La trahison des corps, le roman de Stéphanie Deslauriers pour vivre pleinement jusqu’à la fin

Stéphanie Deslaurier La trahison des corps © photo  : courtoisie
Stéphanie Deslauriers La trahison des corps © photo : courtoisie

Camille a toujours connu, tout au long de sa vie, deux vies : une vie de contrainte façonnée pour elle par les autres ou les évènements et une vie de liberté, de créativité, qu’elle a pu mener quand elle a accepté de s’écouter, de répondre à ses véritables désirs, à sa véritable personnalité. Tantôt, ces deux vies se sont chevauchées. Tantôt l’une a pris le dessus sur l’autre. Trop souvent c’est la vie de contrainte qui a dicté ses impératifs. Ces contraintes ont pour nom une mère peu aimante qui préfère son frère, ce jeune frère qu’un accident de la route va tuer à l’aube de l’adolescence imposant un long deuil dont il est peu convenu aux yeux de ses parents de sortir. Un mariage « mal assorti »comme on dit avec Mathias ce grand avocat obnubilé par son travail, sa réussite sociale, et sa grande demeure luxueuse d’Outremont et dont inexorablement Camille s’éloigne. Une existence où elle croyait «…Si fort que c’était ainsi la vie. Qu’on ne pouvait pas tout choisir, qu’on devait « faire avec » que je n’étais pas faite pour l’Amour, l’Épanouissement, que je n’étais pas une des gagnantes du gros lot…J’acceptais sans broncher cette rage sourde qui se tapissait dans mes entrailles depuis toujours, me semblait-il. Cette rage que je croyais à tort maîtriser mais qui aurait pu sortir à n’importe quel moment …». Heureusement pour vivre, exister, Camille a l’Art, la peinture qu’elle pratique avec passion quand on ne parvient pas à la persuader d’abandonner, ses élèves auxquels elle transmet son art et sa passion et qu’elle voit s’épanouir et surtout sa fille Jade-Anaïs. Ces trois piliers de son être vont lui permettre de cheminer, de prendre confiance en elle, jusqu’à accepter son amour pour Jacinthe et de quitter son mari. Un amour grâce auquel elle va oser, enfin, cesser «… de plaire à tout prix à d’éternels insatisfaits… » et croire «…qu’un jour je me sentirais en paix. Qu’un jour quelqu’un m’aimerait réellement pour ce que je suis. Et que cette personne serait moi. Et qu’à partir de ce moment, l’acceptation d’autrui ne deviendrait plus une nécessité mais un petit extra …».

Huit années de plein bonheur, d’épanouissement vis-à-vis d’elle-même, vis-à-vis de son amour, vis à vis de sa fille, vis-à-vis de ses élèves. Huit années jusqu’à ce que le cancer envahisse sournoisement sa vie: « …Alors que je resserrais mon foulard autour de mon cou, mes anticorps déposaient les armes. Moi je me sentais vivante. Les feuilles tournaient au rouge, au jaune et à l’orangé. Certaines tombaient sous les bourrasques, D’autres, plus frêles, n’avaient besoin que d’une légère brise. Comme moi. Mais je ne le savais pas… ». Un cancer généralisé, incurable. Pendant un certain temps Camille va complètement subir cette lente marche de plus en plus douloureuse et inéluctable vers une mort qui va triompher d’elle et triomphe déjà en la privant de ses derniers moments et en décidant pour elle quand sa vie se terminera. Jusqu’à ce que Camille décide que «…Voilà moi je l’utilise, mon droit de véto. Je mourrai quand je le déciderai. Le 14 avril, tiens, Jour de naufrage du Titanic. Je coulerai moi aussi engloutie par les eaux glacées… ». Les gens «…croient à tort que c’est le cancer qui m’emportera ce sera plutôt moi qui m’emporterai. Et cette pensée me soulage, me ragaillardit …Moi qui croyais être fatiguée de vivre, je l’étais plutôt de ne pas vivre…» Cette nouvelle force qui l’envahit Camille décide d’en profiter pleinement : « …Tout d’un coup une révélation : J’avais une date d’expiration. Nous en avions tous une. Seulement je savais quand viendrait mon tour. Et j’avais encore plus envie de vivre. De consommer la vie. Comme une pinte de lait; quand on voit la date d’expiration approcher on trouve n’importe quel prétexte pour en prendre… »

Au dernier jour de sa vie, avant l’acte final Camille revit, mêlant le passé et le moment présent, sa vie, ses choix, sa route tortueuse et torturée vers la plénitude avec Jacinthe, puis le cheminement dans la maladie jusqu’à la décision ultime et ensuite jusqu’à ce jour de sa mort, décidé, choisi. Un secret qu’elle n’a pas partagé par amour pour ses proches, et pour aussi profiter d’eux aussi sans ce compte à rebours implacable et imposé qui aurait tout perverti.

La trahison des corps est un très beau livre sur…la vie. L’auteure, Stéphanie Deslauriers nous fait avec bonheur mais aussi délicatesse, tendresse et pudeur pénétrer dans l’univers et l’intimité de la vie de cette femme : Sa première résilience grâce aux bonheurs de l’Art, de l’enseignement, de l’amour maternel jusqu’à celui, total, de l’amour partagé. Les douleurs, les siennes comme celles de ses parents, mais surtout de sa fille et de son amour face à la maladie et le corps qui vous trahit. Son ultime résilience face à la mort annoncée. La force donnée à ce dernier jour de vie…
Comme Camille, avec Camille nous explorons tour à tour, la rage contre la maladie, la douleur devant la vie subie mais aussi surtout les joies de la vie, les bonheurs de l’amour, de la maternité ou de l’enseignement, l’épanouissement de la création artistique, la force du choix. Un livre comme un hommage à la vie triomphante toujours et encore, malgré tout, malgré la fin ultime, inéluctable, parce que : « …Je n’ai eu qu’à penser une nanoseconde à ce que je voulais laisser en héritage à ma fille pour me ressaisir : Hors de question que les images qui resteront de moi soient celles d’une femme rongée par la peur, le désespoir et la mort. La plus belle chose que je pouvais lui laisser c’était une mère heureuse. Une femme heureuse. Ce que j’étais, ce que je suis toujours… « 

Stéphanie Deslauriers ©  : Sarah Scott
Stéphanie Deslauriers © : Sarah Scott

À propos de l’auteur
Psychoéducatrice, Stéphanie Deslauriers a créé en septembre 2010 un blogue à succès intitulé Ensemble, maintenant. Elle a collaboré avec La Presse à quelques reprises et a participé à plusieurs émissions pour aborder des sujets en lien avec sa profession. Elle a remporté le Grand Prix de littérature adulte de la Montérégie pour son premier roman, L’Éphémère, paru en 2014.

La trahison des corps
Stéphanie Deslaurier
Roman
Conception de la couverture : Chantal Boyer
Éditions Stanké : www.editions-stanke.com
Groupe Librex, Québécor
ISBN : 9782760411647 édition papier
136 pages
22,95$
ISBN : 9782760411692 (PDF)
16.99$; 224 pages
Parution : septembre 2015

© photo de la couverture : courtoisie
© photo de l’auteure : Sarah Scott