Gros-Câlin, Émile Ajar renaît sur les planches de Premier Acte

Pascal Contamine
Pascal Contamine

Du 9 au 11 octobre 2014 vous attend « un programme double » au théâtre Premier Acte de Québec, exceptionnellement à 21 h. En effet, derrière les apparences trompeuses d’une conférence, Gros-Câlin ou la conférence sur la solitude des pythons dans les grandes villes, une pièce produite par le CIRAAM (Montréal), dévoile plutôt un monologue poético-névrotique de M. Cousin.

Publié en 1974 sous le nom canularesque d’Émile Ajar, mais évidemment écrit par Romain Gary, le roman Gros-Câlin est adapté au théâtre par Pascal Contamine, qui fait aussi la mise en scène. Contamine interprète également M. Cousin, un statisticien conférencier qui se sent profondément seul au point de s’acoquiner avec Gros-Câlin, un python de deux mètres et avec une souris blanche qui était supposée le nourrir.  Paradoxalement, ce comportement marginal l’ostracise davantage et affaiblit ses rapports à l’humain. En mal d’affection et de tendresse féminines, accumulant les échecs dans ses relations sociales, il jette son dévolu sur ses animaux, y trouvant réconfort et compréhension. Plus il côtoie les collègues du bureau, dont la magnifique Mme Dreyfus, plus il s’enfonce dans sa solitude et plus son intimité avec ses animaux devient corruptrice. Lorsque Gros-Câlin s’enroule autour du statisticien et le serre entre ses anneaux, celui-ci y voit de la tendresse, de l’amour et s’abandonne de plus bel à l’espoir utopiste d’une proximité semblable avec une femme. M. Cousin, aussi en proie à des élans schizophréniques, se vautre dans ce monde imaginaire où Mme Dreyfus et lui s’aiment et se marient.

Seul sur la scène, dans son univers, même seul dans une grande ville, dans sa tête, le personnage véhicule l’appréhension d’un monde de plus en plus axé sur l’individu où la solitude règne malgré le désir d’intimité et de complicité avec l’autre. Gros-Câlin ou la conférence sur la solitude des pythons dans les grandes villes se veut une fable où les mots d’Ajar vrillent dans la bouche d’un personnage désopilant aux dépens de la portée sociale du thème abordé que Daniel Bélanger décrivait si bien : « Six milliards de solitudes, ça fait beaucoup, tout seuls ensemble. » Le

M. Cousin désespéré
M. Cousin désespéré

texte où les mots jouent ensemble, où ils se côtoient mieux que les humains, ce texte d’Ajar qui traite de la vulnérabilité de l’homme seul, sans la femme, qui porte sur l’aliénation de l’humain en manque de tendresse, sur les peurs, les angoisses, les espoirs vains. M. Cousin personnifie un voisin, une tante, un ami, une sœur…

Nous sommes dans le bureau de M. Cousin lorsqu’il soliloque, tel un conférencier qui digresse, il devient de plus en plus désespéré. Dans une mise en scène timide, le conférencier appuie ses dires avec une présentation Powerpoint d’images disposées grossièrement, comme si un enfant les avait dessinées. Démontrant une grande naïveté et une innocence de l’esseulé, l’homme va jusqu’à se confondre avec le seul être duquel il tire de l’affection, son python. Tout au  long du récit, M. Cousin rampe, siffle, enlève sa chemise et la remet comme une peau neuve… Il devient l’autre. Il perd peu à peu sa qualité d’humain dans sa relation malsaine avec son serpent et anéantit par le fait même ses chances de rencontrer une femme. Ces détails de la mise en scène accompagnent des jeux de mots martelant d’humour et d’ironie les propos d’un personnage dont on a envie de caresser la joue.

Gros-Câlin ou la conférence sur la solitude des pythons dans les grandes villes est une pièce beaucoup plus textuelle que visuelle et ne révolutionne en rien l’art théâtral. Par contre, ses thèmes de la quête identitaire à travers l’autre et le manque d’affection malgré la foule présentent des paradoxes intéressants et sont sujets à mousser l’interprétation. Pascal Contamine, qui a assumé la majorité des rôles dans ce spectacle, se donne à fond et mérite grandement l’ovation et les acclamations du public attendri.

Texte : Julie Pelletier

Crédit photos : Cath Langlois photographe