Entrevue avec Sébastien Lafleur, chanteur-écrivain Montréalais

Sébastien Lafleur
Sébastien Lafleur

Peux-tu te présenter, ce que tu fais, qui tu es ? Comment ça a commencé ?
Mon dieu, ça a commencé dans l’utérus ! Écrire des chansons a commencé quand j’étais enfant. Chansons, harmonica. Mais ça n’était pas mon occupation principale, qui était plus d’examiner les larves de la piscine au microscope. J’ai commencé à vraiment jouer de la musique à l’adolescence, vers 14 ans. J’écrivais déjà des chansons avec la guitare, puis j’ai fait quelques trucs solos, non-officiels ; après ça j’ai eu un groupe au début de l’âge adulte, qui s’appelait « Le Jet Sex ». On a participé aux Francouvertes à un moment donné. On a beaucoup joué ensemble de façon amateur, puis de façon officielle ça n’a pas duré très très longtemps – on s’était trop vu ! Mais c’est ça, il y a eu l’épisode du Jet Sex, après je suis retourné dans le projet solo. Qu’est-ce qui a vraiment fait naitre le projet solo au niveau professionnel ? C’est le cabaret de la chanson que j’animais. J’animais des soirées de chansons et j’invitais des auteurs-compositeurs. Puis je suis retombé sur Navet (Confit) dans une de mes soirées ; il était venu chanter et il avait entendu mon nouveau matériel solo. C’est à partir de ce moment-là qu’on a commencé à faire des disques. Et là je suis rendu à 3 disques avec lui. J’ai fait des spectacles accompagné d’un groupe, des spectacles en duo, mais la plupart du temps je joue en solo, avec mon moi-même et mes bidules.

Qu’étaient ces cabarets de la chanson que tu animais ?
C’était des micros ouverts semi-organisés ; je recevais la scène émergente, au niveau des compositeurs de chansons. J’aimais beaucoup quand il y avait des trucs plus spontanés, que les gars se présentent et puis … Des fois ce n’était pas booké d’avance, et les gens pouvaient se présenter comme ça à l’improviste. Pis j’ai fait plein de rencontres, pas juste Navet, d’autres gens aussi. Je m’ennuie un peu de ça d’ailleurs, on dirait que ce genre de soirées s’est perdu dans le monde francophone. Chez les anglophones, ça continue je crois. C’est une tradition qui se perd vraiment à Montréal.

Et tu organisais ça où ?
J’ai commencé à L’Utopique, qui est devenu L’Escalier je crois, c’est eux-autre qui me l’ont proposé. Après ça j’ai exporté l’événement dans un ou deux autres bars, à l’Aquarium café, au Minot ; mais tu vois, c’était surtout à l’Utopique que je faisais ça. Dans les autres endroits, j’ai eu de la difficulté à me fournir des nouveaux noms. À l’Utopique, il y avait vraiment beaucoup de gens qui voulaient jouer là, et ça facilitait le renouvellement. Aux autres endroits où on m’a proposé de le faire, ils s’attendaient à ce que j’amène les auteurs-compositeurs, mais ça sonne rien de revenir toujours avec les même, ça prend tout le temps de la nouveauté. Je ne dirais pas non à recommencer, n’importe où, mais ça prend du monde ! Ça prend des lieux populaires aussi.

 

