L’effet de Serge

  Le 9 juin 2010

 

«…une mise en scène risquée et désopilante … Serge très attachant… des comédiens locaux très crédibles.»

 

Serge a un passe-temps fascinant. Chaque dimanche, il invite ses amis à venir s’asseoir dans son salon pour assister à de petits spectacles d’effets spéciaux entre une et trois minutes qu’il a minutieusement concoctés leur intention. Chaque dimanche, son public repart, perplexe, le laissant seul à ses bidouilles, jusqu’au dimanche suivant où, immanquablement, Serge récidive avec un nouveau numéro…

Le mardi 8 juin, le carrefour de théâtre présentait au Périscope la pièce L’effet de Serge. Dès le début de la pièce, on est rapidement déstabilisé, puisqu’un cosmonaute arrive sur scène pour présenter le spectacle puis commence à déconstruire les codes de la représentation théâtrale en commentant à froid les mécanismes de la fiction à laquelle il s’apprête à participer. Avec un détachement déconcertant, il nous décrit l’univers de Serge, il détaille chaque accessoire, lit les étiquettes des CDs, et même commence à lire un livre posé sur une table. On a droit également à la description des autres pièces de l’appartement que nous ne voyons pas, mais dans lesquelles il semble se promener dans les coulisses. Du coup, on se sent voyeur, en train de faire le tour des trucs du magicien avant son entrée en scène.

 


 

Par la suite et tout au long du spectacle, nous assistons à la petite vie banale et solitaire de ce grand dadais naïf qui prend tout son plaisir à créer des effets maison bricolés à peu de frais (ses bidouilles sont à base de feux de Bengale, phares de voiture et rayon laser à piles), et de les présenter chaque semaine à ses voisins et amis.

Les performances de Serge se déroulent sur un fond musical de Wagner, Michael Jackson, Led Zeppelin,  donnant un effet spectaculaire à ses jeux de lumière et ses pétards mouillés. Ainsi, son quotidien solitaire et banal est transformé pendant quelques minutes, en moments poétiques. 

Philippe Quesne, avec sa mise en scène, prend le risque énorme de jouer la carte du minimalisme, du laconisme du texte à l’absence d’action, d’une interprétation à la limite du non-jeu. Le résultat est désopilant. On a l’impression d’être au zoo et de regarder vivre les animaux. Ce malaise que cela crée en nous de voir vivre quelqu’un dans son quotidien et d’y voir des banalités à la limite de l’absurde et du pathétique, cela déclenche dans la salle des éclats de rire nerveux. Gaëtan Vourc’h (Serge) a le don de se montrer très attachant, un peu à la manière d’un Monsieur Bean lorsqu’il a un moment touchant avec sa marionnette en forme de bas. On croit vraiment à ce personnage bricoleur solitaire. Les comédiens qui interprètent les amis spectateurs, sont très crédibles et suivent bien le rythme imposée par la pièce.

 


 

Après le spectacle, les gens sont conviés à un entretien avec les artistes et Marie Gignac, la directrice artistique du carrefour de théâtre. Tout d’abord, elle nous présente Philippe Quesne, l’auteur et metteur en scène du spectacle et qui en fait également la régie. Il est le directeur artistique du Vivarium studio, qu’il a créé, il y a 7 ans. «  Tout d’abord, la pièce a été créée il y un peu plus de 2 ans à Paris et a été présenté dans divers pays, avec des versions totalement différentes, puisque dans chaque ville, la moitié de la distribution est assurée par des comédiens ou des gens locaux. J’ai voulu ainsi que Gaëtan Vourc’h (Serge) ait toujours une inquiétude et une étrangeté de jeu.  » C’est la première fois qu’ils la jouent à Québec et Philippe a été surpris des réactions du public. Une relation intense s’est établie avec le public. Il y avait des rires nerveux, des cascades de rires. «  Il y a eu des moments dans certaines villes, où cela n’a pas rigolé. Dans certains pays, à cause de la langue, il y a eu des versions avec de l’anglais, mais dont les comédiens locaux parlaient dans leur propre langue (allemand par exemple). En Corée du Sud par exemple, Gaétan a appris quelques mots de langue, comme les mots d’usages d’accueil d’amis. »

