Entrevues avec les artisans du film Anna

Pierre-Yves Cardinal, Pascale Bussières,  Anna Mouglalis
Pierre-Yves Cardinal, Pascale Bussières, Anna Mouglalis

Pour son 5e long-métrage, Charles-Olivier Michaud s’attarde sur le sujet du trafic humain dans le film Anna qui prendra l’affiche le 23 octobre prochain dans nos salles de cinéma. Mettant en vedette l’actrice française Anna Mouglalis, ainsi que Pierre-Yves Cardinal et Pascale Bussières, ce drame humain très percutant, ne peut faire autrement que de secouer les spectateurs. J’en suis ressortie complètement ébranlée. Un véritable film coup-de-poing qui dérange mais qui doit être vu!

Pour le détail de mes impressions du film, ils seront sur ce site dès le 23 octobre, date de sortie du film.

Synopsis

ANNA, photojournaliste réputée, est en reportage en Asie sur les jeunes femmes victimes du trafic humain perpétré par les Triades asiatiques. ANNA s’enfonce trop loin et se bute à un monde hostile.  Elle sera kidnappée et subira les mêmes sévices que les jeunes femmes asiatiques, sujets de son reportage.  Marquée à vie, ANNA emprunte alors un parcours où la violence est inévitable.  Sur son chemin, elle rencontre, SAM,  qui interviendra de façon déterminante dans son destin. ANNA, une immersion viscérale dans un monde inédit et dangereux, dans lequel on ne peut se fier à personne.

 Voici mes entrevues réalisées avec les artisans du film.

Charles-Olivier Michaud
Charles-Olivier Michaud

Charles-Olivier Michaud, scénariste et réalisateur du film.

Comment est né ce projet de film Anna? Pourquoi ce sujet? « J’ai voulu parler d’un personnage avant de parler d’un contexte. Et ce personnage c’est celui d’une photojournaliste qui devient son sujet. Elle expérimente exactement ce que ses sujets vivent. Elle arrête d’être observatrice et devient participante, à sa propre enquête. Et ainsi, elle va comprendre les ramifications humaines, ce dont elle ne pourrait jamais comprendre si elle continue d’être observatrice. Ceci était la base du film. Ensuite, j’ai cherché le contexte. Je voulais un contexte où la morale est un peu nébuleuse et non pas les bons contre les méchants. Donc, le trafic humain, le tourisme sexuel, c’est un problème de société vieux comme le monde et qui existe un peu partout. J’ai vécu et voyagé en Asie et ces endroits me fascinent. J’ai fait aussi beaucoup de recherche sur ces jeunes femmes prostituées, des essais, des entrevues réalisées avec des femmes que l’on traite comme objet. Nous, on les voit de loin et on peut avoir tendance à les voir comme des victimes, à en avoir pitié. Mais je n’ai pas voulu présenter cela. J’ai alors débuté mon film avec des entrevues avec ces femmes pour connaitre qui elles sont vraiment. Afin que par ce film, on ne les prenne pas en pitié, mais on se rapproche d’elles pour mieux les connaitre. »

Et vous avez appelé votre personnage principal et le film du même prénom que votre actrice principale. Anna Michaud. Pourquoi? Il avait un autre nom il me semble ce film avant? « Cela devait s’appeler Sodom (de Sodome et Gomorrhe), et cela avait un lien avec la première version de scénario que j’avais, qui était beaucoup trop long. En étoffant le scénario et en mettant l’emphase sur le personnage d’Anna, j’ai bien vu que ce titre ne convenait plus. C’est sûr que j’ai choisi le titre du film après avoir rencontré Anna Mouglalis. Je lui ai demandé si je pouvais nommer mon film Anna. Et elle a accepté, en disant que ce personnage était tellement loin de qui elle est dans la vie que cela ne la dérangeait pas du tout. Et j’ai choisi son nom de famille Michaud, car ce personnage a beaucoup de similitudes avec qui je suis. Elle est un peu mon alter ego, moi, l’observateur. » 

Comment s’est fait le choix pour le rôle de Kalaya, Chonticha Lauruangthana surnommé Weir ?« Je suis arrivé à Bangkok après 30 heures de vol, à 10 h du matin et on m’a amené directement pour faire le casting, parmi environ 100 personnes à voir. Et c’est justement Weir qui était la première à passer. Et ce fut un désastre. Elle était trop maquillée, avec des verres de contact colorés, des beaux ongles, bien coiffée, bref pomponnée. Et ce n’est pas du tout ce que je cherchais. Et là, toutes les autres filles qui sont passées après, elles étaient aussi pomponnées. Donc, après les auditions, je suis découragé, et là, cette première même jeune fille revient et veut refaire l’audition. Elle s’est aplati les cheveux, enlevé ses ongles, ses lentilles de couleur, son maquillage et elle est en jeans et t-shirt. Je lui ai permis de refaire l’audition. Et là, on a vécu un moment magique. Elle m’a fait pleurer à l’audition. Ce qu’elle a fait dans le film, c’est ce qu’elle a fait à l’audition. » 

