Route 132 Entrevues et appréciation du film

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J’ai vu, en grande première sur invitation de presse, le film Route 132. Cinquième film pour Louis Bélanger comme réalisateur et coscénariste avec Alexis Martin, cet émouvant « road movie » traite sobrement, sans tomber dans le mélodrame du deuil d’un enfant, mais aussi du deuil des régions. Je vous en donne mon appréciation plus détaillée à la fin de cet article.
 
Entrevues :
J’ai rencontré, à l’auberge Saint-Antoine à Québec, les comédiens François Papineau et Alexis Martin ainsi que la productrice Denise Robert et le réalisateur Louis Bélanger.
 
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Questions pour Alexis Martin : L’idée de départ de jumeler le deuil d’un enfant et celui de nos régions vient de vous?
« On a écrit le scénario ensemble, Louis et moi, mais oui l’idée de départ vient un peu de moi. J’avais surtout envie d’amener Louis dans le bas de Fleuve où j’ai des souvenirs d’attache familiale. J’ai passé plusieurs étés de mon enfance là, à Saint-André dans le compté de Kamouraska. J’ai encore de la famille là. Je trouve que c’est une région qui n’était pas assez vue. On parle souvent de Charlevoix, mais il n’y a pas que Charlevoix qui est beau… On a d’abord une anecdote triste, terrible, tragique d’un père qui perd un enfant. Mais il y avait une résonnance aussi d’une certaine ruralité au Québec qui est menacée, qui disparait lentement malheureusement. Il y a une métaphore qui peut filer. Il y a comme une communication entre les deux thèmes. Il faut en témoigner de cette réalité des régions, justement pour faire notre part pour que cela ne disparaisse pas. C’est toute une façon de vivre, de penser, d’être, qui n’appartient pas aux grandes villes et il faut garder cette diversité. Louis et moi, on avait cette même sensibilité par rapport à ces régions qui ont peur de perdre leurs écoles, leurs jobs. »
 
Écrire à deux c’est difficile?
« C’est vraiment une histoire d’atomes crochus. C’est une affaire de confiance mutuelle. Je l’ai fait souvent au théâtre par exemple et j’y vois un avantage. Car un film, c’est long, il faut être patient. Tu peux attendre 4 à 6 ans avant d’avoir les sous pour le faire. Pendant 6 ans, si t’es tout seul, c’est long, si t’es deux c’est moins long. Et quand un des deux ne voit plus d’avenues, l’autre peut avoir une idée. C’est le grand avantage. Mais pour que cela marche, il faut que les deux personnes s’entendent. »
 
Comment s’est déroulé le tournage et l’accueil dans les régions?
« Très bien. Dans le bas du Fleuve, j’avais déjà des complicités avec un gars qui s’appelle Alain Morel qui vit à Saint-André de Kamouraska et qui nous a prêté son motel qui a même joué dans le film et nous a raconté son histoire. Il est lui-même un ancien casque bleu de la Bosnie. Et c’est un gars que ma famille connait depuis très longtemps. Quand on avait besoin de quelque chose, on demandait à Alain et il activait ses réseaux dans la région. Les gens ont été super accueillants, très fiers de montrer leur région. »
 
Un dernier mot sur le film?
« Il faut encourager les gens à aller voir le film. Au Québec on se targue beaucoup de notre culture québécoise qui se distingue. Mais si les gens ne suivent pas et ne vont voir que les films américains, on ne durera pas. Il faut aller voir les films québécois aussi, car sans l’appui du public, il n’y aura pas de culture ici dans l’avenir. Le gouvernement ne peut pas faire tout tout seul. Et c’est une lutte à refaire chaque année. C’est vrai que les films québécois ne sont pas tous bons. Mais ils ne sont pas pires que les films européens ou américains. On se défend bien. Mais comme on est colonisé, on pense souvent que ce qui vient de l’extérieur est meilleur que ce qu’on fait. En espérant qu’on va évoluer dans ce sens-là pour apprécier ce qu’on a et ce qu’on est.»
 
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Questions pour Louis Bélanger :
Bravo pour ce film qui nous fait pleurer et rire en même temps.
« C’est un dosage qu’on essayait de faire. Beaucoup de gens nous demandaient où on s’en allait avec ce film. Ce n’est pas commun les ruptures de ton comme on l’a fait, passer du rire aux larmes constamment. Nous autres on défendait cette idée-là. C’était hors de question de faire un film qui allait être lourd et pesant en prenant en otage les spectateurs. On voulait trouver une façon de faire éclater la vie dans le malheur. Je pense que les grands films que j’ai aimés étaient comme cela. Un film qui bardasse les émotions, entre le rire et les larmes. »
 
