Les Trois Soeurs au Théâtre du Trident

 
C’est le 2 décembre dernier que le Théâtre du Trident présentait une pièce fort attendue, Les Trois Sœurs de Tchekhov.
 
Résumé :
Trois sœurs, qui mènent une existence confortable, mais trop paisible en province, rêvent de retourner à Moscou, ville du bonheur promis. Olga (Lise Castonguay), l'aînée, enseignante résignée, Macha (Marie Gignac), l’amoureuse déçue, et Irina (Anne-Marie Olivier), cherchant le plaisir dans le travail, vivent des jours nourris de l’idée d’un avenir meilleur. En attendant le moment du départ, le remous des amitiés, des amours et des relations familiales meuble les jours des trois soeurs.
 
Avec la crème des acteurs de Québec, et une mise en scène du maître Wajdi Mouawad, les attentes étaient immenses de la part du public. Il y avait une fébrilité dans l’air avant le début du spectacle. Au bout de 2 h 45, sans entracte, que l’on a senti passer comme un éclair, les gens dans la salle se sont éjectés de leur siège pour acclamer ces artisans chevronnés qui nous ont démontré, une fois de plus, tout leur savoir-faire pour nous faire passer une autre magnifique soirée en leur compagnie.
 
À bien y penser, on a l'impression qu'il ne se passe rien durant ces presque 3 heures, puisque l’on observe ces trois femmes qui sont dans l’attente et l’espoir d’un départ. Le public est transporté dans une demeure de la campagne profonde de Russie, un village perdu, où ces trois sœurs avec leur frère, un an après le décès de leur père, vivotent dans l’espoir de revoir un jour Moscou. Là, des militaires en garnison en visite chez la famille, des hommes et des femmes vivent des joies et des peines et surtout philosophent et regardent les heures passer dans l’attente d’un futur meilleur. Il y a des évènements qui surviennent bien sûr, des amours déchirants et impossibles qui naissent, un feu au village, une famille qui se crée, mais le public ressent surtout la solitude de chacun, la complaisance et l’immobilisme qu’ils dégagent tous. De vieux médecin (Gil Champagne, totalement exceptionnel) à la retraite qui se réfugie dans la peinture pour s’exprimer autant sur les murs que sur lui-même, au professeur du lycée sans envergure (Vincent Champoux, délicieux, et qui doit alterner entre deux rôles) qui ne veut pas voir que sa femme Macha (Marie Gignac) n’a d’yeux et d’amour que pour le lieutenant-colonel Verchinine (Benoit Gouin).
 
 Gill Champagne, Vincent Champoux, Anne-Marie Olivier et Hugues Frenette
 
Entre conversations futiles et grands débats philosophiques, entre mariages ratés et désespoirs amoureux, le public sera constamment déstabilisé, lorsque les comédiens sur scène vont interpeller et interagir avec les gens dans la salle.
 
Le décor, une grande pièce d’une maison en rénovation, avec des bancs et portes blanches qui se déplacent au rythme des personnages qui s’y retrouvent et des murs en constant changement de couleur, est d’une tristesse égale à l’émotion que ces personnes dégagent. Les costumes également sont tous de gris, brun, noir ou blanc, à l’exception de Natacha (brillamment jouée par Linda Laplante) qui rayonne de couleurs éclatantes. Bien qu’il y ait une grande salle où tous et chacun se retrouvent à un moment ou un autre, il y a aussi beaucoup de situations qui surviennent derrière la porte de cette pièce et le public ne peut alors qu’écouter aux portes pour imaginer ce qui s’y passe. Une idée géniale qui repousse une fois de plus les limites confortables du théâtre comme on le conçoit.
 
La pièce se déroule durant quatre moments, dont le jour de la fête d’Irina. Chaque changement de scène se produit sur le son de la musique, avec les personnages qui bougent au ralenti, pour placer les décors et accessoires du prochain plateau. Cela semble très surréaliste.
 
Hugues Frenette et Anne-Marie Olivier
 
Ce qui m’atteint le plus, c’est la performance magistrale de ces acteurs chevronnés de Québec. La chorégraphie de l’amour entre Macha (Marie Gignac) et Verchinine (Benoit Gouin), brutale, passionnée, fusionnelle, entre cette petite femme et grand colonel est sublime. Le Baron Tousenbach joué avec brio par Hugues Frenette est mon personnage préféré. Hugues Frenette ne joue pas en fait, il EST ce Baron, laid, mais bon qui s’amourache d’Irina. En fait, tous les acteurs se donnent pleinement dans ce chef d’œuvre de Tchekhov, où pendant un moment, l’alcool coule à flot, les propos sur la situation difficile en Russie nous donne vraiment l’impression d’avoir traversé l’atlantique et de se retrouver dans ce pays au début du siècle dernier. Je dois faire aussi une mention bien spéciale pour la chanteuse Michèle Motard qui vient terminer cette pièce de manière complètement magique, grâce à sa voix mélodieuse et vibrante.
  
Du 14 au 16 juillet dernier, dans le cadre du prestigieux Festival international de théâtre de Tchekhov, le Théâtre du Trident a présenté sa pièce Les Trois Sœurs au Théâtre Pouchkine de Moscou, là même où l’œuvre de Tchekhov a été écrite et jouée à ses débuts. Cette pièce était la seule production canadienne présente, parmi la dizaine de Tcheckhov. L’accueil et le succès de cette pièce ont été tellement grands que le Théâtre du Tirident ira maintenant représenter la Russie à São Paulo au Brésil les 17, 18 et 19 décembre prochains au Teatro Paulo Autran do SESC Pinheiros, avec cette version mise en scène par Wajdi Mouawad.
 
 
 
La pièce dure 2 h 45 sans entracte.
 
Pour les célébrations entourant les 40 ans du Trident, le public de Québec peut assister, jusqu’au 9 décembre prochain, à la version remaniée de cette production magistrale, créée au Trident en 2002 par Wajdi Mouawad.
Du 2 au 9 décembre 2010 à 20 h,
à l'exception du 4 décembre (à 16 h) et du 5 décembre (à 15 h)
Texte : Anton Tchekov
Mise en scène : Wajdi Mouawad
Assistance à la mise en scène : Hélène Rheault
 
Distribution :
Andréï Prozorov : Jean-Jacqui Boutet
Olga : Lise Castonguay
Tchéboutykine : Gill Champagne
 Koulyguine et Féraponte : Vincent Champoux
Tousenbach : Hugues Frenette
Macha : Marie Gignac
Verchinine : Benoît Gouin
Natacha : Linda Laplante
La chanteuse : Michèle Motard
Irina : Anne-Marie Olivier
Anfissa : Paule Savard
Salioni : Richard Thériault
 
Théâtre du Trident, Salle Octave-Crémazie
 
Prix des billets : 50 $
Crédit photo : Stéphane Bourgeois