Ne m’oublie pas une pièce magnifique pour dire la destruction des êtres par l’insoutenable programme White Australia

ne m'oublie pasC’est un homme détruit, déstructuré, alcoolique et au comportement violent qui retrouve sa mère quelque 50 ans après leur brutale séparation. Durant toutes ces années, Gérry, cet enfant de trois ans devenu adulte pensait que sa mère était morte et elle-même, mère monoparentale aux faibles ressources financières, pensait qu’il avait « disparu » mais pour son bien pour être placé dans une famille riche qui assurerait son avenir. En fait tous les deux avaient été l’objet de l’abominable et honteux programme de vol d’enfants dans les orphelinats et des familles pauvres, White Australia, mis en place entre 1945 et 1968 par l’Australie et la Grande Bretagne pour assurer la suprématie blanche de l’ancien Dominion et ce avec la complicité des autorités civiles et religieuses. Les retrouvailles entre cet homme qui apprend à plus de cinquante ans que sa mère est vivante et cette mère qui retrouve enfin son enfant disparu sont difficiles. Ils ont tant de choses à se dire, que la futilité cache dans un premier temps les émotions. Ce n’est que peu à peu que chacun, à fleur de peau livre ses sentiments. Difficile aussi, aura été le chemin vers l’acceptation d’entamer la quête de sa famille pour Gerry. C’est que Gery a toutes les raisons de ne pas croire aux bons sentiments affichés par l’organisme officiel qui œuvre à réunir ces familles désunies. Des promesses non tenues et même des mensonges de l’État et de ses officines furent son lot et l’ont détruit. C’est que le petit garçon que l’on avait enlevé à sa mère en lui faisant croire à sa mort « pour adoucir » sa peine de la séparation s’était vu promettre un avenir radieux. Au lieu de cela, c’est une vie de misère et d’exploitation en semi esclavage qui l’attendait dans des fermes australiennes.

D’une telle enfance sans tendresse, sans racines constructives, sans souvenir auxquels se raccrocher on ne se relève pas ou très difficilement. Gerry ne fait pas exception et sa vie d’homme est celle de la violence contre lui-même, contre ses proches, sa femme et sa fille. Et comment pourrait-il en être autrement? Il faudra toute la tendresse de sa fille et surtout sa volonté de le retrouver en l’aidant à se retrouver lui-même pour qu’il accepte d’entamer et de poursuivre ce long et douloureux cheminement. Un cheminement qui commence par la destruction du peu qu’il possédait : son identité. Un cheminement qui est loin d’être linéaire avec ses périodes de doute, de renoncement ou de colère. Il faudra aussi toute l’humanité de Marc, l’agent de cet organisme qui, comme le fait dans la réalité Child Migration and the Child Migrant Trust, le conduira sur la route de la résilience et de l’acceptation et effectuera les recherches qui apprendront à la mère comme au fils la terrible vérité et leur permettra de savoir… enfin.

ne m,oublie pas 3La magnifique pièce de Tom Holloway nous plonge au cœur de ce douloureux parcours et l’évolution des sentiments et perceptions tant pour les deux protagonistes principaux Gerry et Marie que pour leur fille et petite-fille et même Marc qui tente de réparer par l’empathie et l’humanité l’irréparable. Un parcours que malheureusement ont connu ou connaissent encore nombre des 3000 enfants, ces British Home Children comme on les appelle, qui ont véritablement été les acteurs bien malgré eux de ce drame. Les textes sont terribles, implacables, percutants et ne procurent aucun répit aucun échappatoire à regarder en face cette réalité. Mais l’auteur sait aussi parfaitement nous tenir éloignés de toute sensiblerie ou voyeurisme et même d’un happy end lénifiant. Juste un peu d’espoir. La pièce n’en est en cela que plus forte. La mise en scène, le décor comme le jeu des acteurs tous très apurés sont en parfaite harmonie avec le texte de l’auteur. Les quatre acteurs présents sur scène, François Papineau, Louise Turcot, Jonathan Gagnon et Marie-Ève Milot sont en effet par leur jeu pleinement au service de rôles ô combien difficiles tant par la charge émotionnelle que le poids d’une histoire honteuse qu’ils portent et les doutes, hésitations, irrégularités d’humeur que cela inévitablement provoque pour les personnages. On peut par contre peut-être  regretter le caractère québéco-québécois de tous les jours un peu trop appuyé de la traduction de Fanny Britt qui enracine géographiquement une histoire qui ne lui appartient pas ( même si le Canada a lui aussi connu une variante de ce programme) et qui de ce fait aurait gagné à une langue plus universelle à l’image d’un phénomène qui sous des formes diverses fut et est encore malheureusement perpétré dans bien des pays et régions du monde.

