Phèdre et la fureur d’aimer revisité par Jérémie Niel

Phèdre de Jérémie Niel@Julie Artacho
Phèdre de Jérémie Niel@Julie Artacho

Après avoir effectué une tournée sur les scènes françaises, la pièce très attendue, a connu sa première dans la salle de l’Usine C ce mercredi soir. Cette nouvelle oeuvre de Jérémie Niel nous surprend tout à fait car si l’on reconnait la signature du créateur, on se laisse étonné par la reprise ou l’abord de cette oeuvre emblématique.

Crée en 2014, la pièce place le mythe de Phèdre sous l’oeil du public contemporain et essaye de faire communiquer ces deux mondes en pointant du doigt des éléments intemporels. Le prisme de Jérémie nous emmène de force par la suite. D’abord on souhaite que la scène de remplisse car toute l’action semble se passer autour et laisse celle-ci trop sobre. Puis celle-ci se remplit de cris, de pas pressés, de pleurs, de tremblements incontrôlables et on souhaite que cela cesse.

En suivant les personnages d’Hyppolyte, de Phèdre et de Thésée en proie à la faute, la honte, la haine, la vengeance et la culpabilité, le metteur en scène et auteur aborde le thème de la morale. Selon Jérémie Niel « Le passage de la morale religieuse à la morale laîque a développé beaucoup d’incertitudes. Les règles sont plus floues aujourd’hui. »

Marie Brassard, Benoit Lachambre et Emmanuel Schwartz nous présentent cette famille éponyme. La pièce regorge de signes distinctifs qui ont fait la renommée de Jérémy Niel et qui aime à défaire les codes théâtraux. Des les premières minutes, on se retrouve plongé dans cette atmosphère de clair obscure. Le spectateur contemporain, joué par Mani Soleymanlou, est assis dans le public et descend les marches pour explorer et finalement prendre part au décor. On suit chacune de ses émotions au rythme de sa respiration qui est omniprésente tout au long de la pièce, amplifiée par le micro.

Celui-ci observe, titube, s’immisce dans la relation des personnages de légende autant que le spectateur le guette et observe chacune de ses réactions.On aurait aimé plus de dialogue entre l’observateur moderne et les personnages de légende. Ou l’impuissance du personnage nous donne l’envie d’entamer le dialogue à sa place.

Ainsi, si le metteur en scène a fait sa propre traduction des textes de Racine, Ovide, Sénèque et de Dante, le silence se trouve tout de même bien assis, entrecoupé de murmures, voix inaudibles, mâchouillées ou de bribes de conversation.

Du reste la mise en scène est tout à fait excellente, sur ce décor très sobre, les personnages se plaignent, se bousculent, souffrent. La voix off est absolument irrésistible, tout comme le bruit des pas dans la boue ou sur la neige est lui aussi mis en exergue avec ingéniosité.

Quelques informations sur le metteur en scène

Depuis quelques années, Jérémie Niel occupe une place à part dans le paysage théâtral québécois. Le brillant auteur et metteur en scène, qui a suivi une formation au Conservatoire d’art dramatique de Montréal (2002-2003), a fondé en 2005 sa propre compagnie de production artistique : Pétrus.

Au sein de cette structure souple et au fil de la création d’œuvres scéniques saisissantes, il poursuit une rigoureuse démarche d’exploration formelle où est convoquée la sensorialité du spectateur. Sculptant la pénombre, déployant, dans une temporalité dilatée, de saisissants paysages sonores transpercés de silence, il fait de chaque pièce un univers hypnotique, nimbé d’une douce étrangeté. Poète de la réalité décalée, décentrée, il s’attache à révéler, en sondant l’envers des mots, les zones d’ambiguïté et d’incertitude de la psyché humaine.

Plusieurs des productions qu’il a signées ont suscité ici un vif intérêt. Parmi celles-ci, se démarquent deux déstabilisants diptyques : Son visage soudain exprimant de l’intérêt, d’après des textes de Franz Xaver Kroetz et de Philippe Ducros (2007), et Tentatives, qu’il a écrit et mis en scène (2009). Récemment, il livrait une envoûtante adaptation du roman La concordance des temps d’Evelyne de la Chenelière (2013), récit vertigineux d’une impossible fusion amoureuse. Il est de retour cette année au FTA, quatre ans après y avoir présentéCendres, d’après un roman d’Atiq Rahimi (2010), un spectacle à la poésie âpre, tissé de silence et d’indicible.

Le spectacle sera également joué dans le cadre du FTA les 26, 27 et 28 mai prochains.

Site officiel de l’Usine C

Crédit Photos: Julie Artacho et Mathieu Roy