Le Pillowman à la Bordée

«Il était une fois… une très ingénieuse mise en scène de Denis Bernard avec des acteurs de génie
qui racontent une série de contes à saveur de comédie noire!»
 
 
Après avoir connu un vif succès en 2009 lors de sa création à La Licorne, Le Pillowman dans le cadre de sa tournée, s’arrête à Québec, au théâtre de la Bordée, jusqu’au 11 décembre prochain. 
 
En résumé 
Nous sommes dans un État totalitaire. S’il travaille dans un abattoir, Katurian (Antoine Bertrand) se définit avant tout comme un auteur. Il a des centaines de nouvelles à son actif. Écrivain dans l’ombre, il n’a pour tout public que Michal (Frédéric Blanchette), son frère aîné, un homme demeuré dans l’enfance : il est juste un peu lent, dira Katurian, qui s’en est fait le protecteur suite à la mort de leurs parents.
 
Un jour, Katurian se fait embarquer pour un interrogatoire. Il est en garde à vue, les autorités s’intéressent à ses écrits. Katurian ne comprend absolument pas pourquoi. Tupolsky (Daniel Gadouas) et Ariel (David Boutin), deux inspecteurs chargés de l’enquête qui aiment bien « croquer de l’auteur » à l’occasion, voient les choses autrement… Car ce que Katurian ne sait pas, c’est que trois enfants sont disparus dans des circonstances qui ne sont pas sans rappeler certaines de ses nouvelles.
 
Martin McDonagh propose ici une comédie noir charbon qui se double d’un conte moderne.
 
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Pour le décor, ce n’est qu’une partie de la scène de la Bordée qui est utilisée. On y a recréé deux salles d’interrogatoire divisées par des miroirs sans tain. Une des salles fait face au public et elle a été créée pour donner l’effet de profondeur, avec des murs capitonnés de chaque côté, autant pour démontrer que c’est un endroit pour enfermer les durs à cuir ou les fous, autant pour faire référence aussi à l’histoire du «Pillowman », l’homme-oreiller, qui est au cœur du récit. Ce genre de décor est très distinctif du Théâtre de la Manufacture qui a présenté un style similaire, soit une chambre intégrée sur la scène avec effet de profondeur dans la pièce Coma Unplugged l’an passé au Théâtre Périscope. 
 
Grâce à ces miroirs qui, parfois demeurent noirs, sans qu’on y voie à l’extérieur, ceci permet, avec des jeux de lumière, de voir parfois dans l’autre salle d’interrogatoire, mais aussi de faire apparaître à l’occasion les personnages des histoires qui nous sont racontées, pour ajouter un élément de peur, de frisson, de macabre… Très ingénieux comme mise en scène de Denis Bernard et utilisation des décors.
 
Dès les premières minutes de la pièce, le public est dérouté et inconfortable. On assiste à un interrogatoire très étrange, où deux policiers quelque peu détraqués, dérangés, questionnent et malmènent le docile et affectueux Katurian, cet auteur dont les contes font dresser le poil et nous fait questionner comment un être si doux peut-il écrire des histoires aussi horribles? Le ton est donné. Tout au long de la pièce, les gens alternent entre le rire et la frayeur, le drame extrême et l'humour, entre la violence et la tendresse. Il y a un regard qui est posé sur l’enfance, sur ses rêves, ses blessures et ses espoirs. On nous raconte l’histoire d’une fillette qui se prend pour la réincarnation de Jésus, d’un cochon vert qui est heureux d’être différent et le pillowman qui vient hanter le sommeil des enfants. Toutes ces histoires sont racontées de façon déstabilisante, avec de la musique qui ajoute à l’atmosphère de suspens. Parfois, ce sont les lumières tamisées, avec le visage de son auteur (Antoine) qui est projeté sur les murs capitonnés pour augmenter l’intimité. Mais aussi, on a des personnages qui viennent jouer des parties d’histoires, de manière grotesque, exagérée, toujours pour ajouter au sentiment de thriller fantastique.
 
 
 Le Pillowman pose une question cruciale : un créateur doit-il être tenu responsable des conséquences sur sa communauté de l’expression de son imaginaire?
 
Au niveau des acteurs, le public est choyé d’avoir Antoine Bertrand qui réussi à se faire aimer du public dès les premiers instants. On croit facilement à sa fragilité, sa tendresse et son amour pour son frère, sans jamais douter de sa bonne volonté. Frédéric Blanchette, en contrepartie, interprète le frère, simple d’esprit, de Katurian. Une performance géniale, qui ne peut que nous faire penser à Lennie du roman Des souris et des hommes de John Steinbeck. La relation entre ces deux frères est émouvante et inquiétante à regarder. Ce sont mes meilleurs moments de la pièce.
 
 
Daniel Gadouas et David Boutin, quant à eux, sont délicieux à regarder jouer. Deux policiers complètement dérangés. Un autre duo savoureux, où les couteaux volent bas, et la détresse est ressentie par le public, à travers ces paroles dures et cette violence inutile. Un autre moment magique pour moi survient lorsque Tupolsky raconte de sa voix bourrue l’histoire du garçon sourd, de manière attendrissante, mais à la fois tellement humoristique.
 
Finalement, je me dois de faire une mention toute spéciale de la performance de Audrey Rancourt-Lessard, qui incarne les enfants dans la pièce. Un jeu très physique avec plusieurs changements de costumes et une finesse et justesse de jeu inouï.
 
Encore une fois, cette pièce nous émeut, nous déstabilise, nous surprend par ses revirements constants et ses personnages à l’humanité aussi grande qu’effrayante.
 
Ce n’est pas surprenant que le public se soit levé d’emblée à la fin de la pièce de deux heures, pour clamer de «Bravo!» les acteurs à trois reprises.
 
 
Une production du Théâtre de La Manufacture en codiffusion avec le Théâtre de la Bordée
 
Auteur de la pièce : Martin McDonagh 
Mise en scène : Denis Bernard
Assistance à la mise en scène : Marie-Hélène Dufort
Décor : Olivier Landreville
Costumes : Mérédith Caron
Lumières : André Rioux
Musique originale : Ludovic Bonnier
Accessoires : Patricia Ruel
Distribution :
Katurian : Antoine Bertrand
Michal : Frédéric Blanchette
Tupolsky : Daniel Gadouas
Ariel : David Boutin
Les enfants : Audrey Rancourt-Lessard
 
 
Du 30 novembre au 11 décembre, Le Pillowman est au Théâtre de la Bordée.
Ensuite, la pièce sera à l'affiche du Théâtre du Rideau Vert à Montréal du 11 au 22 janvier 2011.

Billetterie
Théâtre de la Bordée: 418 694-9721
Théâtre du Rideau Vert: 514 844-1793

 
Crédit photos : Suzanne O’Neill