Hommage à Gilles Latulippe – le métier de comique: une entrevue

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Gilles Latulippe chez lui 2010

Cette entrevue accordée par Gilles Latulippe à Suzette Paradis a eu lieu en avril 2010 et a d’abord été publiée dans la revue Cinéressources. À cette occasion, M. Latulippe m’avait fait parvenir une photo maison!

Souvent ignoré et même méprisé, le théâtre burlesque est un art comique qui fait partie de l’histoire du spectacle au Québec. Et qui mieux que Gilles Latulippe pour nous raconter un monde qui était drôle avant d’être juste pour rire!

Cet homme pourtant si chétif, cette victime de toutes les belles-mères du monde du burlesque, fait partie des géants dans l’histoire de l’humour au Québec. Il a tenu la scène du Théâtre des Variétés pendant 33 ans en plus de faire partie de nombreuses séries dont le célèbre Symphorien, Poivre et Sel et combien d’autres émissions y compris l’animation de l’émission Les Démons du Midi à Radio-Canada.

Les plus vieux se rappelleront de ses gags ineffables dans les émissions du Capitaine Bonhomme et de sa première prestation dans Bousille et les Justes de Gratien Gélinas (1959) où il campait le frère Nolaste. Gilles Latulippe mange et vit de l’humour tous les jours de sa vie, un homme drôle sur scène, dans ses écrits et, selon lui, drôle dans la vie, «car un comique qui est triste est un comique mal payé», me dira-t-il.

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Dans le film Deux femmes en or avec Monique Mercure

L’humour s’apprend-il?
Pourtant il n’a pas appris l’humour comme tel en dépit de sa formation théâtrale avec le grand François Rozet, lui-même issu du cinéma français d’avant-guerre, venu au Québec suite à une offre de Joseph-Alexandre De Sève de jouer au théâtre à Montréal.

Rozet a enseigné le jeu dramatique à toute une génération de comédiens québécois de Gilles Pelletier à Yvon Deschamps. Gilles Latulippe a fait la grande école de l’humour sur le tas, aux côtés d’Olivier Guimond en particulier, avec 1000 émissions du Capitaine Bonhomme, où Olivier jouait Freddie Washington, mais aussi avec les autres comédiens autour de lui.

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Gilles Latulippe dans une publicité

«Le théâtre entouré des Manda Parent, La Poune et Jean Grimaldi a été mon école. Donc il est possible d’apprendre sur le tas, si vous côtoyez des gens de talent et si vous écoutez. À l’école, on ne vous donne pas le talent, mais plutôt les outils. On va vous montrer comment faire. Mais on est comique ou on ne l’est pas. On apprend à se servir de son talent mais il faut avoir la musique et le rythme de la comédie en soi. Les gens vont au conservatoire parce qu’ils imaginent avoir du talent; ils vont là en fait pour vérifier s’ils en ont», me raconte judicieusement Gilles Latulippe.

Doit-on avoir un physique particulier pour jouer la comédie? Non, répondra le comique de 72 ans. À preuve un beau Brummel comme Stéphane Rousseau se sert de son physique autant que les Laurel et Hardy, petit et gros, le faisaient.

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Bousille et les justes, 1961: Paul Berval, Gilles Latulippe, Gratien Gélinas, Yves Létourneau, Paul Hébert et Juliette Huot. Photo: Basil Zarov

L’instinct
Bien que courageusement, à 29 ans, il achète le Théâtre Dominion pour le transformer en Théâtre des Variétés (1967) auquel il donnera vie pendant 33 ans et 7000 spectacles, jamais n’aura-t-il pensé former une école de burlesque ou d’humour.

«Je n’ai rien du pédagogue. Je joue d’instinct. Je ne sais pas 2 secondes avant de le dire ce que je vais dire. En fait, j’entends en même temps que le public ce que je dis. C’est dangereux surtout quand on fait des émissions en direct comme Les Démons du midi: les gags te viennent dans la seconde. Même en direct, ce n’était pas écrit. On n’avaient pas de “writers”, et écrire seul au quotidien aurait été une tâche trop grande!» confie l’artiste.
?L’écriture burlesque
Étonnamment pourtant, l’écriture fait bel et bien partie de la carrière de Latulippe qui y passe encore la plupart de son temps. En plus d’une bibliographie grassement alimentée de livres de gags, de deux biographies dont celle d’Olivier Guimond et la sienne, ce dernier des vrais, écrit, produit et met en scène des pièces qu’il joue depuis 16 ans au théâtre d’été à Drummondville qui compte 1000 sièges.

«Durant les premières années, on a d’abord épuisé le répertoire burlesque. Puis je me suis mis à alimenter le théâtre de mes textes. J’aime aller à Londres pour l’extraordinaire humour anglais mais je vais beaucoup à New York pour le répertoire de la comédie musicale et le théâtre comique. On ne copie pas une idée mais parfois on a besoin d’un point de départ qui amène d’autres idées pour écrire!» explique-t-il.