À nouveau vous travaillez avec Michel Corriveau pour la musique de votre film et la trame sonore sera même disponible sur Itunes dès le 16 octobre. Qu’est-ce que vous aviez en tête pour la musique de ce film? « Il y en a peu de musique, mais elle est bien intégrée et imprégnée dans le film. Je voulais une musique qui soit antimélodique et répétitive aussi. Car Anna vit quelque chose dans un processus qui est long, difficile et ardu. J’ai donc voulu que la musique ne soit pas facile à entendre aussi, agressante, oppressante, répétitive. Michel Corriveau est un ami à moi et il est vraiment très bon. Il a embarqué sur ce projet alors qu’on avait seulement une ébauche de scénario. Il a commencé à me proposer des moods dès le départ, avant même le tournage. Au fur et à mesure des images qu’il a vues et même au début du montage, il m’a créé des environnements, des ambiances musicales et cela a été un processus créatif vraiment enrichissant. » 

Vous filmez caméra à l’épaule, avec majoritairement le visage de Anna à l’écran alors que le reste autour est flou. Pourquoi? « Au niveau cinématographie, j’ai eu envie de créer un monde de tension. Je voulais que les gens ressentent une tension insoutenable à regarder le film. Je voulais prendre le public prisonnier de mon film et ne jamais le laisser aller jusqu’à la fin. Donc, avec la caméra qui est constamment sur Anna, et faisant abstraction de ce qui est autour, on est la personne qui se promène. On est avec Anna tout le temps. On est Anna et on voit ce qu’elle voit. Je ne voulais pas être dans les décors, les fioritures des lieux. C’était elle qui découvrait ce monde-là et ce que je voulais c’était de voir les visages, des humains. Que ce soit Anna, la jeune Kalaya, les autres filles et Sam aussi. Pour moi, le décor était accessoire. »

Et le fait que cette violence, qui lui arrive à elle, Anna, on dirait que cela nous touche plus, n’est-ce- pas ? « Oui effectivement. J’aurais pu faire ce film à travers l’histoire de Kalaya. Mais, ces histoires-là me touchent, mais c’est loin de moi, parce qu’ils ne font partie de ma réalité culturelle, sociale, économique, politique. Je ne les connais pas ces gens-là, c’est triste, mais c’est loin. Le fait que ça arrive à une blanche Occidentale qui nous ressemble, on se rapproche d’elle et là, le sujet arrive à la maison et vient cogner à la porte. »

Anna Mouglalis
Anna Mouglalis

L’actrice française Anna Mouglalis  Qu’est-ce qui vous plaisait dans l’idée de jouer ce rôle et ainsi d’accepter de venir tourner entre autres à Montréal?

 « Cela m’a interpelé, car le scénario était fort et violent même. Je trouvais que les problématiques abordées, même si on sait que ça ne changera pas le monde de faire un tel film, il était important pour ma propre humanité, de le faire. Et en tant qu’actrice je trouvais qu’il y avait de très beaux défis dans ce rôle. On sait qu’on va explorer des choses, qu’on se souhaite de ne jamais explorer dans la vraie vie. Mais on a envie d’y aller dans cette exploration, pour repousser nos limites. Et je trouvais intéressant que moi, qui suit identifiée à Chanel depuis des années, comme étant une femme plutôt jolie et là, de devoir me présenter sans maquillage, et même défiguré… »

Vous avez des scènes assez difficiles et pénibles à jouer, comme les scènes physiques par exemple. Est-ce cela votre grand défi? « Bizarrement, les scènes physiques ne sont pas les plus difficiles à jouer. Car dans ces scènes d’actions, on est choqué tout de suite et alors on se laisse aller à cette énergie. Ce qui est plus difficile à jouer, ce sont les scènes du quotidien, quand on est assis chez soi et qu’on ne bouge pas. Comment on fait pour faire venir en nous tout cet imaginaire et ces émotions, ces souffrances, ces blessures, quand on ne les connait pas vraiment ? Et aussi, comment les personnifier de manière juste?»

