Doris Charest, une artiste francophone en Alberta

CHRONIQUE SUR LA FRANCOPHONIE DANS LES ARTS VISUELS AU CANADA

Cette série d’articles sur la réalité quotidienne des créateurs en arts visuels francophones vivant dans un milieu à prédominance anglophone se poursuit. Cette chronique est une initiative personnelle d’HeleneCaroline Fournier, experte en art, théoricienne de l’art et journaliste indépendante, qui a à coeur la francophonie pancanadienne et le marché de l’art du pays.

Qui sont ces artistes francophones et quelle est leur réalité au quotidien ?

Doris Charest est une artiste issue d’une famille francophone qui a appris l’anglais à l’école. Elle a grandi sur une ferme en Alberta et a vécu dans différents endroits en Amérique du Nord. Elle est tombée en amour avec la peinture quand elle habitait au Texas. La peinture est devenue ensuite une véritable passion qui l’a menée vers de hautes études. Elle a un Baccalauréat en beaux-arts (BFA) de l’Université de Calgary, un Baccalauréat en éducation (BED) et une Maîtrise en éducation des arts visuels (MED) de l’Université d’Alberta. Elle a eu la chance de voyager pour enseigner sa technique aux jeunes et aux adultes qui partagent son amour pour la création. De fil en aiguille, suite à une subvention qu’elle a reçue, elle a été invitée à des évènements majeurs. Elle a effectué plusieurs résidences d’artistes, au Canada, en Inde, au Mexique, et elle a reçu de nombreux prix pour son travail, notamment le Prix Sylvie Van-Brabant, du Regroupement artistique francophone de l’Alberta (RAFA) pour sa contribution à la communauté.

Sa réalité d’artiste en arts visuels, à Saint Albert, ville située au nord-ouest d’Edmonton, est une réalité plutôt anglophone, surtout au niveau de la communication, quoiqu’elle n’hésite pas à s’afficher en tant que francophone. Le fait d’évoluer dans les deux langues officielles du Canada, cela «ouvre deux fenêtres et double mon public». L’artiste avoue qu’«en général, les gens anglophones sont curieux vis-à-vis la francophonie». Les lieux francophones ne sont peut-être pas nombreux, mais ils existent néanmoins. «Il y a le CAVA et le RAFA en Alberta qui organisent des activités». Ce sont deux organismes qui donnent la chance de parler en français, bien que l’artiste fasse la majorité de sa publicité en anglais parce que le marché en anglais est plus vaste. «J’ai une bio et quelques autres documents en français», dit-elle avant de rajouter qu’elle aurait besoin d’aide pour écrire en français, plus spécialement pour vérifier ses textes. «J’utilise le français écrit rarement (…). Mon vocabulaire est de base, comme celui que j’utilise pour discuter avec les gens, et (par conséquent) je n’ai pas un vocabulaire artistique élaboré comme je le voudrais». Bien que le pays soit immense, le marché de l’art n’en reste pas moins petit. Les artistes francophones vivant ailleurs qu’au Québec souhaiteraient pouvoir communiquer entre eux. «Je trouve que les organisations francophones ne se parlent pas assez». Doris Charest souhaiterait, entre autres, une meilleure communication entre les organismes et entre les artistes afin de rencontrer et d’échanger avec ses pairs francophones d’autres provinces.

