Théâtre La Chapelle – Quartett : Les liaisons dangereuses

Valmont (Juliette Plumecocq-Mech) et Merteuil (Marie-Armelle Deguy) (photo : courtoisie)
Valmont (Juliette Plumecocq-Mech) et Merteuil (Marie-Armelle Deguy) (photo : courtoisie)

 

Valmont (Juliette Plumecocq-Mech) et Merteuil (Marie-Armelle Deguy) (photo : courtoisie)
Valmont (Juliette Plumecocq-Mech) et Merteuil (Marie-Armelle Deguy) (photo : courtoisie)

Deux êtres infâmes habitant un espace aussi fêlé que leur coeur se livrent un ultime duel. Trop lâches sous leur carapace pour s’affronter et se fondre l’un à l’autre, c’est en manipulant et en soumettant d’innocentes victimes à leurs sombres desseins qu’ils se blessent mutuellement. La marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont, avilis par l’oisiveté d’une vie de haute bourgeoisie et obsédés par le vieillissement de leur corps, n’ont plus d’autre but dans la vie que de se nourrir du mal infligé aux autres. C’est pour se distraire de leur propre déchéance physique et morale, par mépris pour ce qu’ils ont depuis longtemps perdu, qu’ils se repaissent, tels des bêtes, de la pureté de la jeunesse.

Un pur moment de grand théâtre, voilà ce qui attendait la salle comble truffée de personnalités à l’intime Théâtre La Chapelle hier soir. Quartett de Heiner Müller est l’une des oeuvres majeures du dramaturge et est reproduite depuis 1985. La pièce s’inspire de l’ouvrage Les liaisons dangereuses, écrit au XVIIIe siècle par Pierre Choderlos de Laclos. Oui, oui! ces mêmes Liaisons dangereuses dont a été tiré le film de 1988, désormais classique, dans lequel Glenn Close et John Malkovich nous ont fait grincer des dents. Mais avec Quartett, nous sommes bien loin de l’univers verni des aristocrates. À bas les masques, la nature immonde de Merteuil et Valmont, poussée jusqu’au grotesque, nous est jetée aux yeux. Un vicomte sanguin, génital, à la gesticulation et à l’articulation qui rappelle inévitablement un animal se heurte à une marquise glaciale à la mouvance arachnéenne. Comme une veuve noire, elle déploie sa toile, son plan, son moyen de diversion pour oublier, et faire oublier, la noirceur qui l’habite. Dévorer l’autre pour survivre, pour ne plus y voir son reflet. Détruire l’autre pour ne plus souffrir la comparaison.

Quartett - Une interprétation mémorable (photo : courtoisie)
Quartett – Une interprétation mémorable (photo : courtoisie)

L’ambiance visuelle et sonore est lugubre, angoissante tout en étant discrète et remplit à la perfection son rôle de mise en valeur de l’univers cauchemardesque qui prend vie sur scène. La troublante chorégraphie des corps est réglée au quart de tour, les gestes sont sauvages, tantôt impulsifs et tantôt simulés. Les actrices Marie-Armelle Deguy, ancienne résidente à la Comédie Française de Paris, en duo avec Juliette Plumecocq-Mech au parcours théâtral des plus enviable, s’emparent à bras le corps des rôles démoniaques de Merteuil et Valmont. Par leur impeccable, que dis-je, magistrale! incarnation de leur personnage respectif, elles nous figent le sang dans les veines à maintes reprises. Car la marquise, sous le poli de son titre, n’est rien de plus qu’une femme au bord du délire et Deguy a plus d’une fois ce regard hagard qui pétrifie le spectateur sur son siège. C’est le regard de la folie. Quant au vicomte, qui rêve de la posséder, il n’est qu’un homme refusant le temps qui passe, refuse le moment où il aura du mal à durcir et qui court après sa queue, et là vous donnerez le sens que vous voudrez à cette expression car elle sera de toute façon bonne, et Plumecocq-Mech lui octroie une façon de bouger quasi burlesque. Sans vouloir offenser qui que ce soit et par pur besoin de référence pratique, on pourrait se rappeler le jeu de Jim Carrey dans Le Masque. La prestation des actrices est mémorable, je me retiens pour ne pas dire inoubliable. D’ailleurs, les chauds applaudissements, qui se sont prolongés durant plusieurs minutes à la toute fin, résonnent sans doute encore dans La Chapelle…

 

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Heiner Müller, dramaturge (1929-1995)
Heiner Müller, dramaturge (1929-1995)

Heiner Müller est né en Allemagne en 1929 et décédé en 1995. Grand dramaturge de son vivant, ses oeuvres sont présentées encore de nos jours. On lui doit de fameuses réécritures de mythes et de classiques qui ont su traverser le temps dont Quartett qu’il a produit en 1985 d’après Les Liaisons dangereuses, un texte de 1796. Anarchiste de l’Allemagne de l’est, il est également l’auteur d’essais et d’entretiens. Son oeuvre est maintenant devenue matière à études.

 

 

 

 

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Quartett
Texte : Heiner Müller, d’après les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos
Mise en scène : Florent Siaud (Les Songes Turbulents)
Distribution : Marie-Armelle Deguy (Marquise de Merteuil) – Juliette Plumecocq-Mech (Vicomte de Valmont)
Musique : Nicolas Bernier
Son : Julien Eclancher
Concepteur lumière : Nicolas Descôteaux
Régisseur lumières : Ludovic Heime
Une coproduction de Les Songes Turbulents avec le Centre Dramatique National des Alpes

Lieu : Théâtre La Chapelle
Dates : du 2 au 13 avril 2013
Prix (taxes et frais inclus) : 33.50$

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