180 jours et des poussières une plongée au cœur de la réalité des enseignants

Julie Marcotte 180 jours et des poussières © photo : courtoisie
Julie Marcotte 180 jours et des poussières © photo : courtoisie

Olivia est enseignante en première année de primaire. Un métier qu’elle adore, pour lequel elle a la vocation, comme on dit. Parallèlement, sa vie de famille, entourée de l’amour et de l’affection de son mari, Charles, et de ses enfants, a tout pour être épanouissante même si elle est un peu trépidante avec ses jumeaux de quatre ans. Pourtant, en cette veille de rentrée scolaire de septembre, Olivia sent que le bateau dérive, que l’enthousiasme et l’excitation du début d’une nouvelle année, de nouveaux élèves à rencontrer et guider sur la voie des apprentissages ne sont pas au rendez-vous. La fatigue accumulée de s’est pas envolée durant le repos estival, et surtout le doute et un sentiment d’impuissance sont là, sournois. Et si ce « décrochage » qu’elle avait vécu l’année précédente devait rythmer à nouveau cette année qui s’ouvre, miner son rapport à son travail, à ses élèves mais aussi à son mari, son couple, sa famille? « …Je me suis toujours sentie épanouie devant ma vingtaine de petits apprenants…Mais cette fois c’est différent. L’angoisse l’emporte sur la magie. La dernière année a été difficile. Je l’ai terminée de peine et de misère, épuisée. Je me sens désormais usée. J’ai peur qu’un jour, le quotidien soit au dessus de mes forces…Mais plus que tout c’est mon impuissance qui m’effraie. Ce douloureux sentiment de ne rien pouvoir faire de plus. Ou de ne jamais en faire assez… ».

La vague risque de submerger, d’emporter Olivia et la chronique à la première personne de son année scolaire semble devoir confirmer cette menace. Tout semble se liguer contre elle dans sa volonté de surnager, de s’impliquer dans sa vie de famille, de mère attentive et d’épouse aimante, mais aussi d’enseignante soucieuse non seulement de la progression scolaire de ses élèves mais aussi impliquée dans les drames familiaux qu’ils vivent et amènent avec eux dans la classe l’entraînant comme dans une dynamique de l’échec. Une lente descente jusqu’à ce que, la résilience, de nouveaux arrivés dans la vie de l’école, la rupture d’autres, à bout, la patience aussi des êtres chers la fasse, peu à peu au rythme de ces 180 jours et des poussières d’ école que compte une année scolaire admettre que : « …Je ne suis pas Dieu… que je ne changerai pas leur (les élèves) vie…que j’en ai le pouvoir. Mais j’aurai été là, dans le meilleur et dans le pire de ce fragment de leur existence, j’aurai laissé mon empreinte…qu’au son de la cloche, je les relâcherai dans la nature, les rendrai à la vie qui me les a prêté… » Pour parcourir ce chemin salvateur un jour après l’autre elle devra réaliser que  «… Je ne veux pas tomber au combat…je ne veux pas faire partie des disparus. Le départ de ma collègue me motive à poursuivre mes démarches de « survie » entreprises depuis quelque temps. Savoir dire non, mettre mes limites, arrêter de vouloir plaire à tout le monde. Mais surtout lâcher prise, Cesser de croire que je vais tout changer…. J’ai un sacré travail à faire sur moi-même!!!…»

180 jours et des poussières est d’abord un très beau livre sur la résilience, la capacité de ceux qui se sentent plonger et perdre pied dans un monde qu’ils ont pourtant choisi à vouloir et pouvoir rebondir. Bien sûr la route est compliquée, il faudra probablement au passage abandonner quelques idéaux. Mais au final, c’est s’assurer plus sûrement un possible dans sa vocation et dans son projet de vie professionnel comme familial sans pour autant abandonner sa faculté de rêver à un meilleur pour être « …de retour dans le moment présent; l’avenir ne me fait plus peur »

