Sorte de « compagnon » à L’Énigme du retour, ce roman, dont la première édition est parue à Montréal en 1994, raconte l’arrivée d’un jeune Haïtien dans la métropole québécoise au milieu des années 1970. Poursuivant son projet de réécrire son oeuvre en l’approfondissant, l’auteur nous donne ici une nouvelle version, entièrement remaniée et augmentée, de ce qui aurait pu s’appeler L’Énigme de l’arrivée, si ce titre n’avait été rendu célèbre par V.S. Naipaul.
En débarquant à Montréal, Dany Laferrière se retrouve devant sa vie comme devant une page blanche. Fuyant la dictature, il découvre une ville en pleine effervescence olympique et une société où les mêmes grandes questions – l’amour et le sexe, la richesse et la pauvreté, la solitude et la fraternité – divisent ou rassemblent les êtres, tout comme dans son pays d’origine, mais suivant une ordonnance totalement différente. Le roman est composé de 360 fragments — qui prennent la forme de proses ou de vers libres, un peu à la manière de L’Énigme du retour —, à partir desquels le lecteur peut se former un portrait de la première année que le romancier a passée au Québec. Chacune des pièces de ce puzzle s’ajuste parfaitement aux autres pour souligner l’incertitude et la crainte qui taraude ceux qui ont quitté une terre bien-aimée pour sauver leur peau.
En 1976, Dany Laferrière fuit Haïti et sa dictature. Âgé de 23 ans, il arrive à Montréal, dans un pays qu’il ne connaît pas, avec une langue qui est différente de la sienne (créole vs le français), une culture, un climat, une gastronomie, des manières qui ne sont pas les siens, tout ça est totalement nouveau pour ce jeune homme qui débarque à Montréal et qui doit s’adapter pour survivre. À travers une prose bien différente des romans qu’on est habitué de lire, Dany nous raconte l’exil et son entrée dans une nouvelle vie. Il nous transmet ses états d’âme, ses réflexions, les émotions qu’il a ressenties durant la première année de sa vie au Québec :
«Anglais et Français se croisent
Sans se voir dans cette métropole
Où un chat doit savoir japper
S’il veut survivre.»
«Chacun muré dans son univers. J’ai quitté
Une capitale de bavards invétérés pour tomber
Dans une ville de mordus du silence où les gens
Préfèrent regarder la télévision plutôt
Que de s’adresser à leur voisin. La distance
Qui les sépare semble parfois infranchissable
Et cela se reflète dans cette agitation pour esquiver
Le regard de l’autre.»
De l’itinérance avec sa soupe populaire, au travail à l’usine et son appartement minable, Dany rencontre la pauvreté, la peur, l’alcool, la solidarité entre immigrants et surtout les femmes. Il découvre également la littérature qui deviendra son allié dans ce Montréal des plus déstabilisants. Tout en poésie et en humour, Dany décrit son quartier, ses voisins, les femmes qu’il côtoie et aime.
«Mes voisins entrent
Et sortent de prison
Comme dans un moulin.
L’un d’eux m’accoste
Dans l’escalier.
– Tu ne voles pas,
Tu ne vends pas de drogue,
Tu n’as pas de filles qui travaillent
Pour toi, comment fais-tu
Pour vivre, man ?»
«Julie c’est pour le cœur,
Nathalie c’est pour le sexe,
Il me faut vite quelqu’un
Pour l’argent.»
«Son corps a frémi,
J’ai bondi.
Elle a filé,
Je l’ai attrapée
À la porte.
J’ai courbé
Sa nuque,
Soulevé sa robe,
Et je l’ai prise par derrière
Marlgé ses cris.»
Ce livre, bien qu’il semble être un journal que Dany aurait écrit en 1976, n’a été en fait écrit qu’en 1994, alors que l’auteur s’est remémoré ses souvenirs et a reconstruit ses émotions de 1976. On a vraiment l’impression d’y être, avec lui, dans ses pérégrinations. On s’imprègne de ses réflexions et on peut comprendre plus aisément comment un immigrant peut avoir de la difficulté à s’intégrer à une nouvelle communauté. Cet exil à Montréal a façonné l’homme et l’auteur que l’on connaît. Et c’est magique de voir comment cet homme s’est transformé pour devenir le grand auteur que l’on adore lire depuis plusieurs années.
«J’ai connu les quatre saisons.
J’ai connu
Et la jeune fille et la femme.
J’ai connu la misère.
J’ai connu aussi la solitude.
Dans une même année.»
«Je dois me trouver
Une chambre en ville
Où il n’y aura
Que le lit,
La table de cuisine
Et la machine à écrire.
Je n’y amènerai personne.
Je vais donc retourner au parc
Trainer,
Regarder les filles,
Noter mes impressions,
Et, bien sûr,
Essayer d’autres recettes
De pigeon.»
Chronique de la dérive douce est le premier « roman du Québec » de Dany Laferrière, et il inaugure un dialogue entre l’enfant du Sud et la terre du Nord qui dure encore aujourd’hui.
Né à Port-au-Prince en 1953, Dany Laferrière est l’auteur de plusieurs romans dont Vers le Sud (2006), Je suis un écrivain japonais (2008), L’Énigme du retour (2009, prix Médicis, Prix des libraires du Québec et Grand Prix du livre de Montréal) et L’Art presque perdu de ne rien faire (2011) aux Éditions du Boréal.
216 pages
Prix 22.95 $
Éditions Du Boréal en coédition avec Grasset
http://www.editionsboreal.qc.ca/
Dany Laferrière est le président d’honneur du Salon International du Livre de Québec du 11 au 15 avril 2012.
Cette année, Dany Laferrière enrichit le Salon de ses deux plus récents ouvrages, L’art presque perdu de ne rien faire et Chronique de la dérive douce, publiés respectivement en 2011 et 2012 aux Éditions du Boréal.
Il sera possible de le rencontrer spécifiquement à son kiosque 419 pour une dédicace de ce livre.
Mercredi : 19h à 20h
Jeudi : 17h à 18h30
Vendredi : 15h à 16h30
Samedi : 14h à 16h
Dimanche : 12h30 à 14h
Il participera également à diverses conférences et discussions, durant le Salon. Il suffit d’aller sur le site internet pour en savoir plus.