Isabelle Michaud, une artiste francophone en Ontario

CHRONIQUE SUR LA FRANCOPHONIE DANS LES ARTS VISUELS AU CANADA

Régulièrement un nouveau sondage ou une nouvelle étude est publiée sur le bilinguisme au pays ou sur l’état de la francophonie au Canada. J’ai temporairement laissé de côté les données statistiques pour me pencher sur une réalité plus humaine: celle des artistes en arts visuels francophones vivant ailleurs qu’au Québec.

Quelle est leur réalité au quotidien ?

Pour Isabelle Michaud, Bachelière en arts visuels (BFA), qui a été professeure d’art à l’École secondaire White Pines, à Sault-Sainte-Marie, et professeure de français à l’Université Algoma, la peinture et la construction de ses oeuvres s’inspirent de sa vie quotidienne et de son histoire personnelle. Cette femme est née à Québec, a grandi au Québec, et vit en Ontario depuis 1988. Son époux est anglophone et son fils l’est également. A travers son art, elle exprime sa vie de femme francophone dans un milieu majoritairement anglophone.

Sa réalité d’artiste en arts visuels, à Sault-Sainte-Marie (Ontario), ressemble à un long chemin rempli d’embûches. « Je dois tout faire de A à Z: les communiqués de presse, les annonces, la publicité en anglais et en français. Si je veux le français, ici, il faut toujours que je traduise. Je suis la seule artiste francophone en ce moment, dans ma ville, à ce que je sache. (…) La seule autre amie artiste francophone que j’avais est partie à Sudbury ». En effet, pour trouver des lieux de diffusion où elle peut parler le français, Isabelle Michaud doit faire 4 heures de route pour atteindre Sudbury ou 6 heures de route pour atteindre Hearst. Faute de pouvoir s’exprimer dans sa langue maternelle, elle utilise donc l’anglais dans sa région. Avec le Bureau des regroupements des artistes visuels de l’Ontario (BRAVO), qui est un organisme à but non lucratif au service des artistes de l’Ontario français, il y a eu une exposition qui s’est déroulée en français à Sault-Sainte-Marie. C’était une première. « Je suis obligée de parler anglais dans ma ville pour exposer, mais je mets mes titres en français », souligne l’artiste qui raconte ensuite une anecdote qui ferait sourire si le contexte n’était pas si dramatique. La fois où elle avait soumis une oeuvre avec un titre en français dans une galerie d’art d’Algoma, le titre avait été écrit « tout croche ». Toute sa communication médiatique se fait dans les deux langues officielles puisqu’elle tient à traduire tout ce qui la concerne, malgré une proportion provinciale qui, selon elle, serait de 5 % de français, de 5 % de langues autochtones et sûrement de 90 % d’anglais. Le Conseil des arts de l’Ontario (CAO) lui a néanmoins octroyé deux subventions en tant qu’artiste francophone, mais c’est une goutte d’eau dans l’océan pour ces artistes francophones qui souhaitent rayonner en français dans leur province. Sans vouloir faire de comparaison avec ce qui se passe dans la province voisine, les artistes ontariens francophones se tournent malgré tout vers le Québec. « Les artistes francophones ne sont pas connus dans le reste du Canada. Ça doit être aussi difficile (pour eux), mais je crois qu’il y a une plus grande capacité de croissance au Québec ». La résistance des Franco-Ontariens a certainement contribué à l’éclosion d’une francophonie vivante en Ontario. La couverture médiatique de Radio-Canada, pour certains évènements artistiques et culturels de la communauté franco-ontarienne, a forcément aidé à faire rayonner leur festival et leurs artistes, mais l’amélioration de la situation du français dans les arts visuels, à l’échelle provinciale, passe néanmoins dans le soutien plus conséquent des conseils des arts, des galeries d’art (les principaux diffuseurs des artistes en arts visuels) et des bourses aux artistes francophones. Soutenir leurs efforts, afin de poursuivre en français leur développement de carrière dans un milieu majoritairement anglophone, est une nécessité pour eux. « Grâce à BRAVO, je suis moins seule », explique Isabelle Michaud qui aimerait beaucoup recevoir des artistes dans son studio et apprendre d’artistes québécois. « Juste pour se rencontrer, il faut déployer des efforts herculéens ». L’isolement des artistes francophones des uns des autres, est l’un des principaux obstacles à un réel épanouissement artistique. « Un jour, j’ai téléphoné au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) pour savoir si je pouvais être bénévole, un été, ou faire une résidence et la personne qui m’a répondu, m’a fait sentir terriblement mal. C’était comme si je demandais quelque chose de fou », confie l’artiste en entrevue.

