Les modèles de l’amour

Les modèles de l'amour

Devant les clients, leur ménage a l’air d’aller bien. Geoffroy et Christèle offrent des spectacles érotiques à domicile. Zone de service : le Grand Montréal. Quant au jeune homme qui habite le bachelor de sa grand-mère, il a répondu comme d’autres à leur petite annonce. Même s’il paie pour regarder le couple s’aimer, il a l’impression d’avoir des amis, de faire advenir quelque chose de son existence. 

Un tout petit livre, avec une page couverture qui m’a d’abord intriguée. On y voit deux mannequins que l’on regarde probablement dans une vitrine. La fille habillée sexy, et l’homme torse nu. On a l’impression d’être voyeur d’une scène probablement érotique, mais dont les principaux intéressés, ne semblent pas intéressés. Pour cause, ce sont des mannequins, donc, sans émotions, sans vie dans leurs ébats. Et c’est un peu ce que j’ai ressenti dans ce livre,  peu d’émotion face à leurs ébats, à leur spectacle qu’ils offrent à domicile. De plus, on en sait peu sur eux, comment ils ont abouti ensemble, d’où ils viennent, quelles sont leurs ambitions? On n’apprend d’eux que certains moments de leur passé, qui implique un viol, chacun à un moment et une époque différente. De plus, on sait que leur couple ne va pas bien et qu’ils tentent de trouver ce qui pourrait les amener à faire perdurer leur couple.

On apprend tout cela par la plume du jeune homme alcoolique, qui habite chez sa mamie. D’un côté, il raconte ses mésaventures et obsessions, de l’autre il s’immisce dans le passé et le présent du couple, au fil de ses rencontres ponctuelles avec eux chez lui et les observations et extrapolation qu’il fait de ce qu’ils peuvent vivre ensemble. À force de les faire venir chez lui, le jeune homme prend plus de plaisir à jouer leur psychologue, plutôt qu’à tenter de jouir en solitaire pendant leurs ébats. C’est ainsi qu’il nous raconte les déboires du triangle amoureux que forment Geoffroy, Christèle et Sophie, la dominatrice, la jalousie de chacun à divers moments de leur relation de couple, mais surtout, la solitude et le mal-être qui se cache derrière tout ce sexe, ces baisers, ces étreintes, et même ces démonstrations sado-maso ou lesbiennes. « Par chance, les parties génitales de l’autre sont là. On peut les aimer malgré l’autre. Elles marquent autrement que son cou, ses cheveux, ses yeux, ses fesses. Elles deviennent un être à part entière avec le temps. Une sorte d’être en l’être, en l’autre.»

Malgré leur vie bien triste et peu attrayante, le jeune homme alcoolique, qui vivote dans le sous-sol de sa grand-mère, est fasciné par ce couple, Christèle surtout, au point d’en devenir obsédé, tout comme il l’est de la disparition des chats de sa mamie.

C’est un livre assez déprimant à lire, car il témoigne de beaucoup de solitude et de désarroi. Cependant, j’aime bien l’écriture de l’auteur qui manipule les mots, joue avec les phrases et je dénote un cynisme et un humour noir qui me plait bien. « Voilà ce qui arrive quand j’essaie de vivre le moment présent, je me mets à penser au passé ou au futur. Mais leur image, passée ou future, est tout à fait présente… Je semble avoir beaucoup plus d’importance dans mes rêves que dans la réalité.» Dans cet autre extrait, il joue avec les mots du viol « Le ‘i’ de ‘viol’, c’est le corps de l’autre. Le ‘i’ de ‘viol’, c’est le corps qui est volé à l’autre. » Et parfois, il décortique et enlève toute l’intensité de l’émotion d’une scène, pour la rendre glauque et triste. « Elles obéissaient, cédaient leurs corps, attendaient qu’on en ait terminé, sans savoir ce qu’il en resterait. Il y avait une nébuleuse consolation, difficile à assimiler, celle d’être deux, d’être ensemble violées, chacune par l’ami de celui qui ne l’avait pas violée. Chacune ne s’était pas fait violer par l’ami de celui qui la violait en ce moment.»

Ce livre a été écrit et présenté dans un style dont je suis peu familière. Cela m’a pris du temps à l’apprivoiser et à m’y sentir à l’aise. Somme toute, j’ai bien aimé, mais il m’est resté un sentiment de tristesse et d’empathie envers le mal-être de ces personnages. 

 

Grégory Lemay

Grégory Lemay vit à Montréal. Il a fait des études de linguistique, de littérature, de psychologie, d’électronique, de musique… et un stage dans les Forces canadiennes. Il est l’auteur de Moi non plus, du Sourire des animaux et du Roman de l’été. Il signe avec Les modèles de l’amour son quatrième roman.

Prix : 21.95 $

 165 pages

 aux éditions Héliotrope

http://www.editionsheliotrope.com