La vie d’artiste n’est pas toujours rose, malgré le précieux soutien des organismes. Les subventions aux artistes sont rares. «Je n’ai jamais rencontré d’artiste francophone qui avait eu une subvention, mais j’ai seulement rencontré deux anglophones qui en avaient reçu une. En Alberta, pas beaucoup d’artistes font des demandes. C’est beaucoup de travail juste pour être refusée». En effet, les dossiers de subvention, souvent compliqués à remplir, sont inabordables pour le commun des artistes qui manient mieux le pinceau que la plume. Les déceptions sont grandes, alors que ces aides financières pourraient les porter plus loin dans leur carrière, voire leur faire accéder le niveau international. «Les artistes du Québec sont un élément vague et peu connu. Il semble que tout soit dirigé vers les artistes du Québec. Les artistes du Québec ont plus de support provincial en comparaison aux artistes de l’Alberta», affirme l’artiste qui souligne également que, dans les dernières années, l’utilisation du français a beaucoup diminué dans la communauté. «Je donne des classes au collège francophone et, depuis quelques années, je suis obligée de dire aux élèves qu’ils doivent parler en français. Avant cela, je n’avais pas besoin de leur dire». Il y aurait toutefois des solutions simples pour améliorer la situation du français dans les communautés francophones, notamment avoir la chance que les gens puissent se visiter, travailler ensemble et se connaître. Mettre fin à l’isolement pourrait améliorer grandement la situation. Au niveau fédéral, l’une des solutions pourrait être d’«avoir plus de chances de participer à des activités francophones en province et hors province». La pratique courante du français est l’une des clés. «Selon mon expérience, les écoles francophones exposent les élèves en arts visuels. Les jeunes ont la chance de faire de l’art et de participer à des activités comme les Jeux Francophones». Si l’enseignement semble être semblable des deux côtés, les activités semblent néanmoins plus nombreuses du côté anglophone, selon elle. «Il y a plus de services en anglais, car la population anglophone est plus grande». Pour améliorer la francophonie, selon Doris Charest, il faudrait «des services plus faciles à utiliser» afin que les francophones utilisent les services dans leur langue maternelle. «Puisque les francophones sont bilingues, ils utilisent ce qui est plus proche, plus facile et qui offre plus. Pour beaucoup d’artistes, ce sont les opportunités et les services qui sont le plus important et non pas la langue». S’il y avait plus de services en français pour les artistes francophones, il y aurait vraisemblablement plus de gens qui les utiliseraient car, si les artistes francophones s’intègrent, par nécessité, dans les structures anglophones, il ne faut pas oublier que les associations francophones jouent un rôle majeur dans leur développement de carrière. «Souvent les gens pensent que les arts visuels ne sont pas importants pour la langue française, mais nous avons besoin d’exprimer nos idées en français, parler aux gens, notre public, en français, écrire en français (…), parler aux médias en français et convaincre tout le monde que notre art est important en français». Les artistes francophones vivant dans un milieu majoritairement anglophone ont la désagréable impression d’être invisibles aux yeux des Québécois.

Au Canada, plusieurs grandes associations existent, comme le Canadian Association of Virtual Assistants (CAVA), pour ne nommer que celle-là, qui ont à coeur la promotion et la diffusion des arts visuels, mais les artistes francophones, profondément attachés à leur communauté, à leur culture, souhaiteraient aussi avoir plus de structures francophones pour s’épanouir dans leur langue maternelle pour être en mesure de la garder vivante. C’est un grand défi car, en effet, la nouvelle génération a tendance à utiliser l’anglais puisque les opportunités de parler français sont plus rares par rapport aux opportunités de parler anglais. Comme le disait si bien Doris Charest en entrevue: «Le CAVA, en Alberta, est super comme lieu pour parler français et j’aime ça. C’est ça qui m’a gardé dans la francophonie». Et qu’en est-il du bilinguisme ? Est-il bien vu ou mal vu ? «Souvent, mes amis artistes anglophones sont envieux que je puisse participer en anglais et en français. Être bilingue est un atout pour certaines activités mais, des fois, ça fait sortir les préjugés des gens».

L’angle de vue selon les chiffres

Près de 100 000 personnes francophones vivent actuellement en Alberta sur 4 026 650 habitants [1]. Selon la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada (FCFA), il y a 10 millions de personnes qui parlent français au pays, dont 2,7 millions d’entre elles habitent ailleurs qu’au Québec [2]. Il existe d’ailleurs une carte interactive très utile pour retrouver toutes les ressources francophones au pays [3].

Pour retrouver l’artiste Doris Charest sur Internet:
https://www.dorischarest.ca

Les images illustrant cet article sont diffusées avec la permission de l’artiste.


Sources:

[1] Le Recensement 2016 – voir le site
[2] Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada – voir le site
[3] Les communautés francophones du Canada – voir la carte


Crédit images: Courtoisie Doris Charest

« End of the rainbow », techniques mixtes sur papier, 8 x 8 pouces, 2018
« Focus », techniques mixtes sur papier, 8 x 8 pouces, 2018
« Standing tall », techniques mixtes sur papier, 36 x 36 pouces, 2018