Et tourner à Bangkok, un film sur le trafic humain et la prostitution des jeunes filles, alors qu’on sait qu’on tourne dans une ville où cette prostitution est présente et à la vue de tous, c’est dérangeant? Difficile? « J’ai déjà vécu pire que cela en Bulgarie lors d’un tournage étant plus jeune. Alors à Bangkok, oui il y a des endroits qui sont très durs, on le sent aussi et on le voit que les occidentaux vont là-bas pour le tourisme sexuel. Dans notre hôtel, j’avais un voisin de chambre qui faisait venir des filles différentes tous les soirs. Aussi, le directeur de production a demandé un jour un massage (car il s’était fait dire par la maquilleuse qu’il y avait une super masseuse dans l’hôtel), et comme il est un homme, l’hôtel lui a envoyé plutôt une prostituée. Il a été bien surpris et pas tellement content de cela. Donc, les quelques fois qu’on a filmé dans les vraies ruelles où il pouvait y avoir 30 prostituées, des fillettes de 16 ans, qui se souciaient bien peu qu’on les filme, même si on était presque en caméra cachée. En revanche, les Occidentaux qui les tripotaient, alors pour eux, c’était la panique.  »

Comment on se prépare pour jouer un tel rôle?« Pour apprivoiser tout l’imaginaire, toute la mémoire du personnage, j’ai besoin de lire beaucoup. Et c’est comme ça que je me rassure. Je fais donc un travail plus intellectuel. J’ai lu énormément d’essais philosophiques sur la barbarie, de sociologie sur la Thaïlande, sur l’Asie en général, sur le rapport à la prostitution, l’histoire de la politique thaïlandaise. Comme on a tourné d’octobre à fin février, alors moi, je devais rester dans cet état là pendant tout ce temps. Les lectures m’aidaient à rester dans cette existence.»

Comment s’est déroulé le tournage avec Charles-Olivier Michaud comme réalisateur? « On s’est connu pour le film. On a eu une grande complicité. Et il m’a fait énormément confiance, si bien que par moment, cela donne le vertige un peu. J’avais l’impression que chaque proposition que je faisais était acceptée.  Et il est si jeune Charles-Olivier et pourtant, il a tenu son film à bout de bras. Cela prend du courage, car ce n’est pas facile de faire ce genre de film aujourd’hui. Il est quelqu’un que j’aime beaucoup.»

Quelle est la différence entre un plateau de tournage en France et ici au Québec?« Je trouve qu’il y a une humilité sur un plateau québécois qu’on ne retrouve pas sur un plateau français. Ici, je ne ressens pas de hiérarchie, comme il peut y en avoir sur un plateau français.  Il y a là-bas une espèce de ségrégation entre l’équipe artistique et l’équipe technique.  Tandis qu’ici au Québec, chacun prend sa place. Chacun prend la parole de la même façon. C’est très respectueux comme atmosphère ici. C’était chouette!»

Pierre-Yves Cardinal
Pierre-Yves Cardinal

Pierre-Yves Cardinal,Qu’est-ce qui vous plaisait dans ce projet?«Le projet m’emballait vraiment beaucoup, surtout de la façon dont Charles-Olivier en parlait. Entretemps, j’avais regardé son premier film, snow and ashes et j’ai capoté sur son film. Ensuite, il y avait avec mon rôle, un volet plutôt physique avec des arts martiaux mixtes à travailler et ça me plaisait aussi.»

Donc vous vous êtes préparé comment pour ce rôle?« Pour la portion physique justement, on a dû travailler très tôt pour l’entrainement, car même si j’avais déjà boxé pas mal étant plus jeune, c’était quand même différent de ce que je connaissais. Mais j’avais une base en boxe et ce que Charles-Olivier voulait c’était des arts martiaux mixtes, mais très raw, avec beaucoup de boxe. C’est juste le travail au sol que j’ai surtout travaillé, car je ne comprenais rien au début. J’ai rencontré des professionnels de ce sport, dont Olivier Aubin-Mercier (professionnel de la UFC) qui fait la chorégraphie dans le film. Cela a été toute une expérience, prenante, mais enrichissante.»

Parlez-moi un peu de votre personnage, comment vous le voyez? «Dans le film, il n’y a pas tant de choses que ça, qui sont dévoilés sur mon personnage. L’histoire que Charles-Olivier et moi, on s’est entendu pour Sam c’est qu’il est un étranger et il travaille pour la mafia Thaïe. Il a commencé par des petits contrats, un peu louche, mais il a choisi de fermer les yeux, pour l’argent. Au début ce n’était pas trop compromettant. Les montants d’argent ont ensuite augmenté, les mandats ont changé un peu. Au bout du compte, il n’est pas un instigateur du trafic d’humains, ni celui qui va séquestrer les jeunes filles ou même les violer, mais il pourrait être celui qui garde la porte, fournit le transport. Il n’est pas foncièrement méchant, mais il a la moralité flexible, lorsque cela lui sert bien.»  

