La vie pour vrai de Nicole Houde, un puissant et bel hommage au droit à la différence

Nicole Houde La vie pour vrai © photo : courtoisie
Nicole Houde La vie pour vrai © photo : courtoisie

« Quand on est dans un foyer d’accueil est-ce qu’on est dans la vie pour vrai ? » demande le jeune Alexis à sa tante Céleste. En réponse Céleste demande à la mère d’Alexis, sa sœur Anna : » Est-ce qu’il y a des gens qui ne sont pas dans la vie pour vrai? Quelques jours auparavant, Céleste avait déclaré au professeur de dessin de son foyer d’accueil : Ça c’est très injuste; je veux savoir ce que c’est notre vraie place dans la vraie réalité. Les autorités la cache dans deux lettres un D puis un I et après elles font comme Ponce Pilate dans la Bible, elles se lavent les mains » D I, deux lettres qui rythment, encadrent la vie de Céleste, 38 ans, ainsi que celles de tou(te)s ses compagnes et compagnons du foyer de jour. D I pour déficient intellectuel. Une dénomination bien commode parce qu’elle permet de classifier les gens, de les mettre dans des cases. À une classification donnée correspond un type de vie organisé par la société : Une « vie supervisée ». Mais qui sont et que vivent réellement toutes ses personnes sur lesquelles le couperet du diagnostic est tombé. Leur réalité se vit-elle effectivement en creux de la vie des « gens normaux » définie uniquement par ce qu’elles n’ont pas acquis ou n’acquerront jamais dans l’échelle des normes des compétences académiques et sociales fixée par la société et ses représentants? Et que sait-on même véritablement de qu’elles ont acquis, ce qu’elles perçoivent. Avons-nous seulement le souci ou l’envie de savoir? Pourtant Céleste, Victor, Henriette, Rita, Luigi, Normand ont tellement de choses à dire sur la vie elle-même comme sur leur situation faite de ce que nous avons cru bon pour eux (ou pour nous). C’est à cette découverte, par le regard de Céleste, que nous entraîne Nicole Houde dans son nouveau roman La vie pour vrai. Une découverte à juste titre sans complaisance pour nous, les « normaux ». Nous les « normaux » qui cherchons à classifier Céleste en écartant de sa vie tout ce qui ne correspond pas à nos propres critères qui nous placent en haut de l’échelle et en faisant grand cas de ces mêmes classifications, en les entourant de mystère, comme au temps des médecins de Molière, pour affermir notre pouvoir autant que pour masquer les limites de notre savoir et calmer nos peurs que leur différence engendre : « DI ça signifie déficience intellectuelle. Voilà c’était un mystère de rien du tout. Il y a longtemps qu’on nous a donné ce nom là. Un jour, lors d’un troisième diagnostic un neurologue a même déclaré à ma mère qu’il y avait un peu de trisomie sur mon visage. Ça je l’ai gardé top secret. Je dérange les spécialistes : je lis de longs romans, je peins des tableaux abstraits et ils sont là à changer de diagnostic ». Une classification créée par les spécialistes et qui trouve largement écho dans l’ensemble de la société même si elle s’exprime alors dans un vocable moins « scientifique ».  Une catégorisation (une échelle) qui se fait au mépris des aspirations et aussi du véritable vécu des personnes concernées et limite, en leur fermant bien des portes, leur vie dans la société comme leur vie intime et personnelle : « Est-ce que Anna sait qu’il y a des gens méchants qui me traitent de débile? C’est une autre raison pour laquelle je veux m’appeler Céline comme la célèbre, pour sortir de ma spécialité et ne plus sentir les regards qui se moquent de moi et m’obligent à baisser la tête…. Pourquoi une échelle a-t-elle chamboulé ma vie? Pourquoi suis-je seule mais tellement supervisée? Je suis fatiguée d’être spéciale… Mon amour j’ai de la peine, toute ma vie je serai une DI, toute ma vie je serai une petite fille de huit ans seule sur un banc public, à attendre, attendre quelqu’un qui me sortirai de cet-âge-là. ..Personne ne peut superviser mon cœur. Il sera toujours prisonnier dans mon corps prisonnier d’une DI. »

