Matisiwin de Marie-Christine Bernard : Vivre, enfin!

Marie-Christine Bernard : Matisiwin © photo : courtoisie
Marie-Christine Bernard : Matisiwin © photo : courtoisie

À vingt-deux ans, Sarah-Mikonic Ottawa, du peuple des Nehirowisiw, a déjà vécu une vie aussi brève que chargée de violence psychologique et physique qu’elle a subie autant qu’elle l’a infligée à elle-même et à ses proches. Une enfance, une adolescence, une vie de femme et de mère bien trop tôt commencée peuplent son parcours de douleur, d’échecs et de drames à l’image de bien des femmes de sa communauté et plus généralement autochtones.

C’est par un ultime sursaut de survie et de dignité qu’elle accepte, au dernier moment, d’entreprendre le moteskano : Une longue marche traditionnelle en groupe, dans la nature, sur le chemin des Ancêtres à la rencontre de soi, de son corps comme de son esprit, de sa culture, de ses racines pour renaître. La marche est dure, exigeante, emplie de doutes comme l’est le cheminement intérieur qu’elle accompagne. Durant ce long périple qui met à l’épreuve le corps autant que l’âme, durant lequel aucune échappatoire n’est possible sinon l’abandon définitif en cours de route synonyme d’un renoncement final, Sarah-Mikonic Ottawa devra trouver le courage de continuer cette lente, douloureuse mais complète reconquête d’elle-même, en temps que femme, que fille, que mère, que membre de sa communauté. Pour cela, pour faire face à ses fantômes comme à ceux de toute sa communauté, ses seuls alliés sont la victoire du corps sur les difficultés de la marche mais aussi, la force de son mental qui lui donne le courage de regarder sa vie et, surtout, l’aide bienveillante de la voix de sa grand-mère décédée, sa kokom. Cette voix intérieure va, avec elle, nommer ses douleurs et retisser les liens avec son histoire et sa spiritualité et, au-delà, avec celles de son peuple et donner, ainsi, du sens à son destin, et lui rendre son honneur. Des repères et des récits transmis, explorés, au fil du moteskano sous forme de réflexions, courtes mais denses, introduites par de simples mots, ou groupes de mots. Autant de thèmes qui tous correspondent à des temps forts de la culture Nehirowisiw mais aussi de la tragédie de leur rencontre avec les Blancs.

Ce chemin pour être parcouru, nécessite à défaut de pouvoir réintégrer les territoires perdus, de retrouver les valeurs, les philosophies, les perceptions du monde, de sa propre culture, mises en pièce volontairement, méthodiquement par les Blancs. Une destruction à coup de guerres, puis de privation d’espaces et de droits, d’addictions ravageuses, d’agressions sexuelles mais aussi d’acculturation par une religion imposée et les pensionnats autochtones, et qui a déstructuré autant les sociétés que les êtres eux-mêmes. Il faut revivre ces ruptures vécues par soi-même autant que par ses ancêtres et parents comme les drames et violences qui les ont accompagnées pour les comprendre et se comprendre et s’accepter. Seul ce voyage dans le temps et l’esprit permettra de sortir, enfin, de ce statut de colonisé, de se reprendre en main, de retrouver sa sérénité, sa volonté de vivre pour retrouver sa dignité et son honneur, se réapproprier sa vie et celle de sa communauté au lieu de, au mieux survivre dans un mauvais compromis avec la culture et la société des Blancs, au pire se détruire.

Matisiwin, Vivre, est particulièrement bien écrit, à la fois poétique et à la très grande puissance évocatrice mêlant le français et la langue des Nehirowisiw, l’Atikamekw. C’est un véritable livre hommage à la culture et la spiritualité de cette nation, un livre tout à la fois merveilleux, tendre, apaisant en même temps que très pudique pour dire pourtant l’insoutenable vérité. Et c’est cela qui fait de lui un livre éminemment puissant.

