Wolfe

Dans le cadre du carrefour international de théâtre, mardi le 31 mai, avait lieu, à la salle Multi de Méduse à Québec, la première de la pièce Wolfe de la jeune auteure Emma Haché.  Wolfe est une réappropriation poétique et historique d’un fait réel, soit l’affligeante controverse qui entoure la création du parc national Kouchibouguac au Nouveau-Brunswick à la fin des années 60, entreprise qui a entraîné l’expropriation musclée de plus de 220 familles. À l’origine de l’œuvre, on retrouve l’histoire de Jackie Vautour, l’homme qui est monté aux barricades afin de clamer haut et fort son indignation face à l’injustice, véritable légende vivante et héros de la résistance acadienne. Ses démêlés avec le fourbe Wolfe, symbole de la répression gouvernementale, puis sa rencontre avec la douce Apolline vont l’amener à se confronter à son propre mythe et à questionner son aptitude à transcender les épreuves.

Il ne faudrait cependant pas s’y tromper : Wolfe n’a rien d’une œuvre biographique ou documentaire, mais plutôt une extrapolation fantaisiste où réalité et fiction s’entremêlent.

Pour sa première mise en scène, l’auteure très talentueuse Emma Haché a fait un travail superbe et a su faire preuve de grande ingéniosité pour nous présenter cette histoire de quête d’identité à travers un fait réel et un personnage légendaire.

Avec comme décor une vingtaine de troncs de bouleaux qui offrent un sentier sinueux dans la forêt, de la terre qui recouvre le sol et des maisonnettes en bois qui représentent symboliquement les villages expropriés, il n’en faut pas plus pour donner l’impression de se retrouver près de 40 ans en arrière lors de l’affrontement entre ces villageois et le gouvernement. Ces maisonnettes sont manipulées pour en faire tantôt un banc, parfois une huche à vêtements. Mais aussi, elles sont illuminées de l’intérieur pour montrer en miniature la vie de ces villages. Et peu à peu elles s’éteignent et sont renversées puis carrément enlevées de la scène. Une image puissante de la réalité de cette expropriation. De plus, l’utilisation de projection vidéo sur un drap permet un autre niveau de jeu, avec des ombrages qui donnent une autre dimension à l’histoire racontée.

L’autre force de ce spectacle réside à mon avis dans les styles de jeu. Il y a carrément 3 façons dont cet évènement historique nous est conté et ces questionnements nous sont posés.

Il y a d’abord Gonzague (Albert Belzile, attachant et bon vivant) et Rosilda (Diane Losier, expressive et pétillante), une couple de vieux, ayant eux 11 enfants, mariés depuis 52 ans qui en viennent à se faire voler leur bout de terre. Avec beaucoup d’humour, ils assurent la narration des évènements et permettent d’établir la chronologie et la cohésion entre les histoires racontées. Une interprétation sans faille et hors pair de ces deux acteurs dont la complicité est palpable. Avec beaucoup de répartie, d’échanges savoureux, ils alternent entre le rire et la tendresse, le drame qui les touche et les souvenirs de leurs enfants, leurs voisins et leurs journées à la pêche. Cela est un beau baume à la lourdeur parfois qui s’installe dans cette tragédie et ses questionnements existentiels.  

Puis il y a le couple Jackie Vautour (Frédéric Clément Melanson intègre et combattant) et sa femme Yvonne (Marie-Pierre Valay-Nadeau fidèle à son homme) qui refusent de plier l’échine devant les pressions gouvernementales, et ce, même s’ils ont le ventre creux et un toit qui coule. Leur jeu repose sur le réalisme. Ils incarnent les personnages légendaires et le combat qu’ils ont mené pour sauver leurs terres.

À cela s’ajoute le côté imaginaire, le magique, le conte. Les remises en questions, les métaphores, les symboles, la poésie est retransmise à travers les personnages d’Apolline (Caroline Sheehy délicate et naïve), alter ego de l’auteure, qui cherche Vautour, et Wolfe (Kevin Doyle profiteur, maléfique) qui personnifie le représentant du gouvernement qui voudrait bien arriver à dominer Jackie Vautour.  Les scènes entre Apolline et Wolfe, sont jouées telle une poésie, à grands coups de chorégraphie et de symbolisme. Il y a une élégance et une fougue qui émeut.

