Poutine pour emporter le très réussi premier roman de Marie Eve Gosemick

Marie Eve Gosemick : Poutine pour emporter © photo: courtoisie
Marie Eve Gosemick : Poutine pour emporter © photo: courtoisie

La crise de quart de vie. Moins célèbre dans l’imaginaire que celle de l’adolescence ou celle de la quarantaine elle est pourtant bien présente dans nos sociétés occidentales. Luxe, diront certains, des enfants hyper scolarisés des pays riches, qui n’ont pas pu ou pas eu à entrer réellement dans la vie active avant la fin du premier quart de leur vie, soit le milieu de la vingtaine. Elle ne les frappe pour autant pas moins durement d’autant que la crise économique n’en finit pas d’en finir et que les générations précédentes qui tiennent et s’accrochent aux rênes des pouvoirs, leur laissent bien peu de place pour se construire et jouer un rôle dans le monde qui les entoure et qui devrait plutôt les inclure. Leur univers est fragile. Ils croyaient être maîtres de leur destins parce qu’ils avaient quitté la vie en région pour faire des études universitaires, obtenus un diplôme, construit un réseau de copains, eu des aventures amoureuses auxquelles ils avaient mis fin sans heurts et blessures apparents, et s’étaient vus proposer, le mirage de la mondialisation aidant, des contrats à l’étranger. Mais il suffit d’un retour dans ce que l’on croyait son chez-soi après une rupture de contrat unilatérale et abrupte pour que la réalité s’impose comme un retour à une case départ impossible : Fred, enfant de Rimouski, devenu jeune Montréalais avant de partir en France comme consultant en informatique avant un retour anticipé pour cause de réduction de personnel vit ce choc de plein fouet : « …Non mais ils font comment les gens ? Comment vous faites? Personne ne semblait comprendre ma question. – C’est quoi la formule?- si on la savait on t’la dirait! Olive commençait à perdre patience. Et moi je n’étais pas à la veille de trouver le mot de passe à la vie adulte. Un mot de passe d’autant plus difficile à trouver que le retour ne se fait pas comme on se l’imaginait. Comme si rien ne s’était passé et qu’il suffisait de se lover dans le mode de vie d’avant pour rebondir repartir de l’avant. « … Olive qui avait voyagé …m’avait expliqué que c’est un pattern quand on revient d’un long séjour à l’étranger : On va vivre chez des proches qui s’inquiètent de notre besoin d’exploration, on reprend l’emploi peu glorieux qu’on avait avant notre départ on revoit des amis guère intéressés à entendre parler de nos aventures des mille et une nuits, on rappelle la fille qui ne nous appelait déjà pas. On est déçu parce qu’on s’était imaginé que, pendant qu’on était parti les gens avaient évolué eux aussi. Pour moi le retour à l’université signifiait changer ma carrière de direction, rencontrer des gens passionnés, apprendre des trucs nouveaux pour m’inspirer, Ce que j’avais en tête ressemblait plutôt à reset… Au fond je voulais juste aller me perdre dans le bois… À l’instar de la poutine qui semblait un mélange improbable pour les touristes en visite au Québec, ma vie était un chaos pour plusieurs autour de moi… »

C’est ce constat douloureux qui pousse Fred à chercher autre chose et à adopter, en fin de compte, la solution proposée par ses copains qui peinent à l’aider à reprendre pied : « …Pourquoi tu n’irais pas en Colombie? Tant qu’à mener une vie instable, je ferais peut-être mieux de partir dans une vraie zone de turbulence. La Colombie n’était pas réputée facile, mais la vraie vie non plus finalement… « . Turbulent, ce road-trip que Fred entreprend à la recherche de lui-même, le sera tant sur le plan physique que moral. Au hasard des rencontres, des environnements, des expériences souvent extrêmes, il vit et parfois subit des évènements tels une caisse de résonance à ses propres turbulences. Un accident ultime met une fin abrupte à ce parcours souvent chaotique autant sur le plan physique que matériel et moral mais dans lequel peu à peu au hasard des rencontres il avait commencé à trouver une certaine sérénité. Le retour à Montréal pourtant n’est pas simple à nouveau car la vie sans lui a continué et s’est, pour certains de ses proches peut-être lassés de l’attendre, construite sans lui. Et si ces derniers chocs n’étaient pas finalement le sursaut salutaire pour comprendre où est sa place, dans un projet, dans une construction de vie, loin des sentiers battus du pattern auquel il tentait en vain de s’identifier et de faire son trou.

Poutine pour emporter un roman très intéressant pour ce portrait qu’il nous propose de ces jeunes de la génération Z qui entrent de plein pied actuellement dans la crise de quart de vie à défaut de pouvoir trouver leur pleine place dans la société des adultes. Les passages et le regard de Fred et de ses amis sur les premières expériences de travail puis le retour de celui-ci à Montréal, une première fois après le séjour en Europe puis une seconde fois à la fin de son road trip sont les plus percutants. L’auteur sait si bien mettre les mots sur ces expériences en demi teintes, en relative amertume sur la vie et sur ce que la société, notre société a à offrir à ces jeunes, que l’on a vite fait de traiter de chokeux comme pour s’éviter de se poser des questions. Le récit du voyage en Colombie est riche d’expériences notamment humaines, même si on peut peut-être parfois regretter le côté un peu plus convenu d’une Colombie de la drogue et des aventures, sensuelles parfois jusqu’à l’extrême. L’auteure, Marie Ève Gosemick nous permet ainsi de s’autoriser à dire que la vie n’est pas si simple pour ces jeunes et que le but ultime n’est pas forcément pour eux de « rentrer dans le moule » mais bien plutôt de trouver la voie juste et en accord avec leur personnalité qui leur permettra sans se renier … d’être.
Soulignons aussi le talent de cette jeune auteure qui parvient, de plus, si bien à écrire au masculin. Un choix souvent difficile ou périlleux pour un(e) auteur(e) que de prêter à son narrateur un genre qui n’est pas le sien surtout dans un roman aux thématiques si en lien avec les vécus d’un individu et qui est ici parfaitement maitrisé sans aucun stéréotype.

À propos de l’auteur

Marie Eve Gosemick © Michel Paquet
Marie Eve Gosemick © Michel Paquet

Initiée tôt à l’adaptation culturelle, Marie Eve Gosemick a parcouru plus de trente pays et parle presque cinq langues. Professionnelle de l’administration des affaires, elle a eu l’occasion de travailler au Mexique, en France, en Suisse, au Ghana, au Cameroun, en Côte d’Ivoire et aux États-Unis. Lorsqu’elle n’écrit pas, elle voyage, travaille à son compte, danse et court. Poutine pour emporter est son premier roman.

 

 

 

Poutine pour emporter
Marie Eve Gosemick
Roman
Couverture, mise en page et Grille intérieure : Axel Pérez de Leon
Éditions Stanké : http://www.editions-stanke.com
Groupe Librex, Québécor Média
Version papier : 24,95$. ISBN : 9782760411739
Version électronique ; 16,99$. ISBN : 9782760411777
Parution : septembre 2015
240 pages
© photo: courtoisie
© photo de l’auteur : Michel Paquet