Coup de cœur pour Les Voisins au Théâtre de Rougemont

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Isabelle Vincent, Guillermina Kerwin, Kathleen Fortin

C’est du grand Claude Meunier que nous propose le Théâtre de Rougemont jusqu’au 30 août. Je dirais même qu’on a revu et corrigé Les Voisins pour nous redonner l’authentique théâtre absurde de Meunier, plus de trente ans après sa création. Personne ne l’aura autant compris que le metteur en scène Frédéric Blanchette qui a su jouer comme s’il s’agissait d’une partition musicale, avec les silences, les vides et les malaises de la pièce. Une comédie d’apparence si simple et si drôle qui est en fait, une mosaïque fort complexe des déficiences québécoises.

Heureusement, le Québécois sait rire de lui-même (le succès de La petite vie le prouve magistralement) et encore un fois, on se bidonne en regardant les voisins se parler sans se comprendre, s’insulter sans même le savoir et se rencontrer pour rien dire. Totalement absurde et c’est là que réside le grand art de Meunier. Les Voisins est devenu un classique du genre et il faudrait savoir que cette pièce demande autant de soins, de précision, de délicatesse et de timing comme dirait notre chère Denise Filiatrault, que pour monter du Ionesco, le grand maître du théâtre absurde.

Un voisin s’occupe de sa haie de cèdres, un autre s’occupe de sa femme qui se plaint de tout et finalement on décide d’organiser une rencontre des deux couples et d’un troisième un peu plus marginal, c’est à dire libidineux et alcoolique dans le cas de l’homme. On s’énerve et on s’habille affreusement (sans le savoir évidemment) pour la rencontre. Avant d’entreprendre un dialogue d’inepties et de phrases creuses qui ne mènent nulle part, les personnages tentent de s’asseoir. Geste banal s’il en fut, mais ici il s’agit d’une chorégraphie tordante qui dénote le vide intérieur et extérieur des impayables voisins : les femmes se tassent sur le petit fauteuil et les hommes se délassent et se bercent. Bon! Passons aux choses sérieuses. Les cartes? Pas encore. Les croustilles? Un peu. Les diapositives sur l’écran sur trépied? Voilà l’événement de la soirée. Imaginez un voyage en Europe avec des photos ratées et des commentaires qui n’ont aucun sens. Tordant, pissant, ça n’arrête pas.

Mais il y a encore mieux : les charades. C’est le meilleur jeu pour des gens qui ne se comprennent pas quand ils se parlent. Imaginez ce que ça donne quand il faut mimer la phrase sans parler. Il y a un incident pendant la charade que je ne vous raconterez pas. Drôle à mourir, c’est d’ailleurs ce qui a failli se produire….

En plus du metteur en scène, il faut aussi souligner le travail exceptionnel des comédiens qui n’ont jamais faussé la note à l’intérieur de cette œuvre particulièrement périlleuse qui ne pardonne pas le moindre retard, le moindre faux geste et le premier bafouillage. C’est tout un art de ne rien dire ou si peu et faire éclater la salle de rire. À ce propos, notons que ça n’a jamais cesser de rigoler dans la salle pendant la soirée. Aucun temps mort durant la pièce.

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Kathleen Fortin, Claude Despins

De belles surprises au niveau des performances. Pour moi, ce fut d’abord Henri Chassé que je n’avais pas vu depuis longtemps et qui m’a étonné dans le rôle d’un oncle Fernand assez rock’n’roll, imposant, tordu qui fait contraste avec des rôles plus délicats, effacés qu’il nous livrait auparavant. J’ai beaucoup apprécié aussi le jeu de Isabelle Vincent qui a trouvé le ton approprié de la femme soumise , écrasée d’une autre époque. Même physiquement, elle a réussi à se transformer, à se vieillir et à se ranger derrière son mari. Mais le plus étonnant, le plus vrai, le plus chaotique de tous, demeure l’incontournable Roger Larue, Bernard dans la pièce, celui qui est obsédé par sa haie. Impressionnant par son jeu physique penché, écrasé par la peur de changer, s’adapter. Lui aussi s’est vieilli jusque dans ses os. Kathleen Fortin, Claude Despins, Guillermina Kerwin, Sarah Laurendeau et Simon Lacroix sont également remarquables.

Des décors simples avec deux écrans, des chaises, un fauteuil et une table. Il n’en fallait pas plus. Dans cette comédie, tout est dans les mots, aucun besoin de fioritures ou d’atmosphère qui pourraient distraire les spectateurs.

Ils étaient nombreux d’ailleurs, le soir de la première à Rougemont. Parmi eux on pouvait reconnaître Claude Meunier, l’auteur , particulièrement satisfait de cette nouvelle version de sa pièce. Il a d’ailleurs souligné le travail du metteur en scène Frédéric Blanchette, également présent à la fête. Parce qu’il s’agissait d’une fête à Rougemont alors qu’on y présentait ce qui sera probablement la pièce de l’été. Elle aura une longue vie, c’est ma prédiction.

Notes : Les Voisins de Claude Meunier et Louis Saia présentée au Théâtre de Rougemont jusqu’au 30 août. Réservations au 450-469-1006 ou 1-888-666-3006

 

Photos: Mathieu Rivard