adieu à Pierre de Craon, bâtisseur de lieux saints dont elle fut autrefois désirée.
Malade et par-là même maudit, c’est la lèpre rougissant son corps et son esprit que Pierre de Craon part en pèlerinage pour la Ville Sainte avec l’espoir d’y être sauvé. Il y rencontrera le père des deux sœurs, laissées seules à leur vie soi-disant facile en compagnie de leur mère et du nouvel homme de la famille.
Déchue dans sa chair à son tour et reniée par son mari, Violaine se retranche du temporel et s’en va habiter les ténèbres d’un antre lointain et solitaire au sein duquel elle prend pour époux le spirituel.
Ayant toute confiance en sa vertu, Mara viendra plus tard trouver Violaine afin qu’elle ressuscite le fruit de son union avec le fiancé de la fratrie Jacques Hury. Par un don miséricordieux, Violaine priera Dieu pour Mara laquelle, devenue mère et apaisée par le pardon, se verra annoncer, le miracle advenu, la venue en elle de l’annonce à Marie.

C’est dans la ruralité de son Tardenois natal que la pièce de Paul Claudel s’enracine pour s’élever en va-et-vient vers un drame sur le terrain de la mysticité.
Le ciel fait irruption partout, acte après acte alors que possédée par la sainteté, Violaine laisse entendre à Mara ce qu’il y a de divin dans l’humanité.

Judith Chemla
Judith Chemla

Son Annonce faite à Marie « pour la scène », Paul Claudel l’a pensée comme un « opéra de paroles », un envoûtement de sons sur lesquels le sens s’appuie pour prendre son envol, avec pour finalité un théâtre musical authentique marqué par quelques instants sacrés s’incarnant dans la simplicité pure d’une prière enfantine ou d’une comptine fredonnée.

Le metteur en scène Yves Beaunesne a travaillé sur la troisième version, celle de 1911, de la pièce de Paul Claudel et suivi l’intuition du poète catholique qui voulait voir naître d’elle une version lyrique.

L’interprétation qui en ressort sonne comme une sorte de « chant-parlé » au sein duquel les voix et les violoncelles se renvoient en écho la partition toute en « hallucinations » de cette cruelle et belle passion surnaturelle qui titube un peu pourtant entre un parler aux liaisons malheureusement volontairement avalées et un chant qui lorsqu’il s’élève tutoie la divinité, avec une mention spéciale pour Judith Chemla, qui apporte son supplément d’âme à La Jeune Fille Violaine si fragile et si forte à la foi(s).

En même temps présentes et en retrait, les deux musiciennes jouent par interactions voilées avec le jeu des acteurs jusqu’à entrer en résonance avec ces derniers alors que tinte à pleine volée l’Angelus sur une scène dénudée qui laisse tout l’espace à la Salutation pour se donner à entrevoir entre les murs en conversion de la salle de théâtre qui évoque par sa majesté en décomposition l’aura d’Orient Occidenté qui se dégage des toiles de Gustave Moreau.

Il y a du Lou Andreas-Salomé dans ce commerce intime que tient cette Amette martyrisée avec le Verbe invisible sous le manteau révélateur de la cécité.
Pleine de grâce, cette « grande histoire » est un dialogue entre le rural et la sainteté qui s’écoute comme on récite un versicule, un répons et un Ave.

L’Annonce faite à Marie, du 24 juin au 19 juillet au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris.

Distribution : Damien Bigourdan, Judith Chemla, Thomas Condemine, Jean-Claude Drouot, Fabienne Lucchetti, Marine Syf

Violoncelles : Myrtille Hetzel, Clotilde Lacroix

Texte : Paul Claudel
Mise en scène : Yves Beaunesne
Dramaturgie : Marion Bernède
Scénographie : Damien Caille-Perret
Lumières : Joël Hourbeigt
Création musicale et partition : Camille Rocailleux
Maîtrise de chant : Haïm Isaacs
Création vidéo : Mammar Benranou
Costumes : Jean-Daniel Vuillermoz
Maquillages : Catherine Saint-Sever
Assistanat à la mise en scène : Marie Clavaguera Pratx, Amélie Chalmey
Régie générale et son : Olivier Pot
Régie lumière : Pascal Laajili
Régie plateau : Eric Capuano
Habillement, coiffure et maquillage : Catherine Bénard

Crédits photographiques : Guy Delahaye