Quand la mer… au Théâtre Périscope

Crédits photo : Nicola-Frank Vachon
Crédits photo : Nicola-Frank Vachon

Ici, fini les remake de Shakespeare, les adaptations de Ducharme, les bonhommes de Michel Tremblay, les comédies d’Ionesco. Ici, on parle de quelque chose d’atrocement universel, à la base de tout: la lutte entre la tradition et la modernité. Dans toute sa simplicité, dénuée de tout subterfuge, l’histoire s’est construite en elle-même sous la plume d’Esther Beauchemin. En un lieu et un temps indéfinis, des personnages entrent et sortent, arrivent et partent, restent et cherchent, s’accrochent et se rebellent.

Inspirée de l’assèchement de la mer d’Arral, Quand la mer… nous transporte dans un petit village de pêcheurs aux traditions bien ancrées. Mais on apprend avec les personnages que rien ne peut être ancré pour l’éternité: notre monde en est un de changement, d’évolution. Tout commence avec Ousnia qui refuse de se couper les cheveux pour son mari : la femme qui désire s’appartenir. Puis on voit Irina qui fuit son frère Yoram et les obligations qu’il lui impose : la femme qui veut son indépendance. On a Goury qui combat la tradition qui veut que le père lègue le bateau au frère aîné : l’opposition père-fils. Puis, Menko qui veut aller retrouver sa Nourous et ses moutons : l’affirmation, la modernité. Et finalement, Nourous qui veut montrer à sa mère qu’elle peut voler de ses propres ailes : la fille devenant femme. Et au milieu de tout ça se retrouvent les commères, ces « vieilles corneilles miteuses », qui commentent, jugent, pointent, accusent. Mais surtout, la mer, élément naturel qui n’arrive pas, lui non plus, à tenir ses promesses, à vivre de traditions éternelles.

Une allégorie, presqu’un conte: c’est différent, différent de la plupart des pièces que nous sommes habitués de voir, et c’est bon. C’est un témoignage puissant, un témoignage de révolte, pour ou contre le changement, pour ou contre les traditions. C’est un témoignage d’espoir, qui s’ouvre sur un monologue répétant  »un jour », qui se clôt sur un monologue répétant « un jour ». Comme si le monde n’était que continuité dans sa répétition. Balancés par des chansons, un feu de camp, une fête du Nouvel An, l’environnement sonore magnifique, les décors épurés, les humbles mais si beaux costumes traditionnels de villageois, on se sent petits ou grands, témoins d’un conte doucement tragique.

Le travail des comédiens est bien dosé, versant juste assez dans le tragique sans pour autant s’y enliser. On s’y attache, la catharsis fonctionne, on les aime. J’avais une seule envie, me lever de mon siège pour pleurer avec eux, les consoler, les comprendre. Mentionnons spécialement le travail d’Annick Léger, qui est à couper le souffle dans son rôle de mère hyper-protectrice car hyper-blessée, mais qui malgré tout, garde un cœur immense de beauté…

Mais pas seulement des larmes : de l’humour aussi. Les commères usent en effet d’un humour fin, qui a sur faire s’esclaffer la salle plus d’une fois. Un beau clin d’œil au gossip, vice laid, partout présent, et malheureusement humain.

Une pièce humaine donc, résumant bien la lutte primitive de l’humanité.  Sans nul doute, cette œuvre est à voir, au risque d’en sortir nostalgique, se rappelant que rien n’est acquis.

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Quand la mer… est présenté jusqu’au 5 octobre au Théâtre Périscope, puis se déplacera à Sudbury du 17 au 26 octobre au Théâtre du Nouvel-Ontario.

Texte et idée originale : Esther Beauchemin
Mise en scène : Philippe Soldevila
Distribution: Eloi Archambaudoin, Roch Castonguay, Céleste Dubé, Valérie Laroche, Annick Léger et Sylvain Perron.