Sébastien Lafleur au Quai des Brumes
Sébastien Lafleur au Quai des Brumes

Dans tes chansons tu as des textes assez particuliers, j’imagine que tu aimes jouer avec les mots ; mais as-tu un ou des messages particuliers à faire passer, ou un ou des thèmes que tu préfères évoquer ?
Il faut regarder une chanson à la fois. C’est assez mystérieux, même pour moi, ma façon d’écrire. J’écris énormément, et pas seulement des chansons ; j’écris aussi des chansons pour enfants, j’écris des nouvelles … Puis je suis de moins en moins instinctif. Je dirais que dans la période du premier album, ça n’était que de l’instinct, puis après du peaufinage. Maintenant, forcément, pour ne pas se répéter, on dirait qu’il faut travailler plus fort … L’instinct ne suffit plus, alors maintenant je me donne des thèmes. Comme dans Parfum de Ferme par exemple. J’avais envie de parler des enfants trop gâtés et de la société trop gâtées. Dans Mademoiselle est Ceinture Noire, je voulais faire une chanson d’amour mais plus humoristique, avec une fille qui, en fait, est comme la personne qui protège. Pêcher des Chapeaux en Cachemire est la 3e partie de la même histoire qui s’échelonne sur 3 albums. C’est un lieu, avec un personnage, une serial-killer. Puis là elle emmène ses nouvelles victimes … J’aime ça dépeindre des environnements assez cinématographique. J’essaie d’avoir cette approche-là, le fait de raconter, tout en état musical quand même.
J’essaie de faire plus que de la chanson, je veux que les mots soient musicaux aussi. La sonorité des mots est une affaire que je peaufine énormément depuis les dernières années, pour dévoiler quelques secrets. Quand je travaille sur le texte d’une chanson, je suis devant l’ordinateur, puis j’ai peut-être 5 ou 6 onglets d’ouverts : un onglet de rimes, un onglet de synonymes, un onglet pour des références par rapport au sens du texte … A chaque fois que j’écris une nouvelle chanson, j’essaie de m’approprier un petit peu de nouveau vocabulaire. Avec cette démarche, ça va faire un truc homogène : en utilisant un genre de mots, je reste dans un même niveau de langage. J’essaie de ne pas trop me promener d’un niveau de langage à l’autre, mais c’est évident que d’une chanson à l’autre, il n’y a pas exactement le même niveau ; comme dans Mademoiselle est Ceinture Noire, j’ai voulu faire quelque chose de plus soutenu.
Il y a plein de liens qui se créent dans ma tête : ce mot-là est là parce que cet autre est là, etc … Et j’aime ça aussi qu’il y ait des degrés de compréhension différents ; prendre les gens par la main, les amener à l’analyse de la chanson, et les amener à se poser des questions. Tant mieux si ils trouvent des réponses que je n’avais pas trouvées. Souvent, d’ailleurs, on te fait des remarques sur une chanson, et c’est tellement évident que ça veut dire ça, alors que ça ne l’était pas voulu au départ … J’avais plein de prétentions au début sauf celle-là, alors que ça devrait être la première chose la plus évidente ! J’aime que mes chansons soient une surprise pour moi-même aussi. Tant qu’elles sont bien foutues !

Tu disais travailler sur la sonorité des mots, tu te penches donc sur les assonances, les allitérations … ?
Ça reste quand même assez instinctif. Je n’ai pas énormément de connaissances en la matière ni fait de bac en littérature. Mais je sais que certaines lettres, certaines consonnes, et certaines syllabes sont plus pertinentes dans une chanson que dans une autre, dépendamment de la vitesse de la chanson. Je sais qu’il y a certains verbes et certains mots que je veux éviter. D’une chanson à l’autre, je vais changer d’idées sur certaines phrases et certain mots car ils ont été utilisés dans une chanson et que ça ne m’appartient pas.
Souvent, mes chansons sont construites dans un rythme qui se tient. Ce n’est pas au pied près, mais au niveau de l’écoute ce sont souvent les mêmes pieds d’une strophe à l’autre. Il m’arrive de tricher, ce qui est normal en chanson. C’est sûr qu’il y a des syllabes qui dépassent, ça n’est pas égal partout, mais pas grand monde ne fais ça aujourd’hui. Écrire en alexandrins est plus un projet de retraites ! Ça reste des beaux défis, mais je suis plus au service de la musique et de l’histoire qu’au service de la mathématique des syllabes.
J’aime bien la rime, mais ça ne veut pas dire qu’elle doit toujours être attendue d’une phrase à l’autre. C’est le fun des rimes bien pertinentes et bien réparties dans une chanson. Parfois aussi, lorsqu’il y a une rime qui s’en vient et qui est évidente, je me fais un malin plaisir de ne pas la faire.

Quelles sont tes influences littéraires ?
Depuis quelques années je lis beaucoup de Science-Fiction. Arthur C. Clark [auteur de 2001, l’Odyssée de l’espace, ndlr], Asimov … Sinon, mon auteur préféré est Houellebecq. Je ne suis pas très original, je pense que c’est l’auteur francophone le plus populaire au monde ou le plus lu, en tout cas c’est mon auteur préféré. J’aime beaucoup Agotha Kristoff. J’aime beaucoup L’Histoire de pi de Yann Martel.

