L’interrogatoire de Salim Belfakir, le poignant récit de la rencontre de trois parcours individuels.

Alain Beaulieu : L'interrogatoire de Salim Belfakir © photo : courtoisie
Alain Beaulieu : L’interrogatoire de Salim Belfakir © photo : courtoisie

Salim, à l’orée de sa vie et de son histoire qu’il vient de reconstituer et de renouer avec son passé d’enfant né d’une liaison entre sa mère boulangère à Saint-Malo et de son père marin marocain de passage, est mort trop tôt. Une mort seul, abandonné dans un hôtel de centre ville par des amis qui l’ont ramené saoul. Une mort de cause naturelle, maladie cardiaque dira l’autopsie. Pourtant cette fin abrupte devient pour Julien Floch , le policier spécialisé dans les interrogatoires « délicats », le début d’une retraite anticipée et d’une fuite loin de tout, bien plus qu’une tentative d’une reconstruction, au Canada; cette même fin est aussi, pour Éliane Cohen, qui tente, elle, de fuir sa mère envahissante, le déclencheur d’une construction d’une vie autonome d’adulte comme assistante juridique spécialisée des recherches dans un cabinet d’avocat de rennes spécialisé dans les causes à relancer. Pour Julien comme pour Éliane, les suites de la mort de Salim seront le cheminement qu’ils devront parcourir pour s’accepter et (s’)assumer. Trois histoires en parallèle qui se répondent, se font écho, se rencontrent sans que jamais ou presque ces personnes ne se rencontrent elles-mêmes sinon de façon éphémère ou par personnes interposées, mais déterminantes. La quête d’Éliane pour répondre à la mère de Salim, qui ne croit pas vraiment aux circonstances de cette mort naturelle, pour savoir ce qui s’est véritablement passé le soir de la mort de Salim va être le moteur de son évolution comme de celle de Julien sans que chacun véritablement le sache et encore moins le décide. Peu à peu cette soirée se reconstitue sous nos yeux et la vérité émerge. Mais bien loin d’un récit linéaire celles-ci vont s’incarner pour nous par ces trois récits parallèles. Celui de Salim, de son enfance à sa mort, le seul récit à la première personne. Un récit poignant de cet enfant qui a eu à peine le temps de devenir un homme : « ...celui que son père avait laissé orphelin et tagué d’un nom pas toujours facile à assumer dans une société qui ne s’aime pas assez pour aimer les autres, je veux dire ceux qu’on ne reconnaît pas comme faisant partie de la famille parce qu’ils portent sur eux les traces d’une histoire qu’on n’enseigne pas dans les lycées… » et qui peu à peu devenait u homme en paix avec lui-même et ses racines.

Chacun de ces récits est riche de sa propre histoire, de sa quête de soi, de sa place dans la société, de ses racines et de ses liens familiaux, mais aussi de sa responsabilité individuelle dans sa propre histoire comme dans celle de son entourage et plus généralement dans le sens que notre société se donne. Si tous racontent des parcours tortueux, tous portent aussi en eux l’espoir du possible, de la résilience et même, pour Julien de la rédemption par l’acceptation et le courage, le courage d’assumer ses fautes, ses manquements. Mais aucun de ces cheminements n’est simple ou facile on l’aura compris. Sans misérabilisme ni à l’inverse angélisme l’auteur sait nous dépeindre que la vie ne fait pas de cadeaux, que les sociétés ne sont pas toujours des sociétés d’accueil même si elles se pensent comme telles, surtout si elles ne sont que des lieux que l’on investit pour en fuir une autre ou s’il s’agit de permettre à d’autres de se défausser. Mais qu’aussi la vie se construit autour de rencontres importantes même si parfois improbables qui vous marquent autant qu’elles vous construisent ou parfois vous détruisent. Que nos vies sont faites de ces interactions mêmes indirectes et que, seul, on n’est pas grand chose. C’est ainsi que ces trois parcours se réunissent pour faire une histoire unique en même temps, qu’un moment, déterminant, de la vie de chacun.

La grande qualité de ce roman, outre la puissance et l’intérêt de l’intrigue romanesque, est dans l’équilibre que l’auteur a su donner entre les cheminements individuels tous percutants, passionnants, profondément humains et leur rencontre en une seule histoire cohérente et elle aussi forte même si les temps de leurs déroulements sont , au moins celui de Salim d’une part et de Julien et Élaine d’autre part, décalés. C’est un très beau témoignage sur la force des relations, des rencontres, des interactions humaines dans nos destins collectifs et individuels confrontés à nos peurs et lâchetés personnelles comme au poids des déterminismes que des sociétés se sont créées au fil du temps et de leurs histoires collectives souvent sur la base des exclusions, et à la puissance des éléments qu’ils génèrent.

Ne cherchons pas dans ce roman un polar ou une intrigue. La vérité sur la mort de Salim est inscrite dans l’existence même du livre comme ses causes réelles. Son explication, sa vérité n’est pas l’objet du livre. Il est un support, l’élément déclencheur à la narration de ces trois parcours humains. L’interrogatoire de Salin Belfakir est un roman très bien construit par son auteur, Alain Beaulieu, là ou d’autres auraient pu s’éparpiller ou se cloisonner dans des histoires individuelles qui jamais ne retrouveraient une unité. Chacun des univers, lieux, comme atmosphères ou situations se crée pour nous avec ses propres images, fortes, évocatrices, visuelles et pour ceux qui un jour les ont connues que l’on retrouve avec le plaisir des souvenirs qui vous reviennent bons comme amers.

Alain Beaulieu @Maxyme G Delisle
Alain Beaulieu @Maxyme G Delisle

L’AUTEUR
Écrivain et professeur de création littéraire à l’Université Laval, Alain Beaulieu a publié plus d’une douzaine de romans. Il a remporté à deux reprises le Prix littéraire Ville de Québec – Salon international du livre de Québec. Paru en France et au Québec en 2010, Le postier Passila a été sélectionné pour le Prix littéraire du Gouverneur général en 2011. La même année, le Prix à la création artistique du Conseil des arts et des lettres du Québec pour la région de la Capitale-Nationale lui était décerné. En 2014, il a reçu le Prix de la personnalité littéraire de l’Institut canadien de Québec.

L’interrogatoire de Salim Belfakir
Auteur : Alain Beaulieu
Conception de la couverture : www.annetremblay.com
Photographie de l’auteur : Maxyme G. Delisle
Éditions Druide : www.editionsdruide.com
Roman –
296 pages –
22,95 $
En librairie le 9 mars 2016
ISBN PAPIER : 978-2-89711-271-4
ISBN EPUB : 978-2-89711-272-1
ISBN PDF : 978-2-89711-273-8

© photo de la couverture : courtoisie
© photo de l’auteur : Maxyme G. Delisle