Le Chant de Saint Carmen de la Main: une oeuvre intense qui a beaucoup de coeur!

Le Chant de Sainte-Carmen de la Main
Le Chant de Sainte-Carmen de la Main

L’équipe de création de Belles-Soeurs (Daniel Bélanger à la musique, René-Richard Cyr à la mise en scène) nous transforme une autre oeuvre de Michel Tremblay, la pièce créée en 1976 « Sainte-Carmen de la Main ». Très différent du festif Belles-Soeurs, il n’y a presque pas de comparaison entre les deux productions. « Le Chant de Sainte Carmen de la Main » est plus sombre et plus intense dans ses thèmes et son histoire.  Écrite dans le Québec des années 70 qui se cherchait une identité (on se souvient que René Lévesque a pris le pouvoir tout de suite après la première production), les thèmes de l’acceptation de chacun et de l’identité québécoise sont tout aussi d’actualité, surtout en pleine période de la Commission Charbonneau.  Rien n’a changé depuis, on se remet encore en question en 2013. Le choix de cette pièce a donc dû se faire tout naturellement pour Daniel Bélanger et René-Richard Cyr.

L’histoire débute par le retour au bercail de Carmen, une chanteuse western d’un club de la Main (nom commun de la rue St-Laurent) après un séjour de perfectionnement à Nashville. Elle décide de composer ses chansons en français pour parler de la vie de chacun de ses fans et de sa meilleure amie, Bec-de-lièvre.  Ça ne fera pas l’affaire de Maurice, le propriétaire du club, qui aimerait mieux qu’elle chante ses vieux hits pour ne pas trop déranger et faire le maximum d’argent.  À cette intrigue se mêlent Gloria, la vieille chanteuse déchue depuis la popularité de Carmen, et l’homme de main de Maurice, Tooth Pick, qui s’occupera de faire la sale besogne. Mais au coeur de l’histoire se trouvent les fans de Carmen, une faune hétéroclite à la recherche de son identité, qui a soif des paroles composées par Carmen.

Éveline Gélinas (Bec-de-lièvre) et Maude Guérin (Carmen)
Éveline Gélinas (Bec-de-lièvre) et Maude Guérin (Carmen)

Quand on arrive dans la salle, les personnages qui composent le choeur sont déjà en action sur scène. Ils l’occupent comme ils le feraient sur la Main. Puis le ton est donné dès la première chanson quand le soleil se lève après une dure nuit passée à errer. Le décor sobre mais efficace met l’emphase sur les personnages plutôt que son environnement.  Il est difficile de situer l’action dans le temps, puisque le décor zen semble contemporain et l’histoire se déroule il y a 40 ans.  Mais c’est une excellente idée puisqu’au bout du compte les sujets sont intemporels. De même pour les très beaux costumes du choeur qui semblent sortis des périodes de 1975 à 2000.

Le succès de cette production repose en grande partie sur la grande qualité de l’interprétation des personnages et du jeu des acteurs, du rôle principal jusqu’au plus petit rôle.  Les acteurs jouent tous tellement vrai qu’on est absorbé immédiatement par l’histoire.  À commencer par Maude Guérin qui interprète une sainte Carmen avec toute sa bonté et générosité, avec une belle voix juste et pleine d’émotions.  Éveline Gélinas est méconnaissable en Bec-de-lièvre, elle devient cette femme un peu timide et réservée, blessée par la vie. Sans qu’elle nous en fasse part, on comprend son personnage par sa démarche, sa voix et son comportement. En plus, Éveline Gélinas nous livre une performance vocale de première classe.  Puis arrive sur scène une vieille chanteuse, Gloria.  On met du temps à reconnaître France Castel. En fait c’est sa voix chantée un peu rauque mais chaude qui nous la révèle dans un numéro latin.  Normand D’Amour dans le rôle du méchant Maurice est tout aussi bon, égoïste juste à point; son amour pour Carmen est toujours éclipsé par son amour de l’argent et du pouvoir sur les autres.  Benoît McGinnis complète les rôles principaux en Tooth Pick, l’homme de main ignoble avec un superbe monologue à la fin pour conclure ce drame.

Le choeur de Sainte-Carmen de la Main
Le choeur de Sainte-Carmen de la Main

Mais le centre de cette oeuvre c’est le choeur.  Que ce soit pour accompagner les rôles principaux ou en solo, les interprètes du choeur nous envoûtent par leurs voix. On peut distinguer chacun, mais ils forment un tout en même temps. Leur diversité apporte une richesse et nous fait vibrer à chacune de leurs chansons. Dans la chanson « Carmen a parlé d’moé » qui est le moment tournant de l’intrigue, le choeur s’ouvre à la liberté et l’affirmation de soi. Cette chanson (ma préférée) nous donne des frissons par sa puissance et son énergie émotive.  Le seul regret c’est de ne pas avoir une chanson qui nous raconte la petite histoire de chacun des personnages du choeur, ce qui nous aurai permis de s’attacher à chacun d’eux. Un peu comme la chanson « Cell Block Tango » dans la comédie musicale Chicago.

La musique de Daniel Bélanger est tout aussi géniale que pour Belles-Soeurs, mais dans un style plus intense qui correspond bien à la profondeur de la pièce originale. Balayant plusieurs styles, il a su capturer l’essence des périodes tout en mettant en valeur les voix et le choeur. La mise en scène soignée de René-Richard Cyr unit tous les éléments qui font de cette production un petit bijou.  Il a développé une intimité avec les personnages et le choeur, au point où on peut les voir évoluer sur les bords de la coulisse, là où on a aussi placé un excellent orchestre de 4 musiciens.  Le spectacle s’adresse à toutes les générations puisque j’étais accompagné de ma mère et qu’elle a réagit aux mêmes moments. Ce sont des thèmes intemporels. C’est un drame sur la vie des gens ordinaires qui sont mal acceptés, avec quelques pointes d’humour pour le rendre plus digeste.

France Castel (Gloria) et Benoît McGinnis (Tooth Pick)
France Castel (Gloria) et Benoît McGinnis (Tooth Pick)

Les bons coups: jeu intense des acteurs; mise en scène soignée; belles mélodies; superbes voix; très bon choeur; orchestre

Les moins bons coups: dans les passages forts des chansons on perd quelques paroles; aurait aimé une chanson pour nous faire connaître les personnages du choeur

D’après une pièce de Michel Tremblay, la musique est de Daniel Bélanger et la mise en scène de René-Richard Cyr.

Avec Édith Arvisais, Frédérike Bédard, Philippe Brault, Normand Carrière, France Castel, Normand D’Amour, Eveline Gélinas, Renaud Gratton, Maude Guérin, Liu-Kong Ha, Josianne Hébert, Simon Labelle-Ouimet, Michelle Labonté, Benoit Landry, Ève Landry, Maude Laperrière, Christian Laporte, Milène Leclerc, Bruno Marcil, Benoît McGinnis, Frédérik Zacharek.

Présenté au TNM du 30 avril au 22 juin 2013, billets (34$ à 69$) sur http://www.tnm.qc.ca
En tournée à Québec (10-18 janvier 2014), et d’autres villes jusqu’en avril 2014.
90 minutes sans entracte

Photos: Yves Renaud