« Les Chaises » au Théâtre du Nouveau Monde à Montréal

Les Chaises © Yves Renaud
Les Chaises © Yves Renaud

Un couple de vieillards, bien plus proches de la fin que du commencement de leur vie, reçoivent chez eux une foule d’invités fantomatiques, tous plus célèbres les uns que les autres. Une manière de finir en beauté une vie qui n’en a pas eu beaucoup. Expression de la solitude à deux, les deux vieux se limiteraient sinon à rabâcher, jusqu’à la fin, leur existence pleine de vide, monotone et on ne peut plus médiocre.

Eugène Ionesco est un auteur absolument génial et Les Chaises, l’une de ses œuvres les plus réussies. Pour clore la saison du TNM, la pièce est servie par deux monuments du théâtre québécois, Monique Miller et Gilles Renaud, ainsi que par une belle mise en scène de Frédéric Dubois qui font honneur à son auteur.

Ce qui est vraiment étonnant, c’est que plus de 60 ans après sa création, les dialogues et les situations des Chaises restent toujours aussi déconcertants et originaux. Ionesco joue avec les mots et les actions de toutes les manières possibles, y compris délirantes. On est en plein non-sens, mais avec Ionesco, le non-sens fait sens, et en profondeur.

Les Chaises © Yves Renaud
Les Chaises © Yves Renaud

Apparemment gratuits, ses jeux sur les mots et ses situations invraisemblables ne produisent pas seulement le rire ou le sourire du spectateur par leur absurdité ou leur loufoquerie. Ils rejoignent le tragique de la vie et donnent à réfléchir mieux que n’importe quel discours rationnel. Ionesco pousse la logique du logos, au bout de son illogisme. Les paroles sont creuses et tournent en rond sur elles-mêmes. Les deux vieillards n’ont rien à se dire et ne font que répéter, mais il faut bien parler car sinon ce serait le vide total. Alors qu’ils ont vécu la même vie faite quasiment de rien, même les souvenirs de ce qui aurait pu compter sont défaillants. Il ne leur reste que les mots, toujours les mêmes, et tellement usés qu’ils se retrouvent dénués de leur moindre expression. Le couple a vu sa vie filer dans la répétition des mêmes blagues, des mêmes regrets, dans la petitesse du quotidien. À présent qu’il est temps de partir, une sorte de sursaut fantasmatique leur suggère de quitter le monde en y mettant de la grandeur.

Chez ces deux vieillards, ce qui les a maintenus jusque-là, c’est sans doute leur amour. Il y a de l’amour entre eux, c’est sûr, mais Ionesco ajoute à la mélancolie de l’œuvre en montrant que l’amour, de manière générale, est lui aussi fragile. L’arrivée des premiers « invités » le signale. Le vieux et la vieille se laisseraient bien aller à puiser de l’amour ailleurs, y compris auprès de personnes inexistantes. Mais d’autres invités sonnent à la porte et arrivent, encore et encore. Il faut prévoir des chaises pour les recevoir dignement, beaucoup de chaises. De tous les procédés hilarants de Ionesco, le meilleur est probablement celui où on voit qu’il s’emballe dans son écriture, que rien ne peut l’arrêter ; les situations et les mots sont poussés tellement à bout qu’ils lui échappent totalement et mènent à une prolifération très comique et qui donne le vertige en rejoignant des pensées que tous les humains ont. L’absurdité de la pièce tout en étant très drôle, donne à voir et à ressentir ce qu’il y a de tragique dans la totale absurdité de l’existence elle-même.

Les Chaises, du 8 mai au 2 juin 2018, au TNM à Montréal

Texte Eugène Ionesco
Mise en scène Frédéric Dubois

Décors et accessoires Annick La Bissonnière

Costumes Linda Brunelle

Éclairages Caroline Ross

Coproduction Théâtre du Nouveau Monde et Théâtre des Fonds de Tiroirs

Distribution Monique Miller, Gilles Renaud, Jasmine Daigneault, Jean-François Guilbault, Alex-Aimé Martel, Rosalie Payotte

Informations https://www.tnm.qc.ca/