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Gilles Latulippe

La distribution des rôles
La distribution de rôles que le producteur Latulippe choisit fait partie intégrante de son écriture. Cette année par exemple, la pièce La Course au mariage qu’il présente à Drummondville a été créée il y a 36 ans au Théâtre des Variétés: Georges Guétary, Suzanne Lapointe, Michel Noël, Suzanne Langlois et Gilles Latulippe campaient les personnages que lui avaient inspirés Guétary quand celui-ci lui avait raconté l’histoire du célèbre acteur et tombeur de femmes Omar Sharrif. Sharrif avait la réputation de sortir avec des filles qu’il emmenait coucher et dont il voulait se débarrasser dès l’acte consommé. Imaginez la belle idée irrésistible pour un auteur de burlesque comme Latulippe!

«C’est exactement cela! Dans La Course au mariage, je suis le secrétaire de l’homme en question. Tout est sur papier. Quand j’écris, j’ai toujours ma distribution en tête. À l’époque, je le faisais pour intégrer les Manda Parent et Paul Desmarteaux. Cet été par exemple, j’ai choisi un Guy Godin pour jouer l’oncle de Paris parce que les femmes l’ont bien connu et à cause de sa diction impeccable», nous apprend l’homme qui maintient son allure juvénile.

La relève
Gilles Latulippe sait qu’il n’y a pas de relève dans le burlesque et qu’il sera le dernier de sa génération. Mais, lui qui a tout donné ses documents photos, sonores, vidéos, aux Archives nationales du Québec, ne regrette rien. Dans une entrevue accordée à l’émission Les Francs-Tireurs, selon lui, peut-être que dans 25 ou 30 ans, on redécouvrira le genre qui redeviendra à la mode.

«Je n’ai pas inventé le burlesque, c’est venu de l’Angleterre en passant par les États-Unis et enfin ici. Quand j’ai acheté le Théâtre des Variétés, les acteurs avaient 20 ou 30 ans de plus que moi. Je suis arrivé au bon moment car ils m’ont appris le métier et le répertoire. Ces gens-là avaient aussi un respect du public», raconte-t-il.
Le public avant tout
Et puisque qu’il est question du public, la carrière de Gilles Latulippe est alimentée par cet amour que les gens lui portent depuis ses débuts. Il suffit de fouiller un peu sur Internet pour y découvrir des fans finies de Gilles Latulippe comme Patricia Turcotte ou mieux encore, une Suisse du nom de Patricia Voumard (http://latulippefan.ca), fan dévouée qui monte couramment un site d’anthologie de son oeuvre et le suit à la trace depuis plus de 20 ans.

L’histoire de Gilles Latulippe en est une d’amour avec le public. Il écrit ses pièces et ses textes en fonction du public qu’il n’a jamais trompé. En ce sens, il explique pourquoi il a un bémol face à la Ligue nationale d’improvisation (LNI).

« La LNI est au départ une équipe qui joue contre une autre. Il s’agit de compter des points pour défaire l’autre équipe. C’est le public qui écope quand son équipe perd. À l’opposé du burlesque, quand un acteur est parti sur une lancée, tous les comédiens sont avec lui et l’aident pour le plus grand plaisir du public. On fait un travail d’équipe. Le principe de la LNI m’ennuie», me dira Latulippe sans vergogne.

Le burlesque et l’avenir
Mais tout n’est pas perdu pour ce qui est du burlesque puisque Gilles Latulippe reconnaîtra au cours d’une entrevue avec Richard Martineau que la populaire émission La Petite vie avait toutes les composantes du burlesque. Et que dire du flirt avec ce genre comique des Patrice l’Écuyer et Bernard Fortin dans leur spectacle Merci beaucoup et celui des Benoit Brière et Stéphane Jacques dans Nez à Nez au début des années 90, sans compter que le duo Dominic et Martin roule aisément sa bosse depuis plusieurs années!

Bientôt c’est le cinéma, qu’étonnamment Gilles Latulippe ne porte pas en son coeur, qui nous rappellera le burlesque avec le film Cabotins.

«Le cinéma est très lent pour un tempérament nerveux comme le mien. T’arrives à 6 h du matin, tu tournes à 10 heures et quart. T’attends! Moi, je veux que ça roule. Je suis un gars de scène et de télévision. Puis je ne veux pas jouer les drames! J’ai collaboré brièvement à la première version de Cabotins il y a plusieurs années, un scénario très éloigné du film qui a été produit. Puis j’ai abandonné le projet. Sauf que le réalisateur, Alain Desrochers, m’a téléphoné pour que je lui raconte quelques blagues. Ma contribution s’arrête-là!» précise l’acteur comique.

La pièce La course au mariage sera présentée à l’Église St-Jean-Baptiste à Drummondville cet été pendant que le Centre culturel de Drummondville se refait une beauté. Puis même si Gilles Latulippe abhorre l’hiver et passe la plupart de son temps en Floride, il tourne au Québec comme dans la vieille tradition du burlesque: en duo. Jadis il tournait dans les cabarets avec Robert Desroches et Manda. Aujourd’hui il emplit encore les salles de la province avec Jacques Salvail et Mehdi Talbi!