Pas de poésie ?
Je n’ai pas beaucoup lu de poésie. Il y a seulement un truc dans ce genre littéraire qui m’a marqué : c’est Jean-Paul Daoust, un poète Québécois. Je l’ai connu car il lisait sa poésie au Cegep où j’allais – on était dans un Cegep axé poésie, j’ai même gagné des concours ! Je suis encore dans la lumière de son désir. Il a écrit ce vers car il a été abusé par un homme. Et aujourd’hui il est homosexuel. J’ai réutilisé cette phrase-là avec mes mots à moi dans une de mes chansons : mais je suis toutefois au souvenir de nos joies. Là je parlais d’Audrey Tautou. Car c’est connu que j’ai déjà eu une aventure avec Audrey Tautou. Je rigole, mais pour vrai c’est un vers qui se trouve sur la toune Audrey Tautou, où je raconte que j’ai vécu  une histoire d’amour avec elle, mais ça ne marchait pas car je me trouvais trop minable à côté d’elle … C’est de la fiction bien sûr.

Et au niveau des influences musicales ?
Brigitte Fontaine, Fred Fortin, P.J. Harvey énormément, beaucoup de thérémine en ce moment (instrument qui fonctionne avec le champ d’ondes qu’il émet) dont la virtuose Clara Rockmore. Je suis encore un ado concernant ce que j’écoute. Je suis très infidèle, mes gouts sont en constante évolution. Chaque année j’essaie de réécouter du Nirvana, mais je n’y arrive pas. J’enlève au bout de 2 ou 3 chansons, puis ça me déçoit ! Par contre avec les Doors, je suis un gros fan et ce depuis l’adolescence. Avec eux ça ne change pas. Sauf qu’il y a d’autres chansons qui deviennent mes préférées.
Sinon il y a Philip Katerine que j’aime beaucoup. Je viens de découvrir Timber Timbre, je ne sais pas si je suis en retard ; j’écoute le dernier album, j’aime tellement ça. Avec pas d’casque, où là aussi j’ai vraiment écouté leur dernier album, astronomie.

Te classes-tu dans un style ?
Moi je trouve que mon étiquette officielle me décrit bien : folk-psychédélique. En fait, je peux passer d’un style à l’autre, ou d’un sous-style à l’autre facilement sur mes disques. J’aime plein d’artistes qui font ça aussi, et je me sens à l’aise avec le fait que je n’ai pas un style si fixé que ça, ça ne serait pas moi. Qu’est-ce je veux de plus homogène ? Ce sont les textes. La musique peut changer un peu ou beaucoup d’une chanson à l’autre, mais j’ose croire que ce sont la même voix puis le même genre d’écriture.

Et qu’elle est ta manière de composer ?
Souvent, l’écriture d’une nouvelle chanson, la composition d’une nouvelle chanson, c’est par la découverte d’un instrument de musique ou d’un bruit – par exemple j’ai commencé à jouer du banjo, je me suis mis à composer des chansons au banjo ; donc c’est le banjo qui m’a donné la chance de composer ces trucs nouveaux -, ce sont des sonorités différentes qui vont donner de nouvelles idées et de nouvelles chansons. C’est très rare que je me remette à composer de nouvelles chansons avec ma guitare. Ma guitare je l’aime bien, elle m’accompagne dans mes concerts, mais pour composer, je me suis acheter un nouveau gadget, je l’essaie, et il y a des mots qui me viennent … Ou sinon je vais pianoter des trucs devant l’ordi, puis je compose mes mélodies comme ça, puis d’autres choses viennent se greffer, et ça vient couche par couche … Qu’elle est bordélique ma façon de travailler parfois ! Tantôt, je te disais que j’étais très méthodique au niveau des textes, mais avec la musique, je suis très bordélique ; je tape un peu partout, sur n’importe quoi, après ça je replace avec l’ordinateur. Puis finalement quand je pense que j’ai une chanson, ben il faut que je l’apprenne à la jouer ! Hahaha !
Donc c’est ça, après avoir fait plein d’expérimentations avec l’ordinateur, après avoir enregistré des trucs, là j’apprends ma chanson avec ma guitare, puis je l’enregistre. C’est juste que ça m’ennuie un peu de prendre ma guitare et d’être avec ma feuille, … je sais pas, ça me vient plus ! Ça me venait avant, mais maintenant, ça me prend un peu plus de jouets, de nouveauté, de toucher des choses nouvelles.

