« La Divine illusion », un hommage au théâtre plein de drôlerie, de gravité et de profondeur

Anne-Marie Cadieux et Simon Beaulé-Bulman © Yves Renaud
Anne-Marie Cadieux et Simon Beaulé-Bulman © Yves Renaud

Illusion ou réalité? Sarah Bernhardt, l’actrice parisienne à la sulfureuse réputation, la diva adulée et mondialement connue débarque à Québec pour se produire sur scène. Illusion ou réalité? Sa seule présence suffit à ébranler, à commencer à fissurer l’édifice si solide et compact du pouvoir clérical exercé sur cette ville.

Décembre 1905. Dans le dortoir du séminaire de Québec, deux jeunes séminaristes, opposés en tout point, vont se lier d’amitié. Michaud est riche, fils de ministre, enthousiaste car passionné par la littérature et le théâtre. Talbot est pauvre, ténébreux et bagarreur; il représente l’espoir de sa famille de se sortir de la misère. Chacun a ses raisons d’être là, mais aucun ne ressent de réelle vocation religieuse.

Michaud qui respire le théâtre par tous ses pores, attends l’arrivée de celle qu’il a déjà eu l’occasion d’admirer sur une scène parisienne. Comme il rêve aussi d’être dramaturge, et il va s’inspirer de la vie de Talbot pour commencer à écrire. Talbot quant à lui n’a que mépris pour le théâtre, c’est un garçon blessé qui conserve dans son corps un énorme secret.

Tandis que Sarah Bernhardt vient de déballer ses dizaines de malles renfermant robes de scène, chaussures, chapeaux, manteaux de fourrures et autres effets, Michaud reçoit la mission de la rencontrer pour lui remettre une lettre de l’archevêché lui interdisant de jouer.

Mais il en faut plus à la diva pour la décourager.

De ce conflit historique et très médiatisé à l’époque, Michel Marc Bouchard va déployer toute une fresque sociale qui passe non seulement par l’immobilisme du clergé et ses mœurs parfois inavouables, mais aussi par les conditions de travail inacceptables de l’industrie de la chaussure, et dans laquelle il fait jouer à l’art et au théâtre le rôle salvateur.

Le très riche texte de La Divine Illusion comporte de multiples entrées et contient des finesses d’écriture qui le rendent très souvent drôle, mais tragique dans l’ensemble. Michel Marc Bouchard n’hésite pas à pratiquer l’autodérision, et il profite de la présence de l’actrice française pour se moquer des travers de la société québécoise, accent et manière de s’exprimer, soumission et idées obtuses.

Sarah Bernhardt représente le mal, la femme aux mœurs décadentes, la Juive qu’il faut à tout prix censurer. Mais elle est justement le symbole du théâtre et de l’art qui donne à réfléchir et permet les changements en profondeur.

Toute la troupe de La Divine Illusion  © Yves Renaud
Toute la troupe de La Divine Illusion © Yves Renaud

Sur ce texte magnifique, chacun des personnages est parfaitement campé et se révèle très attachant. Le premier rôle n’est pas vraiment celui de Sarah Bernhardt, très bien interprétée par Anne-Marie Cadieux. C’est plutôt le jeune Michaud, parfaitement incarné par Simon Beaulé-Bulman, et qui dans sa naïveté doublée d’un très grand enthousiasme se transforme au fil de la pièce en découvrant la vie. Mais tous les seconds rôles sont presque des premiers. Ainsi, la mère de Talbot jouée par Annick Bergeron est vraiment excellente, également Talbot interprété par Mikhaïl Ahooja ou encore mieux son petit frère Léo, admirablement rendu par Lévi Doré; sans parler de Meyer (Luc Bourgeois), excellent, du patron de l’usine (Gérald Gagnon), du frère Casgrain (Éric Bruneau) et de tous les autres, en vérité.

Le décor du dortoir est très beau. Il aurait pu se transformer davantage pour les scènes d’atelier, d’hôtel ou de théâtre. Mais la mise en scène est excellente, accompagnée par moments au piano par des airs qui mettent dans l’ambiance des débuts du cinématographe. Cette belle pièce renferme des ressorts dramaturgiques très nombreux, qui demeurent chez le spectateur après qu’il ait quitté la salle.

La Divine Illusion, avec sa mise en abime du théâtre dans le théâtre – qui va jusqu’à impliquer avec beaucoup d’humour, le public même du TNM – offre une réflexion très profonde sur le pouvoir de l’art d’agir sur nous et sur la société.

 

La Divine Illusion au TNM à Montréal, du 10 novembre au 5 décembre 2015 (supplémentaires les 8, 9 et 10 décembre)

2h50 de spectacle incluant un entracte de 20 minutes

Création Michel Marc Bouchard
Mise en scène Serge Denoncourt

Avec : Mikhaïl Ahooja, Simon Beaulé-Bulman, Annick Bergeron, Luc Bourgeois, Éric Bruneau, Anne-Marie Cadieux, Louise Cardinal, Lévi Doré, Gérald Gagnon, Marie-Pier Labrecque, Dominique Leduc, Laurier Rajotte

Informations : www.tnm.qc.ca

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