Dyptique théâtral autour de Marie-Lou au Théâtre de La Bordée

Léopold, Carmen et Marie-Louise
Léopold, Carmen et Marie-Louise

Pièce emblématique de l’œuvre de Michel Tremblay, A toi, pour toujours, ta Marie-Lou est porté pour la première fois sur ses planches du Théâtre de La Bordée. Avec cette adaptation contemporaine percutante, Alexandre Fecteau se démarque encore une fois comme un metteur en scène talentueux et créatif capable de faire vivre la pièce.

Écrite en octobre 1970, la pièce situe son intrigue au sein d’une famille d’ouvriers accablée par la misère et enfermée dans des valeurs traditionalistes suffocantes, dont les choix et caractères affecteront leur progéniture. Véritable dyptique théâtral, entremêlant deux temporalités, on chemine à travers les époques grâce aux personnages et leurs états-d’âmes pour comprendre leur malaise et leur colère.

A toi, pour toujours, ta Marie-Lou est un texte court, mais rarement cinquante pages auront été aussi pleines de sens et faites pour être portées sur scène. L’histoire nous présente Léopold et Marie-Louise et leurs deux filles, Carmen et Manon.

Léopold et Marie-Louise
Léopold et Marie-Louise, les « tu-seuls »

D’abord haché et déstructuré, on s’habitue petit à petit au texte en joual et à sa structure où les duos d’acteurs s’entremêlent dans les dialogues et le temps, sans nécessairement interagir. A plusieurs reprises, les deux sœurs réinterpréteront leur rôle de petites filles, alors craintives et cachées derrière leur porte de chambre, à l’écoute des disputes parentales. On découvre ainsi des personnages aux caractères complexes, ils sont désabusés, mal à l’aise et en colère, enfermés dans une vie subie qu’ils ne supportent plus. Léopold, le père, est ouvrier, accablé par son travail, Marie-Louise est femme au foyer et enceinte de son quatrième enfant, frustrée par sa condition, la religion sera son exutoire. Incapables de communiquer autrement qu’en criant ou sacrant, piques et reproches dévoilent au fil du texte des personnages abîmés, usés. Pour aider le spectateur à situer la scène dans son époque, l’intensité et la direction de l’éclairage mettent en lumière les parents et les deux filles.

Davantage encore qu’à la lecture, notre avis sur les personnages évolue au cours de la pièce, on discerne davantage d’humanité chez Léopold que l’on en avait de prime abord aperçu, les lamentations de Manon et sa mère nous apitoient moins.

Aussi, à l’instar de leurs parents, Carmen et Manon ont également de la difficulté à communiquer et à comprendre les choix l’une de l’autre. Pendant longtemps, le mystère va planer autour de cet événement vieux de 10 ans que l’on imagine tragique tant la tension est forte, mais à quel point l’est-il ? Comment expliquer l’énergie de Carmen, son espoir, sa volonté, et le traumatisme, le choc vécut par Manon ? Pourquoi fait-elle le vœu de vivre dans un passé en apparence si douloureux ?

La famille rencontrée ici est à l’image de nombreuses familles d’ouvriers québécois des années 60, emprisonnée dans des valeurs en lesquelles elle ne se reconnait plus, fatiguée par la pauvreté et la misère. Le tournant tant espéré arrivera un peu plus tard avec la Révolution Tranquille, cette période de libération des idées et des mœurs et de l’affranchissement du joug de la religion.

En 2017, ce texte symptomatique de Michel Tremblay n’a rien perdu de sa superbe. En représentation au Théâtre de La Bordée jusqu’au 18 mars, A toi, pour toujours, ta Marie-Lou séduit par la justesse et la perspicacité de son jeu. Impossible de quitter la salle sans matière à réflexion, il s’agit d’une œuvre à voir et à vivre.

La programmation du Théâtre de La Bordée est disponible ici  :http://bordee.qc.ca/

Crédits photos : Pierre-Marc Laliberté