Di, c’est-à-dire Diane, a un profond besoin de dire. Cadette de la famille, elle ne peut pas se confier à son frère ni à l’une de ses deux sœurs, partis faire des études dans des universités lointaines, et c’est donc à nous qu’elle dit, à nous les spectateurs, nous les autres, ceux qui ne font pas partie de son univers. Elle n’est pas seule, Di. Dans la grande maison familiale, au milieu des champs, des forêts et non loin de la grand-route, vivent encore trois individus : sa mère Makati, le pilier de la maison et la personne la plus importante pour elle, son père Paclay dont sa mère est divorcée et qui poursuit son unique rêve, celui de construire un avion, et le beau Mario Morneau « qui n’a rien entre les deux oreilles », le nouveau mari souriant de sa mère.
Pour Di, la vie s’écoulait ainsi sans de réels problèmes jusqu’au grand malheur, celui qui bouleverse l’équilibre dans lequel elle vivait, la découverte de l’amour en même temps que la révélation de secrets familiaux. Car Di qui jusqu’alors était attirée par les garçons, va ressentir une sorte de coup de foudre amoureux pour Peggy, celle-là même qui avec ses horribles machines de l’industrie minière, va transformer la région et l’existence de ceux qui y sont installés.
C’est donc un amour paradoxal à plus d’un titre qui bouleverse Di. Amoureuse du « bourreau » de sa famille, le temps de crise qui va s’en suivre remue les non-dits de ses proches et révèle des secrets jusque-là bien gardés. Mais l’intérêt de la pièce Le dire de Di, n’est pas tant dans l’histoire que dans la forme qu’elle prend dans la bouche de Di. Le monologue d’une heure trente de Di, magistralement interprété par Marie-Éve Fontaine, est décousu, fragmentaire, incohérent souvent, rempli de fantasmes et d’associations d’idées comme le sont les pensées qui parfois nous submergent. En même temps, c’est en toute conscience que Di parle à ses interlocuteurs, elle s’adresse vraiment à eux et conçoit très bien l’effet qu’elle a sur eux. Mais son esprit d’enfant (elle a 16 ans, je lui en aurais plutôt donné 13, mais c’est un détail), fonctionne de telle sorte qu’elle mélange imagination et réalité, qu’elle joue sur les mots, leurs sonorités, les calembours qu’ils lui évoquent comme si elle les découvrait et en quelque sorte elle les découvre car, c’est bien quand on dit à voix haute et qu’on entend sa propre voix, que l’on est aussi susceptible d’entendre toutes les originalités de la langue dans les hasards de la sonorité des mots (et surtout quand on est un enfant).
Du coup, Le dire de Di, prend la forme d’une sorte de fable moderne et poétique, qui nous donne accès à toutes les idées un peu folles qu’une adolescente (ou nous-mêmes) pouvons avoir dans l’intimité de nos pensées.
Marie-Ève Fontaine est remarquable dans ce rôle. Sa diction est parfaite, à la fois douce et excessive comme l’enfance. Le beau décor minimaliste des quatre grands cadres gigognes en bois à travers lesquels elle se déplace évoque les niveaux de plus en plus profonds de ses pensées intimes. Le texte signé Michel Ouellette est intelligent, un peu déroutant parfois du fait de sa fragmentation. Mais peut-être est-ce indispensable pour faire ressentir l’effet petite voix personnelle qui accompagne Di dans sa découverte et dans son accès à l’âge adulte qui lui fait voir la réalité telle qu’elle est et non telle qu’elle la croyait.
Le dire de Di, du 23 octobre au 3 novembre 2018 au théâtre Prospero à Montréal
Une coproduction Théâtre français de Toronto et Théâtre de la catapulte
Texte Michel Ouellette
Mise en scène Joël Beddows
Avec Marie-Ève Fontaine
Assistance à la mise en scène Jean-Nicolas Masson
Scénographie Michael Spence
Éclairages Guillaume Houët
Environnement sonore Thomas Sinou
Conception gestuelle Marie-Josée Chartier
Informations : https://theatreprospero.com/spectacle/le-dire-de-di/