Pourquoi avoir choisi Alexis et François?
« Je voulais travailler avec Alexis Martin. L’écriture d’Alexis au théâtre m’inspirait beaucoup. Le théâtre d’Alexis (directeur du NTE Nouveau théâtre expérimental) ne ressemble à rien de ce que j’avais déjà vu. Ce qui sort de là est assez inusité. C’est un homme d’une grande culture pour son âge. Il a étudié en philosophie. Il a un sens de la poésie peu banale. Je suis, pour ma part, étiqueté émotion, naturalisme, regard plutôt documentaire. Je voulais jumeler l’univers d’Alexis et le mien. Il pourrait émerger quelque chose d’assez intéressant, je le souhaitais. Dans un processus d’écriture d’un scénario, cela peut être très long, sur plusieurs années. Je dois d’abord réfléchir à un thème, de faire des lectures reliées à ce thème-là, des ouvrages référentiels. Il faut que j’aie des discussions avec des gens qui ont vécu des formes d’épreuves. C’est un peu une forme de journalisme. Ensuite, je suis prêt à écrire. Quand on fait un film, surtout avec les sous du public, il faut avoir un scénario qui est béton. Il doit être fort. Et ce qui est le fun, c’est de pouvoir laisser décanter une première version de scénario pendant quelques mois et ensuite pouvoir y revenir et voir ce qu’on aime encore et ce qu’on trouve qu’on doit retravailler ou l’enlever… Pour François, je l’avais dirigé deux fois, dans Post Mortem et le Génie du Crime. À la fin de ce film, il y a une scène forte, dramatique et je me disais que c’était facile de travailler avec lui, comment il est fort. Aussi, je voyais souvent François au théâtre. À chaque année il porte une production majeure sur ses épaules au théâtre. Je me disais qu’il était dû pour un rendez-vous de même avec le cinéma. À preuve, tout le monde se l’arrache ces temps-ci. Il a fait 4 films cette année.»
 
Et d’avoir Denise Robert et Fabienne Larouche en arrière du projet est-ce que cela aide ou cela met une pression supplémentaire sur les épaules?
« Elles ont été tellement d’un grand support dans tout cela. Elles comprenaient ce qu’on essayait de faire et elles ont même défendus le film à plusieurs reprises. Ce sont deux femmes qui ont un énorme respect pour l’écriture. Denise partage son quotidien avec un auteur. Fabienne est elle-même une auteure. Donc, elles protègent le projet et le défendent. Elles ne veulent pas qu’il soit dénaturé pour en faire une série de compromis pour arriver à faire le film. Elles ne pensent pas que c’est la bonne solution. Il y a d’autres solutions à trouver et on va les trouver. Pour le financement, elles ont défendu le projet, pour le tournage elles ont offert tout le support requis. Pour la postproduction elles ont été extrêmement créatives. C’était de bonnes interlocutrices. Et là où j’ai été épaté, c’est par l’intelligence qu’elles ont pour la mise en marché d’un film, le savoir-faire. Ce sont des dames qui connaissent cela, c’est incroyable. Je suis en Cadillac avec elles.»
 
 
Questions pour François Papineau :
Qu’est-ce qui vous a attiré pour jouer ce rôle?
« D’abord le fait d’être demandé par Alexis et Louis. Ce sont des gars que je connais depuis très longtemps. J’ai joué beaucoup au théâtre avec Alexis et j’ai joué dans 2 films pour Louis. Quand, il y a 4-5 ans, ils m’ont parlé du projet, ce n’était pas tout à fait concocté, mais j’étais déjà intéressé. Ensuite, j’ai été doublement intéressé quand j’ai vu que ce ne serait pas évident à jouer et que c’était un acte de confiance de leur part de me demander d’en faire partie. Ce n’était pas évident de voir comment on présenterait et le sujet et la façon de l’exprimer pour que ce soit agréable au public aussi… À chaque fois qu’on faisait une scène, on se demandait si on était trop deep ou trop en train d’être comique. C’est un espèce de dosage qu’on devait travailler ensemble. Tout cela en fait m’attirait, et de savoir en plus que c’était un acte de foi de la part de tous. »
 
Le fait que votre personnage parle peu et qu’il est plutôt intérieur et doit faire parler ses émotions par ses yeux par exemple, était-ce un grand défi pour vous?
« Comme je connais Louis et Pierre Migneault qui est à la caméra, je savais que ce que je faisais allait être capté. Des fois tu peux faire la même chose, mais si la caméra est trop loin, ou mal placée et ce n’est pas capté, ce que t’as fait, même si c’est vraiment gros ce ne sera pas visible. J’avais beaucoup confiance en l’œil de Louis et à ses intuitions. Je savais que cette profondeur-là et cette lourdeur-là, du fait qu’il y avait les contrastes aussi avec Alexis, allaient paraitre en contraste justement. Comme il allégeait justement la situation, cela permettait de mieux montrer la profondeur du drame.»
 