Mais on aurait tord de ne chercher dans La vie pour vrai que le regard amer que Céleste et ses ami(e)s du foyer d’accueil et au travers d’eux que les « DI » portent sur nos attitudes comme si, là encore, c’était leur vie dans leur seul rapport à la nôtre qui importait le plus. Car La vie pour vrai est surtout riche de la vie intense qui anime ses personnages. Une vie bien sûr faite des petits plaisirs de la vie quotidienne, des relations humaines fortes autant d’amour que d’amitié et d’affection et de déceptions envers les proches, mais aussi d’une extraordinaire créativité; façonnant ainsi une réalité peuplée de couleurs, de poésie, d’écriture et de liberté. C’est à la découverte tout un univers auquel nous sommes conviés. C’est ainsi que nous avançons, pas à pas, au fil des pages dans un univers que l’on découvre extraordinaire et merveilleux par la beauté et la puissance qui s’en dégage. Céleste nous livre « sa vie pour vrai » qui transcende la «  vie supervisée« . Une vie qui, bien sûrement, a échappé à ceux qui veulent superviser mais qui s’offre à ceux qui l’écoute, la respecte, l’encourage : En premier lieu, les personnages du roman : Anna sa sœur; Denise sa « deuxième maman », qui l’accueille depuis la mort de sa mère dans son foyer tous les soirs; sa mère qui, bien que décédée, est encore bien présence pour Céleste; Alexis et Ondine ses neveux et nièces; Mado le professeur d’art qui laisse s’exprimer sa force créatrice. Mais aussi, nous les lecteurs, qui nous laissons prendre par la main pour ce voyage unique et intime dans le monde de Céleste. Un monde qui se construit autour de faits bien concrets et dans lequel les réalités de la vie, de la vie pour vrai, prennent leur juste place avec ses joies, ses espoirs, ses victoires mais aussi ses trahisons, ses peines et ses douleurs : La disparition ou le départ des être chers, les déceptions amoureuses. Mais aussi un monde dans lequel on fait face en les réinterprétant en les magnifiant, pour en faire naître une harmonie, autant les autres créatures de la vie en leur donnant une existence animiste, que les valeurs humaines de l’amitié, de la complicité entre les êtres ou de l’amour, que les beautés que la vie met à votre disposition: la nature qui procure force et sérénité donne ainsi le courage de continuer; les couleurs qui viennent à bout de la tristesse et des carcans; Les êtres disparus qui restent en contact avec vous et continuent de vous apporter leur affection et de vous soutenir par la présence du souvenir; L’écriture et les mots lus, crées ou réinventés qui reconstruisent, encouragent et livrent les clefs pour comprendre; Les animaux, domestiques ou non, devenus compagnons de la vie.

Avec La vie pour vrai Nicole Houde, finaliste et lauréate de nombreux prix, dont le Prix des Jeunes Écrivains du Journal de Montréal, le Prix Air Canada, Prix Molson de l’Académie canadienne-française, le Prix du Gouverneur général le Prix littéraire Roman du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Le Prix Hervé-Foulon du livre oublié, nous guide une fois encore avec sensibilité et délicatesse dans le monde de ceux qui vivent la différence. Des personnes que nous choisissons trop souvent d’oublier et que nous préférons « superviser » et regarder avec condescendance. Probablement parce que leur univers, leur réalité qu’ils nous proposent nous obligent à revoir nos codes, nos certitudes et assurances sur cette organisation de la société que nous construisons à notre avantage. Mais des personnes auxquelles Nicole Houde, à travers l’ensemble de son œuvre, rend hommage et pour lesquelles elle réclame le droit à la différence, le droit à une vie pour vrai.

Par son roman, Nicole Houde nous autorise aussi à accepter, comme le font Céleste et ses compagnons ou les enfants qui les entoure, cette part que nous portons toujours en nous de créativité, de croyances ou de réinterprétation des réalités matérielles et scientifiques de la vie, de la nature ou des rapports avec les êtres, qui nous guident et qui sont pourtant en dehors, voire même en contradiction, avec les normes que nous avons intégrées. En cela aussi nous lui devons beaucoup.

Dans La vie pour vrai, Nicole Houde nous convainc également de l’importance de l’Art dans nos façons de construire et de vivre la vie en société comme nos vies individuelles. Un rappel bien nécessaire en ces temps de politique budgétaire d’austérité dans lesquels la culture et la création artistique sont si facilement dénoncées comme autant de gaspillage de temps, d’énergie et d’argent.

« L’écriture de Nicole Houde est une écriture où vibre une poésie discrète, attentive à la charge de rêve qui transcende les êtres et les objets les plus humbles. » a écrit en commentaire le jury qui lui a décerné le Prix du Gouverneur général en1995 pour Les oiseaux de Saint-John Perse. Un commentaire qui prend aussi toute sa valeur dans ce nouveau roman qu’il faut lire autant en amoureux de la langue et de la créativité qu’en tant que membre d’une société respectueuse de tous. Parce que la vie pour vrai ce doit être, aussi, la vie ensemble.

La vie pour vrai
Auteure : Nicole Houde
Collection Plume dirigée par Marie-Madeleine Raoult
Conception de la couverture : Julie Larocque
Œuvres en couverture : Janis Mailhot, Céleste-Ville dessin, 2010
Photographie de l’auteur : Richmond Lam
Éditions de la Pleine lune: www.pleinelune.qc.ca
ISBN: 978-2-89024-420-7 (Papier)
ISBN: 978-2-89024-422-1 (Epub)
216 pages
Broché
22,95 $

En librairie le 10 septembre 2014
Avec le soutien du Conseil des Arts du Canada et de la Sodec Québec

Les libraires : http://www.leslibraires.ca/livres/vie-pour-vrai-nicole-houde-9782890244207.html/e1dd8c25397c88abfe7cd70f925874933036529ccef68fb479ce1bc1f7b34e7740a54ab4a447e3db0c50dd1f85b27b844dd52106c444f591db2e7f9001807fd2/?u=4850
© photo : courtoisie