ne m'oublie pas 2François Papineau, qui interprète Gerry, comme le metteur en scène Frédéric Dubois, qui est aussi coordonnateur artistique du Théâtre Périscope et depuis peu directeur artistique de la section française de l’École nationale de théâtre à Montréal soulignent fréquemment dans plusieurs entretiens l’importance pour eux d’un théâtre et de rôles qui dépassent la seule technicalité d’un métier et d’un art pour approcher les questionnements de la vie et de la société. « ...Une école de théâtre apprend à faire du théâtre, une école d’art apprend à réfléchir. Je pense que j’ai la possibilité ici d’être plutôt radical — je déteste utiliser ce mot cette semaine — en apprenant aux étudiants à non seulement devenir des artistes, mais aussi des adultes, des citoyens, à élargir leur pensée… » déclarait le 11 février Frédéric Dubois au Devoir. «…Aujourd’hui, il faut qu’une pièce change ma vie… » affirmait François Papineau dans une entrevue au Huffington Post. À n’en point douter Ne m’oublie pas est de celle-là pour les acteurs et le metteur en scène mais aussi pour nous. Remercions les mais aussi le Théâtre Jean Duceppe, fidèle en cela à sa mission, de nous avoir permis de la découvrir et de nous l’approprier et, à travers elle, cette page noire de l’Histoire.

Ne m’oublie pas
Pièce de Tom Holloway
Mise en scène Frédéric Dubois
Traduction : Fanny Britt

Distribution des rôles
François Papineau : Gerry
Louise Turcot : Mary
Jonathan Gagnon : Marc
Marie-Ève Milot : Nathalie

Collaborateurs
Décor: Jasmine Catudal
Costumes: Linda Brunelle
Éclairages:Caroline Ross
Musique: Will Driving West
Accessoires:Normand Blais
Assistance à la mise en scène: Guillaume Cyr

Une production du Théâtre Jean Duceppe
Directeur artistique Michel Dumont,
Directrice générale Louise Duceppe

Théâtre Jean Duceppe
Place des Arts
Du 15 février au 25 mars 2017
Durée 1h30 sans entracte
Tarifs individuels de 54.à 60$
175, rue Sainte-Catherine Ouest
Montréal (Québec) H2X 1Z8
Tél. : 514 842-2112 Sans frais : 1 866 842-2112

© photo: Caroline Laberge

Activité gratuite : Les causeries DUCEPPE présentées par les Fromages d’ici
Retrouvez les artisans des spectacles de la saison : notre directeur artistique Michel Dumont, des auteurs, des metteurs en scène, des comédiens, des concepteurs de décor, d’éclairage, de costumes, de musique…
Échangez, commentez, participez!
Une manière exceptionnelle d’en savoir plus sur la genèse des pièces chez DUCEPPE.
De plus, cette expérience est accompagnée d’une dégustation de fromages d’ici!
C’est un rendez-vous dès 17 h, dans l‘espace culturel Georges-Émile-Lapalme, au cœur de la Place des Arts.
Mercredi 23 février 2017 avec les acteurs de ne m’oublie pas : Louise Turcot, Marie-Ève Milot, François Papineau et Frédéric Dubois

Pour en savoir plus sur les  British Home Children