« L’idée de départ de ce spectacle origine d’il y a cinq ans. À ce moment, on a été invité à fêter l’anniversaire d’un lieu à Paris, la ménagerie de verre, un lieu dédié à la danse. Gaétan avait demandé à des artistes de produire une minute pour remercier le lieu. On a fait avec Gaétan, la minute où il allume l’explosif avec le fil sur la chaussure. C’était un geste artistique qui prend une minute et qui fait péter quelque chose. On avait gardé cela en tête cette minute et on s’est dit qu’on pourrait peut-être un jour développer cette question-là de l’artiste de salon qui se produit devant des gens. Deux ans après on a repris cette idée-là, puis on a répété tout ce que pouvait faire Gaétan en une minute (regarder la télé, manger une pizza, jouer au ping-pong, boit un verre). Puis on a ajouté des chaises vides, et Serge donnait des spectacles à des personnes imaginaires. Mais cela faisait vraiment trop triste, on a alors ajouté des personnes qui viendraient chaque semaine voir le petit numéro créé par l’imaginaire créatif de Serge. »

 


 

Les acteurs de Québec s’installent sur scène et se présentent et on nous explique leur expérience : Nathalie Dugré, Geneviève Piché, Michel Blackburn, Marie Paradis. D’abord, c’est le théâtre ou festival local qui choisit les personnes (qu’ils soient comédiens ou non) pour participer au spectacle. La veille de la représentation, toute l’équipe se rencontre et les comédiens locaux ont comme consigne d’accepter les propositions de jeu. Si Serge propose quelque chose à boire, ou de revenir la semaine prochaine, il faut dire oui. « Il s’agit également de jouer calmement et plus lentement qu’on a l’habitude de jouer. » Il y a une générale avec tout le monde quelques heures avant le spectacle et c’est tout. Les comédiens locaux improvisent leurs commentaires sur le spectacle qui leur est offert par Serge, de manière toujours positive. « Nous nous sommes vraiment sentis en confiance avec cette troupe et cela nous a réconfortés de savoir que nous étions bien encadrés. On a apprécié cette liberté qui nous a été donnée, car on devait improviser notre texte, c’était angoissant par moment, mais très enrichissant. Ce fut un exercice de ralentissement pour certains, pour suivre le rythme. L’énergie qui venait du public était très forte alors, de rester zen lorsqu’il y a des rires en cascade dans la salle, ce n’est pas évident. » La plupart d’entre eux sont des comédiens qui ont joué en théâtre amateur à la maison Jaune, mais de jouer cette pièce n’est pas du tout la même expérience.

 


Rodolphe Auté, Isabelle Angotti, et les quatre invités (Marie Paradis, Geneviève Piché, Michel Blackburn, Nathalie Dugré). Le théâtre Périscope.

 

Pour plus de photos http://espace.canoe.ca/breton2010/album/view/837732

La pièce est présentée à nouveau au théâtre Périscope 
Mercredi 9 juin à 19h
Jeudi le 10 juin à 19h
Vendredi le 11 juin à 19h

Durée 1h15
De Philippe Quesne / Vivarium Studio
Interprétation Gaëtan Vourc’h, Zinn Atmane, Rodolphe Auté, Isabelle Angotti, et quatre invités (Nathalie Dugré, Geneviève Piché, Michel Blackburn, Marie Paradis)

Production Vivarium Studio
Coproduction Ménagerie de verre (Paris)
Avec le soutien du Forum, Scène Conventionné du Blanc Mesnil, et du Festival ActOral Montevideo, Marseille.
La compagnie est conventionnée par la DRAC Île de France, Ministère de la Culture.
Avec le soutien de CULTURESFRANCE

 

http://www.carrefourtheatre.qc.ca/

http://www.lamaisonjaune.com/

http://www.theatreperiscope.qc.ca/

 

 

Crédit photos : Lise Breton