Les Aiguilles et l’opium au TNM

Marc Labrèche
Marc Labrèche

Après une série de spectacles en Océanie et dans d’autres grandes villes d’Amérique du Nord, le spectacle de Robert Lepage se pose enfin à Montréal pour un retour à la maison fort attendu.  L’attente se faisait sentir pour la première, augmentant par le fait même l’engouement du public pour ce spectacle qui annonce déjà complet et pour lequel on a ajouté 12 supplémentaires.

La pièce détient un bel historique.  En 1991, c’est Robert Lepage lui-même qui écrivit, réalisa et interpréta ce monologue.  Marc Labrèche, qui s’était éclipsé de la scène théâtrale, revient à ses origines après plusieurs années au petit écran. Il replonge maintenant dans cette pièce qu’il avait justement jouée en 1994.  C’est d’ailleurs l’initiative du comédien de non seulement revenir sur les planches avec Les aiguilles et l’opium, mais de revisiter sous un prisme différent l’ensemble de cette pièce culte. Le grand blond au sourire narquois soulignait qu’il avait ‘’ l’impression de n’avoir pas été totalement au bout de la démarche’’.

Déception amoureuse, trame de Miles Davis et poésie à la Jean Cocteau tapissent l’œuvre d’une douleur subtile et profonde Certains seront surpris du casting attribué à Labrèche, un rôle qui est loin de ses récentes participations.  On le voit souffrant d’un manque de confiance accablant, d’une peine d’amour rongeante et torturé du mal de vivre qui s’en suit. Lepage tient à mentionner que Labrèche ne l’a pas seulement remplacé, il a fait grandir le rôle.  En effet, le personnage semblait tout indiqué pour lui. Celui qu’on connaît plus comme ce satirique capable de tout tourner à la dérision, dévoile sa grande sensibilité d’homme qui a lui aussi, des blessures à partager.

Avec cette collaboration, on retransforme Les aiguilles et l’opium d’abord avec l’ajout du danseur Wellesley Robertson III, un second personnage muet qui incarne le Jazzmen Miles Davis un ainsi rapide apparition par une actrice pour évoquer Juliette Gréco.   Ceux-ci qui n’étaient qu’ombre dans la pièce originale, ajoutent aujourd’hui un élément plus charnel.  Ils complètent  et renforcent la continuité des images maintenant qu’ils sont en chair et en os.

Les Aiguilles et l'opium
Les Aiguilles et l’opium

Accueillons les certaines prouesses acrobatiques de Labrèche, qui tiennent parfois plus de d’un athlétisme de cirque que du simple théâtre.  Par moment, la gravité n’apparait plus atteindre Marc Labrèche tout comme ceux du danseur qui se déplace sur scène avant tant de grâce dans leurs mouvements, qu’ils semblent être en parfaite apesanteur.  Ces avancées technologiques développées par l’équipe d’Ex Machina et leur manipulation créative permettent des rencontres fantaisistes entre les personnages historiques et cet homme moderne.  Les projections visuelles surprenantes et hypnotiques appuient les métaphores perturbantes qui sont livrées par les textes de Lettres aux Américains de Cocteau comme de Lepage.  On boucle les fils de plusieurs histoires d’hommes tous accablés des mêmes maux avec subtilité.  Plusieurs aspects cinématographiques apportent une vision différente à la pièce, mais aussi un optimisme dérangeant les limites que le théâtre s’impose parfois.

Ce qui était un spectacle culte vingt ans plus tôt voit son titre rétabli avec cette adaptation, ou plutôt cette recréation, qui est toujours aussi d’actualité.  La magie d’Ex Machina et le spleen  transmis par le comédien opère. Tout se tisse, se construit et déconstruit, se rapproche.  Ceux qui ont vu la pièce originale de 1991 verront cette version plus charnue et profonde, voir magnifiée.  L’humour tordant et la sensibilité émotive sont en parfait ballant.  Le duo excentrique Labrèche-Lepage ne pouvait faire autrement que surprendre leur public, l’attirant doucement vers leur monde de folie.

Texte, mise en scène et conception des éclairages : Robert Lepage

Production : Ex Machina

Distribution: Marc Labrèche et Wellesley Robertson III

© photos: Nicola-Frank Vachon