Un homme, deux patrons, mise en scène de Normand Chouinard : Maîtres et valets au coeur d’une vraie bonne comédie !

Marcel Leboeuf, Frédéric Blanchette, widemir Normil, Caroline Bouchard © photo: Richard Champagne
Marcel Leboeuf, Frédéric Blanchette, Widemir Normil, Caroline Bouchard © photo: Richard Champagne

Il est des thèmes éternels dans les comédies et le théâtre en général. Celui des rapports maîtres et valets est de ceux-ci. La pièce, Un homme, deux patrons, reprise dans le cadre de la programmation du 31ème Festival Juste pour rire, par Normand Chouinard d’une réadaptation par le Britannique Richard Bean de la célèbre pièce de du 18ème siècle de Goldoni Arlequin serviteur de deux maîtres nous le démontre pleinement. Une pièce qui met en valeur le double parcours du metteur en scène dans le monde des grands rôles du théâtre classique puisqu’il fut, entre autres, tout à la fois directeur du conservateur d’art dramatique de Montréal, copropriétaire du Théâtre des Grands Chênes à Kingsey Falls, interprète de plusieurs œuvres du grand répertoire (dont 3 pièces de Goldoni) et dans celui de l’humour  en tant qu’acteur dans les bye-bye ou les Samedi d’en rire d’Yvon Deschamps et dans des pièces de Feydeau.
Dans une synthèse jubilatoire, Un homme, deux patrons combine, comme le souligne l’acteur Marcel Leboeuf plus vrai que nature dans son rôle de Francis Frenette-arlequin – valet, la Commedia dell Arte, le vaudeville et l’humour anglais.
C’est ainsi que, dans le décor d’un Magog des années 60, Francis Frenette accepte de servir deux maîtres plus ou moins mafieux, aussi exigeants l’un que l’autre et dont les services sont aussi exclusifs qu’a priori incompatibles : l’un a tué le frère de l’autre dans un duel tout en étant, en plus, (mais bien sûr il l’ignore) l’amoureux transi de celui-ci (celle-ci en fait puisqu’il s’agit en réalité de la sœur du mort et non de son frère). À cette première intrigue s’en superpose une autre puisque le mort aurait du épouser une jeunes fille désormais amoureuse d’un autre, amour partagé, qu’elle doit et veut épouser. Une jeune fille évidement peu désireuse de voir ressusciter son fiancé. Au cœur de cet imbroglio, l’homme à tout faire tente de s’en sortir à son avantage voire même tout court. Mais, plus il tente de le faire, plus il risque de « s’enfoncer », entrainant dans son sillage quiproquo, malentendus, bourdes pour finalement triompher telle la revanche du dominé, du petit qui devient inventif et débrouillard par instinct de survie dans cette domination qu’il subit.
Pourquoi Magog? Parce que, dans les années 60 Magog était, comme Brighton dans laquelle Richard Bean a situé sa reprise, une ville en pleine heure de gloire, tout à la fois ville de villégiature et ville industrielle.

Caroline Bouchard et Marc-François Blondin © photo: Richard Champagne
Caroline Bouchard et Marc-François Blondin
© photo: Richard Champagne

Normand Chouinard, qui a par deux fois joué Arlequin serviteur de deux maîtres, souligne lui-même la symbiose qui s’opère entre comique de situation, comédie de dialogues, farce clownesque et de cirque dans cette réadaptation de Richard Bean, bien au-delà de querelles d’écoles ou de styles. Une symbiose servie par des acteurs qui s’impliquent dans des rôles pourtant très exigeants tant pour la performance physique compte tenu du rythme imposé à la pièce, Marcel Leboeuf qui reconnait d’ailleurs avoir du travailler fort son cardio pour tenir le choc y excelle, que pour le jeu d’acteur. Tous, dans leur jeu individuel, sont excellents : Soulignons bien sûr la performance de Marcel Leboeuf dans le rôle de Francis Frenette mais aussi, celle de Caroline Bouchard très convaincante dans son rôle de jolie gourde amoureuse, ou encore Anne-Élizabeth Bossé interprète de l’un des maîtres qui se fait passer pour un homme alors qu’il, ou elle, est une femme. Une interprétation toute en nuance loin des exagérations que ce type de rôle pourrait engendrer. Marc-François Blondin nous séduit en apprenti comédien de pacotille et imbu de son « art », en même temps qu’amoureux, et Sébastien Dodge le deuxième maître, incarne avec bonheur une petite frappe assassin mais soumis à l’amour. Michel Laperrière et Frédéric Blanchette restituent avec efficacité ces petits bourgeois affairistes ou avocat plus ou moins véreux des années soixante, dans la cinquantaine sur le retour et un peu beaucoup has been, tandis Dominique Pétin joue à la perfection la servante de comédie souvent impertinente mais en quête d’un amour simple et sincère qu’elle trouvera bien sûr, selon la tradition, avec Francis Frenette.
Mais la force de la pièce est aussi la cohérence du jeu de cette troupe. Une performance que l’on doit mettre bien sûr à l’actif de l’interprétation de chacun d’entre eux mais aussi à la maîtrise de Normand Chouinard qui a réussi à diriger avec autant de brio 17 acteurs et musiciens sur scène dans une distribution où les anciens côtoient la relève dans une totale harmonie mise au service du texte et de la mise en scène. Il est vrai que la distribution ne doit rien au hasard puisque Normand Chouinard a apporté particulièrement d’attention à son choix d’acteurs et d’actrices et que cela évidement se ressent. Chacun d’eux a été choisi spécifiquement pour le rôle qui leur a été attribué. Et que dire, de ces lazzi (ces jeux de scène sans texte) et pantomimes (particulièrement celles de Mathieu Handfield) venus de la pièce de Goldoni, et plus généralement de la comédie italienne, repris par Richard Bean, puis, pour notre plus grand bonheur, par Normand Chouinard, sinon qu’ils sont excellents et ajoutent au défi de la pièce et des acteurs. Il est rare, aujourd’hui, que des acteurs et un metteur en scène acceptent comme ici de se mettre en danger en intégrant autant de registres à leur jeu de scène sans compter l’interaction/improvisation avec la salle et la montée sur scène de spectateurs.