Vous avez joué aussi dans 3 temps après la mort d’Anna, dans un autre film sur le deuil d’un enfant. Est-ce que cela devient lourd, un moment donné ou déprimant de jouer ces rôles, coup sur coup?
« Pas vraiment, car le travail qu’on fait, c’est de la gymnastique en amont que l’on fait. Ce sont des couloirs émotifs que tu cherches et que tu finis par trouver. Au cinéma, on n’a pas plusieurs mois pour tourner. On a une scène très intense à jouer, on a un temps alloué jeudi entre 4 et 8 heures, c’est à ce moment-là qu’il faut que ça se passe. Donc tu te prépares mentalement avant. Cette espèce d’autohypnose qui t’amène à te préparer pour ce moment-là. Mais quand tu n’es pas dans ce moment, tu n’es pas dans cette émotion-là non plus. Tu ne peux pas faire croire à ton cerveau de toute façon que tu es dans cet état-là, car ton cerveau cherche la réalité dans un sens. Tu ne peux pas te berner toi-même. Je ne crois pas dans la psychose d’un comédien qui va entrer dans la peau d’un personnage et y rester pendant des mois. Même souvent, c’est moins juste que du monde qui embarque et qui en sorte. Il faut que tu restes élastique. C’est comme un cœur de coureur, si tu fais juste des marathons, un moment donné tu te pétrifie
 
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Questions pour Denise Robert :
Comment est née cette collaboration avec Louis Bélanger pour le film?
 « C’est quand j’ai vu Post-Mortem que je me suis dit que je voudrais travailler avec un cinéaste comme cela. J’ai approché Louis qui travaillait à ce moment sur Gaz bar Blues et je lui ai donné carte blanche pour un prochain projet. Il est revenu quelque temps après en voulant développer un projet avec Alexis Martin et m’a raconté un peu l’histoire. »
 
Et vous avez établi un partenariat avec Fabienne Larouche pour ce film. Pourquoi un autre collaborateur, quand vous avez du succès comme producteur vous-même?
« Ce n’est pas une question de m’aider à faire la job, pas du tout. En Europe, le partenariat entre des boites de production qui se respectent c’est très habituel. Fabienne c’est quelqu’un qui travaille fort. C’est un créateur elle-même. Cette collaboration permet au réalisateur d’avoir deux fan-clubs plutôt qu’un. Donc des gens qui peuvent lui donner encore plus d’outils. Cela a été une expérience très concluante. Je l’avais déjà fait avec Roger Frappier sur un autre projet. J’aime bien collaborer avec des gens. Faire un film c’est difficile, alors d’avoir plusieurs têtes autour d’une table qui travaillent pour le film, c’est un plaisir. »
 
Le film semble bien voyager dans les festivals?
« Le film a été au festival des films du monde. François a gagné le grand prix de meilleure performance par un acteur. Ce qui est formidable parce qu’il y avait un jury de grandes personnalités du monde du cinéma. Ensuite le film a été présenté à Namur en Belgique, il a été acclamé à Toronto. Il va être à Vancouver et il commence sa tournée de festivals dans le monde. Le film va se promener… C’est un film touchant et drôle en même temps. On s’identifie à ces personnages-là. »
 
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Synopsis
La veille de l’enterrement de son jeune fils, Gilles (François Papineau) noie sa peine dans l’alcool quand il croise par hasard à la taverne Bob (Alexis Martin), un vieil ami qu’il avait perdu de vue, un receleur qui gagne sa vie en multipliant les petites magouilles. Gilles et Bob décident de prendre la route : destination inconnue. Leur périple sera parsemé de rencontres imprévisibles et le voyage prendra une tournure inattendue, amenant Gilles et Bob sur le chemin de l’espoir et du renouveau.
 
Mon appréciation du film
Campé principalement sur la route, à Montréal d’abord, puis dans le Bas-Saint-Laurent, dans la région de St-André-de Kamouraska, de Cacouna, de Notre-Dame-du-Portage et de Rivière-du-Loup, ce film est un véritable petit bijou de drame intimiste, humain, avec une pointe d’humour pour détendre l’atmosphère.
 
Avec comme trame de fond, un homme atterré par le chagrin et la culpabilité suite à la mort de son jeune fils de 5 ans, on pouvait s’attendre à un film plutôt triste. Toutefois, Alexis Martin et Louis Bélanger, avec un scénario très habile, ont trouvé le juste équilibre entre les scènes intenses et les moments plutôt drôle, afin d’en faire un film bouleversant et réjouissant à la fois. Les deux principaux personnages sont attachants et ils contrastent bien un avec l’autre. Pendant que Gilles (François Papineau) tente de composer avec la perte de son fils, en se refermant sur lui-même, Bob (Alexis Martin) lui, fait le bouffon de service pour détendre l’atmosphère. Bizarrement, tout au long du voyage, tout autour de lui semble le ramener à son fils. Que ce soit lorsque le vieux fermier un peu sénile chez qui il va téléphoner pense que c’est son fils qui revient, ou lorsque des militaires lui parlent des enfants morts en Bosnie, ou même quand Bob trouve enfin une compagne à son goût, elle a une fillette qui lui rappelle son fils.  
 
