Pour cette première saison conçue par Philippe Ducros à la direction artistique, quinze propositions théâtrales sont au programme : des créations du Québec, de Toronto, de la Belgique; des représentations dans la rue, des œuvres en chantier, de l’improvisation… Afin de permettre la tenue d’autant d’activités, le théâtre prend de « l’expansion » et inaugure en novembre une salle de diffusion intime : le Studio Espace Libre.
En cette nouvelle saison, Espace Libre sera plus que jamais un lieu privilégié de recherche théâtrale, de prise de parole et de liberté.
Philippe Ducros explique :
Chez nous, de nos jours, les combats quotidiens se font à petite échelle, et la scène de ces batailles est trop souvent en nous : perte de repères, de foi, de sens, perte de confiance envers notre monde, envers ses dirigeants, envers l’avenir. Les projets présentés tout au long de cette saison proposeront une réflexion sur l’espace intime en nous qui subit cette pression d’un monde envahissant, un monde qui s’impose et qui implose.
Certaines aventures scéniques s’adresseront directement à notre place en la cité, à notre rapport au politique et au monde. La corruption, les utopies du siècle dernier, l’occupation militaire, la crise économique, les dérives sécuritaires, ou encore la mémoire d’un pays… Tant d’arènes où l’humain se doit de se tenir debout les poings serrés pour garder son humanité. Tant d’appels à la solidarité, à l’espoir.
D’autres œuvres traiteront davantage nos arènes mentales, tant soit peu qu’il y ait une différence entre la cité et la pensée… Dans le bordel ambiant de nos démocraties de papier, face à l’abondance du bombardement médiatique vide et fulgurant, le puritanisme, la peur, la rage et la pauvreté mentale nous encerclent. Il nous faut tendre la main aux autres, et de notre tendresse, de notre soif de vivre, percer le chaos ambiant, stopper la perte d’humanité, la redéfinir et l’ancrer en notre territoire intérieur.
En cette nouvelle saison d’Espace Libre, voici donc quinze propositions scéniques, toutes l’œuvre d’insurgés.
De la déconstruction scénique
Pour ouvrir la saison : L’enclos de l’éléphant. Créé cette année au FTA, ce spectacle du Grand Jour utilise un ingénieux dispositif basé sur le système carcéral du panoptique, où le spectateur isolé dans une cabine est amené à réfléchir sur la peur de l’autre, ses pouvoirs et les dérives sécuritaires qui en découlent.
De Toronto, la Tangente présente en janvier Requiem pour un trompettiste. Inspiré des scandaleux événements de Walkerton, ce spectacle, digne d’un film de série noire, divise l’auditoire en deux. La scénographie, composée de deux plateaux distincts, présente en parallèle le récit du point de vue de l’hôtel de ville et d’une chambre d’hôtel… À l’entracte, l’auditoire change de versant, le récit recommence, exposant l’autre côté de la médaille.
Le NTE revisite, dans un premier temps, en octobre, l’expérience de Zoo, créée en 1977 par le Théâtre Expérimental de Montréal, à l’origine du Nouveau Théâtre Expérimental. Réalisé à la façon d’un Biodôme, Zoo 2011, ce parcours non dramaturgique nous mènera à travers une série de microclimats prélevés à même la ville de Montréal.
Le mime dans tous ses états : Un festival à Espace Libre!
Septembre voit le retour de l’événement triennal les Rencontres internationales du mime de Montréal. Cette 5e édition réunit sept compagnies — grandes et petites formes — d’Europe et d’Amérique. Pendant douze jours, le RIMM5, une initiative d’Omnibus, squatte les trois étages d’Espace Libre, pour un état des lieux fédérateur de l’art du corps en date d’aujourd’hui.
Le monde et nous…
Malheureusement toujours d’actualité, L’affiche, de Hôtel-Motel, spectacle coup de poing sur l’occupation de la Palestine, est reprise en novembre. Rappelons que, lors de sa création à Espace Libre, cette œuvre a reçu le Prix du spectacle de l’année 2009 pour Montréal par l’AQCT, en plus d’être lauréate de quatre Cochons d’or.