Mais 180 jours et des poussières est aussi un formidable et nécessaire témoignage sur le métier des enseignants, leur implication, leur dévouement mais aussi leurs doutes, leurs impuissances, la dureté de ce qu’eux et leurs élèves vivent, et la vie dans nos écoles, bien loin des grands discours. En ces périodes où des ministres de l’Éducation ont osé dire que personne ne mourrait de n’avoir pas lu un livre, où les écoles tombent en lambeau, où l’austérité, non pardon la rigueur budgétaire, les frappent de plein fouet notamment dans les services aux plus vulnérables, où les conditions de travail des enseignants et des personnels des écoles, auxquels on demande d’être toujours et encore le rempart de la société tout en leur reprochant tous les maux de cette même société, se dégradent au risque de leur santé, il est salvateur que des documents comme ceux-ci existent même sous la forme romancée. Il est indispensable que nous les lisions. Même si, parfois aussi, le corporatisme enseignant pointe un peu son nez dans la mise en accusation et l’image projetée parfois un peu systématique, caricaturale et unilatérale et donc agaçante des parents comme des services sociaux. Ils sont dans ce roman un peu trop toujours défaillants sauf s’ils deviennent dans l’équipe parents- enseignant- et le cas échéant services sociaux les auxiliaires reconnaissants de l’enseignant par définition omniscient et donc à ce titre autorisés à porter des jugements, « …À être Dieu… ». Comme si les enseignants, à l’enseigne de Catherine dans le livre, pouvaient faire un burn-out sans conséquences sur ses élèves emportés dans sa tourmente, comme si ces enseignants que nous avons pourtant tous connus au moins une fois dans notre vie, en grande, voire très grande, insuffisance professionnelle et comportementale n’existaient pas ou ne bénéficiaient pas de l’omerta de leurs collègues. Comme si l’enseignante Olivia ne savait pas que la mère Olivia faisait comme, elle, souvent…ce qu’elle peut, bien loin souvent de ses principes et idéaux de ses débuts. Comme dit un proverbe : Je suis une mère imparfaite…les mères parfaites n’ont pas encore d’enfants!!!

Le choix d’un livre de bord annuel mois par mois dans lequel Olivia avance vers sa résilience au rythme de l’année est particulièrement judicieux. Il nous fait vivre cette symbiose qui fait cheminer ensemble l’enseignant comme personne et comme professionnelle les deux étant toujours si intimement liés au sein de l’institution scolaire face à ses élèves, leurs parents, ses collègues, sa direction, dans le cadre imposé d’une année scolaire. Le recours à l’auteur narrateur comme un journal intime nous fait plus que tout partager cette année cruciale et la réalité de ce monde de l’école. Avec l’auteure, elle-même enseignante, nous vivons, avec parfois des rires souvent des rages et des colères mais toujours avec la force de son humanité cet univers qui toujours nous fascine utilisateurs obligés comme enfants puis comme parents sans que toujours nous le comprenions bien. Elle nous fait saisir combien et pourquoi il est primordial pour que nos enseignants soient en harmonie avec leurs enjeux personnels mais aussi avec ceux que nous, en tant que société, nous leur fixons, pour que la magie de l’enseignement s’opère, que nous les accompagnions et leur permettions d’avoir les outils et les moyens pour pouvoir concilier, comme un tout indissociable, psychologiquement notamment, vie personnelle et vie professionnelle.

Julie Marcotte © photo : Geneviève Roger
Julie Marcotte © photo : Geneviève Roger

À propos de l’auteure
Julie Marcotte est auteure du livre « Trentenaire sans histoires ». Maman de trois enfants elle est elle-même enseignante depuis plus de 10 ans. Dans ce premier roman, elle s’inspire de son quotidien, nous permettant de ressentir le côté magique de la profession mais aussi la souffrance que plusieurs enfants portent chaque jour. Elle utilise les personnages de son récit pour mettre en évidence à la fois les préoccupations actuelles de plusieurs enseignants et celle des parents qui doivent concilier travail et famille sans s’épuiser.

180 jours et des poussières
Julie Marcotte
Roman
Les éditions de Mortagne : https://editionsdemortagne.com
Maquette de la couverture © Kinos, www.kinos.ca
358 pages
ISBN : 9782896625697, 24.95$
ISBN : 9782896625710; 18.99$
© photo de la couverture : courtoisie
© photo de l’auteure : Geneviève Roger