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Ce film n’aurait pas tout cet impact et ne serait pas si émouvant, sans la performance remarquable de François Papineau. On ressent une infinie tristesse, un désespoir flagrant de sa part. Pourtant, malgré ses écarts de conduite, on lui pardonne tout. Un personnage digne de son immense talent. Pour sa part, Alexis Martin, le loser attachant, en contrepartie, casse le rythme, amène le sourire, la bonne humeur, par ses répliques et sa spontanéité. Ces deux ingrédients ensemble permettent le bon dosage d’émotions.
 
En deuxième plan à cette histoire, avec les images de toutes beautés de la région de Kamouraska, on découvre, avec nos deux compagnons, une partie de notre pays qui se meurt, qui se voit désertée. De magnifiques paysages de campagne et le fleuve qui coule autour, nous sont proposés avec une musique très bien agencée. Ainsi, on apprend entre autres que dans certains villages les caisses ferment pour ne laisser que la place aux guichets automatiques et les personnes âgées sont laissées pour compte dans des foyers à la salubrité douteuse.
 
Paradoxalement, c’est dans ces régions abandonnées, en deuil, que Gilles et Bob vont faire chacun leur parcours intérieur. Ils vont retrouver le goût à la vie, l’espoir d’un monde meilleur, la possibilité d’un changement positif. Gilles qui n’accepte pas la mort de son fils, n’a plus le goût de vivre, va à la recherche de ses repères, sa famille, ses souvenirs. Il vient chercher du réconfort, de la tendresse, des conseils, chez son cousin, sa tante et sa grande mère. Chemin faisant, il passe à travers les diverses émotions du deuil. La colère, le déni, le désespoir et l’espoir. Une phrase m’a interpellé particulièrement dans le film « Ne gaspille pas tes forces sur ce que tu ne peux pas changer ».
 
Plusieurs autres personnages interagissent avec ces deux êtres. Des acteurs de renom, tels que Andrée Lachapelle, Janine Sutto et Clémence Desrochers, amènent chacun leur vision de la vie, leur philosophie. On les voit vivre, s’amuser, sympathiser entre eux, à la campagne. Un beau contraste avec la grande ville. Une grande paix et une quiétude nous habitent à mesure que l’histoire progresse.
 
 
 
En définitive, ce film bouleversant sur le deuil, est rempli d’espoir et de vie. Longtemps après être sortie de la salle, j’ai continué à me remémorer des scènes du film et à me questionner sur les réactions que je pourrais avoir si c’était mon enfant que je perdais ainsi.
 
 
Route 132 a été présenté en première mondiale au Festival des films du monde. François Papineau y a remporté de prix de la meilleure interprétation masculine. Ce film a également fait partie de la sélection des films québécois au Toronto international film festival et sera présenté également lors de la 7e édition de la tournée des rendez-vous du cinéma québécois, du 7 octobre au 18 novembre 2010
 
 
 
 
 
Réalisateur Louis Bélanger
Producteurs (Aetios Productions) Fabienne Larouche, Michel Trudeau
Producteurs (Cinémaginaire) Denise Robert, Daniel Louis
Scénaristes Louis Bélanger, Alexis Martin
Images Pierre Mignot
Concepteur artistique Emmanuel Fréchette
Costumes Judy Jonker
Monteur Claude Palardy
Musique originale Benoit Charest, Guy Bélanger
Son Marcel Chouinard, Luc Boudrias
Création sonore MarieClaude Gagné
Directrice de production Michèle StPierre
Directeur de postproduction Guy Langlois
Distributeur au Canada Alliance Vivafilm
Ventes internationales FunFilm Distribution
Relations de presse Alliance Vivafilm, Annie Tremblay, Geneviève Côté
 
François Papineau : Gilles
Alexis Martin : Bob
Sophie Bourgeois : Mélanie
Andrée Lachapelle : Alberta
Gilles Renaud : Curé de St-André
Janine Sutto : Carmelle
Gary Boudreault : Sergent Michaud
Clémence Desrochers : Mme Déziel
Benoît McGinnis : Damien
Alice Morel-Michaud : Maude
Également : René Caron, Roger Larue,  Roger Léger, Pierre Collin, Bobby Beshro…
 
 
Alliance Vivafilm
 
 
 
crédit photos : Kyrel et Alliance Vivafilm