Toute la troupe de Un homme, deux patrons  © photo: Richard Champagne
Toute la troupe de Un homme, deux patrons
© photo: Richard Champagne

Autre réussite, l’intégration dans la pièce elle-même de musiciens sur scène tel un groupe de chanteurs musiciens des années 60. Ils assurent autant l’ambiance de l’époque que le délicat moment des changements de décor : Il arrive en effet parfois pour ne pas dire souvent que ceux-ci , cassent le rythme de la pièce, rendent le nécessaire changement de lieux, d’espaces du récit, artificiel et nous rappelle le côté : « hors du réel » du théâtre. Reprenant la démarche de Richard Bean, Normand Chouinard a su en faire l’une des dynamiques de la mise en scène et donc de l’histoire. Ce pari, ici gagné, est soutenu par le travail de la scénographe Geneviève Lizotte et par les créations musicales de Jean-Claude Marsan, (compositeur pour le théâtre et la télévision, arrangeur de Plume Latraverse), qui, à l’image du compositeur anglais Grant Olding qui avait créé pour la version anglaise des morceaux musicaux pastiches des chansons des Beatles, a imaginé cette musique des années 60 québécoises. Une musique originale superbement interprétée par les musiciens : Bernard Deslauriers, Mathieu Gagné et Alexandre Dumas.
Cette réadaptation de l’œuvre de Goldoni écrit une véritable nouvelle page de l’histoire de cette pièce, au delà du seul artifice de style de mise en scène d’un changement époque. Avec Un homme, deux patrons, Arlequin serviteur de deux maîtres a passé le relai comme il l’avait, lui, repris des improvisations du comédien italien Antonio Sacchi, héritier pour sa part des jeux de scène des carnavals du XVIème siècle.
À un homme, deux patrons le spectateur passe un vrai bon moment de détente en étant l’invité d’un bon très bon théâtre de comédie qui trouve pleinement sa place de volet théâtral  dans la programmation de l’excellence de l’humour, le  Festival Juste pour rire.
La pièce a remporté en 2011 le Critics’ Circle Theatre Awards à Londres.

Un homme, deux patrons
L’équipe de création :
Mise en scène : Normand Chouinard
Auteur et metteur en scène de la 1ère création : One man, two Guvnors: Richard Bean
Basé sur : Arlequin Serviteur de deux maîtres De Carlo Goldoni
Traduction et adaptation : Frédéric Blanchette en collaboration avec : Chris Campbell
Assistance à la mise en scène : Roxanne Henry
Scénographie : Geneviève Lizotte
Costumes : Marc Sénégal
Composition Musicale : Jean-Claude Marsan
Accessoires : Normand Blais
Éclairages : Claude Accolas
Maquillages : Jacques –Lee Pelletier
Perruques : Cybèle Perruques
Directeur technique : Alexandre Brunet
Coordination des cascades : Steve Bourassa

Distribution :
Francis Frenette : Marcel Leboeuf
Stanislas Chiasson: Sébastien Dodge
Rachel Brazeau : Anne-Elizabeth Bossé
Charlie Cliche : Michel Laperrière
Suzanne : Dominique Pétin
Pauline Cliche : Caroline Bouchard
Gustave : Widemir Normil
Alain Meloche ; Marc-François Blondin
Alphonse : Mathieu Handfield
Henri Méloche : Frédéric Blanchette
Gaston et ensemble : Julien Hurteau
L’ensemble : Rosine Chouinard-Chauveau, Louis Maltais et Marie Bernier
Musiciens choristes : Jean-Claude Marsan, Bernard Deslauriers, Mathieu Gagné et Alexandre Dumas.

Une production du 31ème Festival Juste pour rire
Directeur : Gilbert Rozon
Productrice déléguée : Constance Rozon
Directeur de production : Jean Payeur
Construction du Décor : Les productions Yves Nicol et PNH Entreprises.
Dessins et illustrations : Martin Gagné
Partenariat : Vidéotron et Loto Québec
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Le Monument National
Salle Ludger-Duvernay
Du 12 au 29 juin 2013; 20h
Tarifs individuels de 63$ à 48$
1182, Boulevard Saint-Laurent,
Montréal, Qc H2X 2S5
Tél. : 514.871.9883
Billetterie : 514.871.2224 ou 1-866-844-2172 (sans frais)
Ou sur place ou en ligne à http://www.admission.com
http://www.monumentnational.com

© photo: Richard Champagne