Il y a déjà une incompréhension de la population face aux problématiques très spécifiques des artistes en arts visuels. On amplifie le phénomène quand on parle d’artistes en arts visuels francophones dans un milieu majoritairement anglophone.

L’angle de vue selon les chiffres

Selon le Recensement de 2016 [1], les données exactes, concernant la langue maternelle des 34 767 255 personnes recensées, démontrent que 19 460 855 d’entre elles ont l’anglais comme langue maternelle (55,97 %), comparativement à 7 166 705 qui ont le français (20,61 %). Les gens ayant grandi dans les deux langues officielles sont 165 325 (0,48 %). Les allophones sont au nombre de 7 321 060 (21,06 %). Les gens pour qui l’anglais et une langue non officielle sont leur langue maternelle sont de l’ordre de 533 260 (1,53 %), tandis que les gens pour qui le français et une langue non officielle se chiffrent à 86 145 (0,25 %). Ceux qui ont, pour langue maternelle, l’anglais, le français et une autre langue non officielle sont, quant à eux, 33 900 (0,10 %) personnes.

Aujourd’hui, selon une autre source [2], les francophones représentent environ 22,9 % de la population du Canada; les anglophones environ 59,3 %. Près de 10 millions de Canadiens, soit 30 % de la population du pays, sait parler français. En dehors du Québec, les francophones forment 4,5 % de la population du Canada, une proportion similaire aux Autochtones. En Ontario, la population francophone se compose de 611 500 personnes, ce qui représente 4,8 % de la population ontarienne. La communauté francophone de l’Ontario est la plus importante au Canada à l’extérieur du Québec.

Dans une réplique intitulée « Des chiffres qui reflètent bien la réalité de la population francophone de l’Ontario », publiée le 10 janvier 2019 dans Le Devoir, Me François Boileau, (alors Commissaire aux services en français de l’Ontario avant que le Commissariat ne soit aboli par le Premier Ministre de l’Ontario, Doug Ford), [3] mentionnait qu’il y avait en réalité 622 415 francophones en Ontario. Comme le disait d’ailleurs l’auteur de ce texte: «Il ne faut jamais oublier que derrière les analyses, derrière les chiffres, il y a du vrai monde qui veut participer et contribuer à un projet social ouvert, inclusif, prospère et dynamique».

Pour retrouver l’artiste Isabelle Michaud sur Internet:
http://www.isamichaud.com/

Les images illustrant cet article sont diffusées avec la permission de l’artiste.

 


Sources:

[1] Le Recensement 2016 – voir le site

[2] La francophonie des Amériques, selon une étude réalisée en 2013 par Étienne Rivard, coordonnateur scientifique, Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ), Université Laval.

[3] Le Devoir, 10 janvier 2019 « Des chiffres qui reflètent bien la réalité de la population francophone de l’Ontario » – voir l’article


Crédit images: Courtoisie Isabelle Michaud

« Maureen Rhodes: croisière » multimédia, 12 po x 32 po., 2019
« Dactylo gomme balloune » acrylique sur bois, 48 x 24 pouces, 2019 – Isabelle Michaud et Jonathan Brodbeck (son fils)