Marie-Christine Bernard © photo : Sarah Scott
Marie-Christine Bernard © photo : Sarah Scott

Il témoigne du profond respect et de la volonté de son auteure, Marie-Christiane Bernard, une Gaspésienne francophone installée au Lac Saint-Jean de connaître et comprendre en profondeur, le peuple des Nehirowisiw. Elle devient ainsi un passeur entre nous les Blancs et ce peuple dont le nom signifie « L’être qui vit en équilibre avec son milieu ». Une nation, d’aujourd’hui 6 000 membres répartis en trois communautés en Haute-Mauricie, comme nous le rappelle l’auteure en postface, et qui survit sur un territoire d’environ 500 kilomètres carrés alors que jadis leur territoire couvrait plus de 50 000 kilomètres carrés qui leur assuraient une pleine jouissance des ressources nécessaires à leur harmonie et à leur équilibre économique, social et culturel.

Un livre que l’on lit d’une traite happé par ce parcours de vie mais dont on sait qu’on le gardera précieusement pour y souvent revenir plus en profondeur et se pénétrer de chacune de ses réflexions et témoignages qui sont autant d’étapes vers une compréhension plus générale. Car chacun de ses chapitres, possède sa propre unité en même temps qu’il participe d’un ensemble cohérent, le cheminement de son héroïne autant que celui du lecteur vers son renouveau.

Mais, aussi, Matisiwin est un livre bouleversant autant que nécessaire. Pour comprendre la richesse et la dignité de cette culture et de ses communautés; pour comprendre les terribles enjeux auxquels celles-ci sont aujourd’hui confrontées; pour comprendre et reconnaître le massacre que, nous les Blancs, avons perpétrés et continuons de perpétrer au nom de nos seuls intérêts. Pour aider à convaincre notre pays, ses gouvernements provinciaux comme fédéral autant que ses citoyens, de se regarder enfin en face pour ne plus tolérer d’être: Un pays qui d’une main se veut le chantre du multiculturalisme, du respect des droits et libertés individuelles et collectives ici et partout ailleurs dans le monde, se réclame d’une vocation à être au Conseil de sécurité de l’ONU, est membre de la Cour pénale internationale et fut l’un des pays libérateurs de l’Europe aux mains des Nazis. Mais un pays qui de l’autre main, tel un vulgaire colonialiste fier de son œuvre civilisatrice et sûr de son bon droit, ses « deux solitudes » pour cette fois réunies, a massacré les peuples des Premières Nations, a parqué les survivants comme des bêtes curieuses, les a convertis de force puis a inventé pour parachever sa sinistre besogne les pensionnats autochtones en fermant les yeux sur la pédophilie et les sévices de nombres de ses « éducateurs » missionnaires. Une autre main qui encore aujourd’hui refuse de signer la Déclaration, de ce même ONU, sur les Peuples autochtones, refuse une commission d’enquête sur la disparition de femmes autochtones, régit ses relations avec les Premières Nations par une loi qui bien qu’amandée date de …1876 et porte encore le nom de…Loi sur les Indiens (!!!) et qui, trop souvent, encore, bafoue régulièrement les traités présents et passés et a, parmi ses diplômés de ses universités, de jeunes étudiants, y compris en Sciences humaines, qui ont quelques réticences à admettre que les Blancs ne sont pas arrivés au 16ème siècle sur des territoires vierges de toute civilisation structurée et ayant des droits.

À propos de l’auteure
Née à Carleton-sur-Mer, Marie Christine Bernard vit, écrit et enseigne au Lac-Saint-Jean. Elle est l’auteure de quatre romans, dont Mademoiselle Personne, prix roman AbitibiBowater 2008 du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean et prix littéraire France-Québec 2009. Elle a également publié un recueil de nouvelles, une série jeunesse et un recueil de récits érotiques écrits sous pseudonyme.

Matisiwin
Marie Christine Bernard
Roman
Conception de la couverture : Chantal Boyer
Éditions Stanké : www.editions-stanke.com
Groupe Librex, Québécor
160 pages
ISBN : 978-2-7604-1171-5 (Édition papier)
22,95$
ISBN : 978-7604 1176-0- (PDF)
16.99$
© photo de la couverture : courtoisie
© photo de l’auteure : Sarah Scott
Les libraires : http://www.leslibraires.ca/livres/matisiwin-marie-christine-bernard-9782760411715.html/63bdfefc3586f1a61b91d46e75b2f8ca8a8cc81c395fda6fff74c6848fddf727756055e1c02404e80a634e3f27a303d7aa81b048123f490fd034d939f337b494/?u=4850