Puis, en décembre, c’est le retour en nos murs du CIRAMM, avec Pharmak(ha)os, de Pascal Contamine : fresque démesurée autour de la mort des utopies de l’Occident du XXe siècle, racontée par nul autre que les résidents de l’Asile de la cité!
Présenté en février, Invention du chauffage central en Nouvelle-France, du NTE, est le premier volet d’une saga en trois parties sur l’histoire du Québec qui explore toujours la même chronologie (de 1608 à 1998), mais à chaque fois sous un angle différent. Cette fois-ci, c’est le thème du grand choc thermique et de ses retentissements sur notre destin collectif qui y est abordé.
Parler de la crise économique? Maintenant? Peut-on avoir confiance dans cette proposition? Pour vous, Transquinquennal et le Groupe Toc, deux troupes de la Belgique, vont tomber dans tous les pièges, creuser toutes les ornières, dire tout ce qu’on sait déjà et qu’on n’a pas du tout, mais alors, pas du tout envie de s’entendre dire ou de se voir montrer. Tout ça dans Capital confiance, présentée en mars prochain.
Noël caustique
Si La Licorne a ses Contes urbains, et le Rideau Vert sa Revue de l’année, Espace Libre reçoit pour la deuxième année consécutive Dinde et farces, du Théâtre du Party Chinois… On y retrouve le réconfort et la violence de tout bon party du temps des fêtes.
Le politiquement correct mis en pièces
Bons sentiments, bonne conscience, florilège de la rectitude éthique : autant de placards où parquer des cadavres. En mars, Jabbarnack! célèbre l’envers de l’indignation. Mis en œuvre par Jean Asselin, d’Omnibus, ce spectacle donne un coup de Jarnac à ces petites lâchetés quotidiennes déguisées en bonnes actions.
À la même période, directement du Studio Espace Libre, La Tourbière s’attaque quant à elle à la morale douteuse du conte de Perrault avec Le chaperon est-il si rouge que ça?, un mimodrame décapant et impudique qui tient du cauchemar autant que de la farce.
Après la mort et le deuil évoqués dans Le chant des Gaston en 2007 à Espace Libre, en mai prochain, avec PlayTime!, Céline Bonnier de Momentum se tourne cette fois-ci vers la vie, la vitalité, vers ce puissant ressort que nous avons tous en nous : l’éros! Se joignent à elle pour cette célébration de la libido de puissants créateurs tels que le peintre Lino ou l’artiste sonore Nancy Tobin.
L’œuvre en quatre temps
Inaugurant le nouveau Studio Espace Libre, quatre épisodes théâtraux sous forme d’émission télévisée où le docteur Crête reçoit l’auteur de théâtre François Marquis et l’interroge sur une œuvre en chantier : La Tétralogie de l’Impossible par les Productions à Suivre. À chacun de ces entretiens, l’illustre docteur aborde le processus de création, les conditions de la pratique, le sens et le théâtre, tandis que des extraits de la nouvelle œuvre en devenir sont présentés.
Va donc jouer dans le décor de…
Tout au long de la saison, l’équipe de Cinplass, Théâtre spontané en collaboration avec La LNI, se commet à six occasions dans le décor des productions en cours. Vous ne savez pas quoi faire les lundis à Montréal? Venez vous lancer dans le vide avec ces cinq cascadeurs sans filet qui partent de rien et improvisent le monde!
Va jouer dehors!
Finalement, en juin, le collectif Les Néos dresse, avec Scrap, le portrait accidenté d’une jeunesse qui vit à toute vitesse. Un spectacle donné à l’extérieur, sur la rue Coupal, adjacente au théâtre, où trois carcasses de voitures servent de décor, d’éclairage et de leitmotiv à l’action menée par huit performeurs.
Se terminant ainsi, notre saison en sera une d’espoir et d’insoumission. Oui, notre époque a besoin de penseurs. Mais aussi de rêveurs. L’humain doit apprendre plus que jamais à voler. Et que son territoire lui serve de tremplin, plutôt que de frontières. Parce que l’humain est fait de rêves et que le pays est fait de son humanité.
