La vie est une comédie dans laquelle nous ne tenons pas toujours le meilleur rôle. Tijuana, une pièce très réussie présentée dans le cadre du Festival TransAmérique de Montréal, offre non seulement une description partielle de la société mexicaine mais aussi une profonde réflexion sur le métier d’acteur.
Des millions de Mexicains, qui travaillent au salaire minimum, ne gagnent pas suffisamment d’argent pour vivre décemment, et ne peuvent guère faire autrement que s’adonner à des activités plus ou moins hors-la-loi. Ce n’est pas tant cet aspect qui est traité dans la pièce de docu/fiction intitulée TijuIana, que celui beaucoup plus général de la vie que nous menons et qui relève de choix mais aussi de divers hasards qui nous ont placé à tel endroit plutôt qu’à tel autre. Que suscite un déplacement de rôle, de situation de notre part ? Quel regard portons-nous sur nous-mêmes et sur les autres lorsque nous changeons de vie, même provisoirement ?
Gabino Rodriguez, auteur et seul interprète de la pièce Tijuana, est acteur de profession et vit dans la région de Mexico. En 2015, il décide de changer provisoirement d’identité pour passer six mois dans une région frontalière des États-Unis, à Tijuana où il vivra en travaillant au salaire minimum dans une manufacture et expérimentera la vie des gens de cet État de son pays. Après tout, son métier est d’interpréter des rôles. En changer sur une scène ou dans la vie devrait être dans ses cordes.
Documentaire ou fiction? Réalité de cette sorte d’enquête de terrain ou histoire totalement inventée? La vérité est sûrement entre les deux et le spectateur n’est pas en mesure de trancher. En grande partie, c’est ce qui fait la qualité de la pièce qui cultive l’ambiguïté et dont les diverses « preuves » de l’enquête fournies au spectateur la rendent toujours plus suspecte.
L’œuvre donne beaucoup à réfléchir; elle est intelligente, touchante, d’une dureté effroyable par moment mais traversée aussi par un certain humour produit par une mise en abyme savante qui donne précisément à penser sur la question documentaire ou fictionnelle. Qu’y a-t-il de vrai dans cette histoire? À la fois tout et peut-être rien aussi. L’acteur se fait enquêteur comme un ethnologue sur le terrain en notant consciencieusement ses observations dans un carnet de bord chaque soir. Des projections du dit carnet sont parfois présentées comme preuves sur un écran où défilent d’autres images vidéo.
L’acteur enquêteur ne dévoile pas sa vraie identité, ne dit pas aux personnes qu’il rencontre et avec lesquelles il est amené à vivre, parfois intimement, qui il est et le but de sa démarche. Aussi craint-il que l’imposture soit révélée et devienne dangereuse pour lui. Il est temps alors de quitter ce monde qui n’est pas le sien mais dans lequel il a tissé des liens, des liens dont la profondeur ne se révèle qu’au moment de le quitter comme cela arrive souvent…
Tijuana est la 4e étape d’un cycle de 32 qui fait partie d’un ambitieux projet visant à explorer l’histoire du Mexique et de ses habitants entre 1965 et 2015.
Tijuana, qui ouvre sur un monde à la fois terrifiant et banal, tant il est répandu, est une pièce pleine d’intelligence, de sensibilité, de mélancolie et de tristesse, d’humour aussi, et à laquelle on ne cesse de repenser lorsqu’on a quitté la salle où elle se donne.
Tijuana, dans le cadre du FTA, du 24 au 27 mai 2018 à l’Espace Libre à Montréal
Un spectacle de Lagartijas tiradas al sol
Idéation et interprétation Gabino Rodríguez
D’après les textes et idées de Martin Caparrós, Andrés Solano, Arnoldo Galvez Suárez, Günter Walraff
Mise en scène Gabino Rodríguez, Luisa Pardo
Lumières Sergio López Vigueras
Scénographie Pedro Pizarro
Son Juan Leduc
Vidéo Carlos Gamboa, Chantal Peñalosa
Collaboration artistique Francisco Barreiro
Présentation en collaboration avec Espace libre, Rencontres internationales du documentaire de Montréal Création au Festival Escenas do Cambio, Santiago (Espagne), 28 février 2016
Informations : http://fta.ca/