Et de tourner à Bangkok, un film sur le trafic humain et la prostitution des jeunes filles, alors qu’on sait qu’on tourne dans une ville où cette prostitution est présente et à la vue de tous, c’est dérangeant? Difficile? «C’est étrange oui, de tourner, entouré du sujet dont tu traites, mais en même temps, c’est utile comme acteur. Le phénomène, tu peux l’observer, il est autour de toi. Mais c’est vrai aussi que ça tombe sur les nerfs après un bout. Car toute l’économie est teintée de ça. Les hôtels, les restos roulent à cause de ce commerce-là. Par contre, je dois dire qu’il y a une chose qui m’a bien impressionné de tourner là-bas. L’industrie cinématographique en Thaïlande est très prolifique et ils sont très professionnels. Ils parlent tous anglais et Thaïlandais et il y a beaucoup de films américains qui sont tournés là-bas, avec leurs équipes très professionnelles.» 

Avez-vous d’autres projets dont vous pouvez me parler ?«Nouvelle Adresse est déjà tourné, Le clan est en début de tournage et sera diffusé à Radio-Canada. J’ai tourné cet été avec le réalisateur français Philippe Lioret dans le film Un garçon, qui devrait sortir d’ici la fin de l’année. Ensuite, il y a eu la première du Garagiste avant-hier (le 12 octobre), un film de René Beaulieu au FNC. Et ce sera en salle le 6 novembre. Et possiblement un projet de théâtre pour l’an prochain. Pour cet hiver, mon agenda est assez libre et j’ai bien hâte de voir ce qui pourrait m’être proposé.»

Pascale Bussières
Pascale Bussières

Pascale Bussières, Parlez-moi de votre personnage, comment vous le voyez?  «C’est sûr que c’est Anna qui porte le film sur ses épaules et que moi je joue un personnage satellite. Mon personnage est une carriériste. Elle a envie qu’Offense devienne une agence de presse percutante. Elle est un peu opportuniste et voudra profiter de l’histoire d’Anna pour donner de la visibilité à son agence de presse. On sent qu’il y a quand même une grande amitié entre elle et Anna basée sur le respect et l’admiration réciproque. Plus jeunes, elles ont étudié ensemble et elles ont la même témérité pour aller au front. Donc Sophie est là aussi pour soutenir Anna. Elle est bienveillante.»

Qu’est-ce qui vous plaisait dans l’idée de jouer dans ce film, avec ce sujet aussi percutant? « Je trouvais le propos de la prostitution et de la traite des femmes en Asie est un sujet extrêmement dur. On en parle quand même beaucoup et c’est un sujet fort connu et malheureusement quasiment accepté de plus en plus dans la société. Le film témoigne d’une réalité sans complaisance. »

Comment s’est déroulé le tournage avec Charles-Olivier Michaud comme réalisateur? « C’était super! Il est quelqu’un de très motivé et habité par son film. Et il l’a littéralement porté à bout de bras son film, car c’était un projet ambitieux à réaliser avec un petit budget. Tourner ainsi à Montréal et en Thaïlande avec toutes les contraintes que ça implique, il faut être habité d’une grande passion pour faire cela.»

En plus de ce film, vous avez deux autres films qui sont ou seront en salle très bientôt. Et avez-vous d’autres projets en cours?« Effectivement, hier (le 13 octobre) Anna était présenté au FNC (Festival du nouveau cinéma) en même temps que le film Les Démons de Philippe Lesage. Tandis que Ville-Marie a pris l’affiche au cinéma le 9 octobre dernier. Pour l’instant, je n’ai pas de projet de tournage en perspectives, mais plutôt des projets d’écriture.»

Voici la galerie photo des entrevues : https://www.flickr.com/photos/infoculturephotos/albums/72157659478724599

FICHE TECHNIQUE

Scénariste Charles-Olivier Michaud

Réalisateur Charles-Olivier Michaud

Productrice Nicole Robert

Producteur délégué Pascal Bascaron

Directeur photo Jean-François Lord

Direction artistique Renaud Gauthier

Musique Michel Corriveau

Montage Glenn Berman

Casting Geneviève Hébert

Costumes Caroline Bodson

Son Michel Lecoufle

Maquillage FX Catherine Beaudoin

FICHE ARTISTIQUE

Anna : Anna Mouglalis

Sam : Pierre-Yves Cardinal

Sophie : Pascale Bussières

Chang : Sean Lu

Agente Simard : Sandrine Bisson

Femme médecin : Nathalie Cavezzali

Agent Powers : Ralph Prosper

Kalaya : Chonticha Lauruangthana

Crédit photos : Réjeanne Bouchard