Donc les paroles viennent après la musique ?
Dans ces dernières années … J’écris des nouvelles, j’écris des histoires, là ça va. Mais pour les chansons, ça part vraiment de bidouillages sonores ou musicaux. Puis là les paroles viennent. Elles ne viennent pas tout le temps de la même façon, mais on dirait que j’ai besoin d’une ambiance sonore pour que les mots commencent à surgir. Mais c’est difficile je trouve. Alors que seulement écrire, des petites histoires, des petits poèmes, je trouve ça facile. Elle n’est pas importante, la longueur de phrases, il ne faut pas que ce soit trop long ; puis même on dirait que ça coule tout seul. Et je me mets à écrire des choses qui n’ont rien à voir avec mon genre d’écriture pour les chansons, mais je trouve ça facile. J’aimerais que ça le soit autant pour les chansons. Il n’y a personne qui pourra me faire croire que la chanson est un medium facile. Ça l’est peut-être sous la pression, lorsqu’on demande à faire une chanson en une journée ; et oui elle est officiellement finie, mais dans le fond elle n’est pas appropriée encore. C’est juste ma vision des choses, je ne suis jamais arrivé à enregistré une chanson en une ou deux journée sans y retoucher.
Il y a des chansons qui me suivent depuis 3 albums, comme À Dos de Dragon. Elle ne s’est pas retrouvée sur le premier, ni sur le deuxième, puis finalement je l’ai enfin arrangée à mon gout pour la sortir sur cet album. J’ai beaucoup de chansons dans le tiroir, j’en ai tout le temps. J’en ai tellement fait … Avant de sortir  mon premier disque, j’avais déjà du matériel. Du coup, j’ai toujours une grosse banque de chansons. Depuis quelques mois voir un an, tout ce que je veux c’est jouer du thérémine (rires), alors pour les chansons, je ressorts ce qui a été fait, je ramène ça, et c’est comme ça que j’me fait du fun en ce moment.

Ton disque est donc sortit avec ton label La Cage à Hedwige …
C’est mon label ! Je ne sais pas si je sortirai d’autres artistes, mais c’est mon label !

Ça fait longtemps qu’il existe ?
J’ai commencé à en parler à partir de l’album brulé. L’album mouillé est sortir avec Dry & Dead, qui est le premier label de Navet Confit. Il avait sorti moi, il avait sorti bien sûr lui-même, il avait sorti Chocolat, le premier groupe à Jimmy Hunt … L’album brulé – le 2e – est sorti uniquement en téléchargement. Je vais voir la réponse avec cet album, et si j’ai de quoi je le sortirai en physique.

Ils viennent d’où tes titres pour les albums ?
Au départ, j’aimais bien l’idée de nommer les albums sans les nommer, comme le black album ou l’album blanc des Beattles. Tout comme Navet qui sortait des LP1, LP2, … Étant donné qu’au départ ça sortait sous Dry & Dead, on voulait une signature propre à ce label, donc on s’est demandé : « ça pourrait être l’album quoi ? ». Puis j’ai pensé aux 4 éléments, et on a commencé par l’album mouillé, et on était fixés sur le nom des 4 prochains projets ! Le mini soufflet est comme une parenthèse entre l’album brulé et l’album de vent. Car j’ai beaucoup beaucoup de matériel pour l’album de vent alors j’ai décidé de sortir un petit teaser cet album, et recréer de l’intérêt avant de signer avec une maison de disque (rires).

Des concerts en projection ?
Je suis dans une période d’occupation. Je vais faire des concerts de gauche à droite, plus la réponse va être bonne, plus je vais faire de concerts, mais je n’ai pas de dates à te donner !

Très bien ! Et bien merci à toi !
Merci à vous, et à bientôt.

Entretien réalisé le 15 Aout.
Crédit photos : Jonathan Le Borgne
Site de l’artiste : sebastienlafleur.bandcamp.com/