Ainsi, à travers ces divers types d’interprétations, le rythme change constamment, déstabilisant agréablement le public. À mesure que le spectacle avance, le public se questionne, mais également est profondément touché par cette histoire vraie.

Il y a plusieurs lectures à faire dans ce spectacle, plusieurs similitudes et liens à faire avec par exemple les contes de Perreault. Le petit chaperon qui se fait prendre par le loup, et les trois petits cochons, où il y a les petites maisons et le loup qui les fait se renverser. Mais on peut également voir que Wolfe représente aussi les épreuves, les tourments intérieurs, la bête qui se trouve en chacun de nous.  

Bref, cette pièce est d’une grande sensibilité humaine, qui permet aux gens de se poser des questions sur la façon dont les épreuves et l’adversité nous permettent de nous révéler à nous-mêmes. Et, à la fin du spectacle, les gens du public sont ressortis avec pleins questionnements sur eux-mêmes peut-être et surtout l’impression d’avoir connu un grand homme que ce légendaire Jackie Vautour.

Après la représentation, l’auteure et les six comédiens sont venus répondre aux questions du public et de Marie Gignac, directrice artistique du carrefour de théâtre.

 

Ainsi, on en a appris un peu plus sur la vie de cet homme et ses enfants qui habite toujours avec sa femme, sur ses terres, dans une maison sans eau ni électricité. Et aussi, on apprend comment il est perçu cet homme, dans sa région et comment il influence maintenant les gens autour de lui.

 

Je tiens à souligner le travail remarquable de Frédéric Clément Melanson qui a pris la relève de André Roy dans le rôle de Jackie, seulement trois semaines avant la première de la pièce. Il a même mentionné qu’ils ont répété tous ensemble avec lui, seulement lors de la générale. Chapeau à ce grand comédien qui a su relever le défi avec brio.

 

 Biographie de Jackie Vautour :John L. « Jackie » Vautour est né en 1930 à Claire-Fontaine. Il fut le président du Comité des citoyens de cette ville et chef de la résistance à la création du parc national canadien Kouchibouguac en 1972. À cette époque, 250 familles furent expropriées dans le but de créer un parc dans le nord-est du Nouveau- Brunswick. Les gens étaient pour la plupart de moyens modestes, peu instruits, et majoritairement acadiens. Le 5 novembre, 1976, le shérif Wolfe du comté de Kent est arrivé chez les Vautour armé d’un mandat d’éviction. La maison fut bulldozée et les effets personnels de la famille emmenés en entrepôt. En juillet, 1978, Jackie Vautour, sa famille et huit autres expropriés sont retournés dans le parc et se sont installés sur les lieux de leurs anciennes habitations. Pensant que l’hiver allait en finir avec Jackie Vautour et craignant une révolte populaire, les agents du gouvernement n’ont pas osé le confronter. Aujourd’hui, il habite encore avec sa femme, Yvonne, en plein milieu du parc national Kouchibouguac, illégalement selon les autorités.

Mercredi 1er juin (19 h)
Jeudi 2 juin (19 h)

Salle Multi de Méduse

Durée : 1 h 40 

Texte et mise en scène Emma Haché
Interprétation
Albert Belzile – Gonzague
Kevin Doyle – Wolfe
Diane Losier – Rosilda
Frédéric Clément Melanson – Jackie
Caroline Sheehy – Apolline
Marie-Pierre Valay-Nadeau – Yvonne
Scénographie et costumes Luc Rondeau
Éclairage Marc Paulin
Conception sonore Jean-François Mallet
Régie Justin Gauvin
Direction de production Daniel Castonguay
Costumières Lynn Losier et Nicole Gallant
Construction des décors Décor Action Inc.
Une création du théâtre l’Escaouette de Moncton en coproduction avec le Théâtre français du Centre national des Arts.

 

Remerciements :
Le Parc national Kouchibouguac
Le département d’arts dramatiques de l’Université de Moncton

 

http://www.carrefourtheatre.qc.ca

 

crédit photos : Francine Dion