Si les oiseaux… ou le viol des femmes dans les grands conflits de la planète

Si les oiseaux… © Maxime Côté
Si les oiseaux… © Maxime Côté

Si les oiseaux…, la pièce écrite par Erin Shields et présentée au Théâtre Prospero, dans une traduction de Maryse Warda avec une très belle mise en scène de Geneviève L. Blais, est plus qu’inspirée de l’histoire de Procné et Philomèle dans les Métamorphoses d’Ovide.

Au cœur du livre VI de la fameuse œuvre du poète antique, en effet, on peut lire sur quelques pages les métamorphoses des trois principaux protagonistes de ce récit des plus tragiques. Térée, le sanguinaire roi de Thrace est transformé en huppe, un oiseau – explique Ovide – dont les plumes de la tête ressemblent à des armes de guerre. Sa femme Procné et la jeune sœur de celle-ci, Philomèle, sont aussi métamorphosées en oiseaux, peut-être un rossignol et une hirondelle si l’on en croit d’autres versions du mythe antique…

Térée est fils d’Arès, le dieu de la guerre. Aussi n’aime-t-il que les batailles où il excelle en se montrant d’une cruauté immense, tant à l’égard des soldats ennemis qu’il tue ou qu’il soumet, qu’à celui des femmes qui satisfont ses propres désirs et ceux de ses hommes. Les viols de femmes sont la partie opaque de bien des conflits de la planète. La pièce Si les oiseaux insiste sur la difficulté voire l’impossibilité de dire des femmes violées. Avec une grande subtilité, l’œuvre brise le silence de ces crimes, qui en mêlant honte et souffrance, ne peuvent être dits ni traduits par des mots.

Même avec ses quelques clins d’œil contemporains, la pièce conserve tout de la tragédie grecque antique.

Si les oiseaux… © Maxime Côté
Si les oiseaux… © Maxime Côté

Dans de très beaux décors, les personnages principaux jouent leurs rôles entourés d’un chœur de femmes oiseaux – dame-oiselles – qui chantent et racontent les sévices dont elles et d’autres femmes ont été les victimes. Leurs robes ressemblent à des plumages colorés par leur sang. De très fortes émotions se dégagent de ce spectacle qui fait usage de l’eau comme lieu traditionnel du bain des femmes, de fruits juteux et rouges (les grenades) comme le sang de l’amour et de la mort, de drap/tapisserie qui révèle l’horreur du crime dont a été victime la jeune Philomèle et qui va déclencher la vengeance de sa sœur… Tout un ensemble de belles trouvailles d’une esthétique forte qui donnent le frisson au spectateur d’un bout à l’autre de la pièce. Les acteurs sont brillants, la pièce est bien menée, la conclusion tragique.

Si le projet de pointer les viols de femmes dans les grands conflits de la planète – Nankin (1937), Berlin (1945), Bangladesh (1971), Bosnie-Herzégovine (1992-95), Rwanda (1994) – et la difficulté pour les victimes de les dénoncer est des plus louables, je me suis demandée si l’histoire des deux sœurs Procné et Philomèle était la plus adaptée à cette cause. Sans doute la symbolique de la langue coupée dit bien l’indicible de ces crimes. Mais Philomèle transformée en Médée, meurtrière par vengeance de son propre enfant, m’a personnellement laissé un goût amer… Le spectacle en tout cas donne à réfléchir, et il n’est pas seulement esthétiquement beau, fort et bien interprété.

Si les oiseaux. Du 13 au 31 octobre au théâtre Prospero à Montréal

Texte Erin Shields

Traduction Maryse Warda

Mise en scène Geneviève L. Blais

Production Théâtre à corps perdus

Avec Florence Blain Mbaye, Pascal Contamine, Catherine De Léan, Isabel Dos Santos, Jean Maheux, Marie-Ève Milot, Marie Pascale, Estelle Richard, Alice Tran

Informations : http://www.theatreprospero.com

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