Le divan de Staline par Jean-Daniel Baltassat

Jean-Daniel Baltassat, Le divan de Staline
Jean-Daniel Baltassat, Le divan de Staline

1950. Il reste 30 mois à vivre à Iossif Vissarionovitch Djougachvili, Staline (nom issu du mot acier en Russe). Derrière le bon «Petit Père des Peuples» comme l’imagerie propagandiste stalinienne l’a popularisé pour répandre avec succès son idéologie à travers toute l’Europe, se cache le totalitarisme et son lot de privations des libertés sous la menace des déportations, de la torture et des disparitions dans une ambiance généralisée de peur permanente de tout et surtout des autres.
Dans son nouveau roman  Le divan de Staline Jean-Daniel Baltassat nous invite dans l’intimité du dictateur, le temps d’un bref séjour dans le palais en pleine décrépitude de l’ex grand-duc Mikhaïlovitch à Borjomi, une ville d’eau de sa Géorgie natale.
Staline est accompagné de deux personnages fictifs, sa maitresse Lidia Semionova dite la Vodieva, et d’un jeune peintre Danilov, recommandée par elle et étoile montante du réalisme socialiste officiel. Danilov est « invité » pour présenter son projet de fresque en l’honneur de l’immortalité de Staline. Une fresque  à ériger sur la Place rouge à Moscou, en face du mausolée de Lénine pour lui faire pendant. Deux personnes fictives que l’auteur introduit magistralement dans l’univers et l’entourage de Iossif Vissarionovitch. Un entourage pour qui être proche du pouvoir n’en vit pas moins au rythme de la terreur que Staline inspire mais un entourage qui, à son tour, jouit de la parcelle de pouvoir sur les autres que cette proximité lui procure. Un entourage aussi qui vit à l’image de Staline et comme la plupart des grands dictateurs au rythme de la paranoïa du complot, de la trahison: Peur de l’empoisonnement, peur de la rébellion interne (notamment par ceux du Politburo, Beria, Khrouchtchev) peur des écoutes…

Dans cette atmosphère tout sauf légère Staline règne en maître absolu se jouant des gens tel le chat et la souris mais aussi se concentrant sur lui-même, sa grande préoccupation en vrai tyran qu’il est qui plus est sur la fin de sa vie. Pour cet exercice narcissique Staline convoque ses souvenirs politiques comme amoureux et d’enfance, allongé sur un divan avec sa maîtresse en arrière qui lui lit le livre de Freud sur l’interprétation des rêves. Un divan, comme le souligne les psychothérapeutes, qui permet de se libérer en étant seul dans sa solitude dans une position allongée qui facilite le retour vers l’enfance. Un divan qui justement ressemble en tous points à celui de Freud à Londres (un fait réel qu’a découvert l’auteur lors d’une visite dans ce palais de Borjomi,). Une similitude qui permet à Staline d’aller plus avant encore dans son introspection et de passer sa vie mais surtout les autres au tribunal de sa mémoire et de ses règlements de compte. Freud, bien sûr, le « charlatan viennois», au « charabia » qui « professe des cochonneries juives » alors que lui, Staline, il saura mener seul ce travail d’interprétation de ses rêves et de retour sur lui-même. Trotski évidement tout autant parce qu’il s’intéressait aux travaux de Freud pour comprendre comment la bourgeoisie fonctionne (à moins que ce ne soit par solidarité entre juifs se demande Staline), que pour les raisons politiques et de jalousie par rapport à Lénine que l’Histoire a retenu. Lénine lui non plus n’échappe pas au reproche. Lénine  pour lequel le dictateur éprouve des sentiments ambivalents : le père de substitution, le héros de la révolution dont on effleure le soir le masque mortuaire avec vénération mais aussi celui qui l’a laissé être déporté en Arctique et qui a eu le tord suprême de durer longtemps alors que Staline piaffait d’être le premier, le chef. Sans oublier tous ceux que Staline a fait convoquer aux tribunaux bien réels des grands procès staliniens et ceux, individus ou masses anonymes, qu’il a envoyés en déportation au Goulag et devenus pour Staline faire-valoir de lui-même car contrairement à eux il sut, lui, triompher de cette épreuve de la déportation pour  se régénérer en devenant un homme fort et neuf. En fait ne trouvent vraiment grâce à ses yeux à part lui-même, que Nadia son amour, sa seconde femme mais qui elle aussi l’a abandonné en s’ôtant la vie… et ces fleurs, les arums,  objets transitionnels pour revivre les bonheurs, les douceurs de la vie et des amours.

Pendant que Staline se souvient, Staline, le tyran continue de régenter son univers proche ou lointain. Iossif Vissarionovitch ne cesse jamais d’être Staline et son entourage dans un huit-clos pesant vit à ce rythme. Un palais qui incarne, le temps du séjour du « Petit Père des Peuples », dans son microcosme la tragédie qui se joue à l’échelle de l’Empire soviétique tout entier : Peur de la colère de Staline sur le moindre détail et qui inévitablement finit par arriver, servilité et onctuosité des serviteurs grands et petits en même temps que rivalité des soumis au «divisé pour mieux régner», omniprésence du mensonge, de la peur ; de la lutte pour les petits privilèges,  les miettes du gâteau (voir un film de l’Ouest, un western, avec Staline), des interdictions de circuler librement.

Et la tragédie bien sûr arrive. Rien n’est du au hasard. Les protagonistes Davnilov et Lidia Semionova l’apprendront à leurs dépends. Car même si l’on croit avoir passé toutes les épreuves de l’enquête, de la suspicion et même de la relation amoureuse, aucune situation n’est jamais acquise dans ce jeu de massacre perpétuel et pervers dont seul Staline sort toujours gagnant. On ne côtoie pas le diable sans s’y bruler, sans en être la victime, sans être détruit. La seule question est l’intensité de la destruction.

Introduire le romanesque, la fiction, dans le monde historique d’un dictateur est toujours périlleux. Pas seulement à cause de l’erreur historique toujours possible mais bien surtout par le risque de rendre humain l’inhumain. Jean-Daniel Baltassat dans Le divan de Staline qui est son neuvième roman évite avec brio cet écueil. L’univers stalinien est criant de vérité et pas seulement le décor matériel. La phraséologie et la rhétorique staliniennes du communisme soviétique qui ont asservi et manipulé des millions d’hommes et de femmes et pas seulement sous la menace des armes et de la terreur sont parfaitement restituées. Si les personnages sont rendus dans leur complexité ils n’en restent pas moins les rouages pour les uns et le chef d’orchestre pour Staline lui-même, implacables d’un système concentrationnaire. L’humain nostalgique de sa vie, de ses rêves de ses amours, amer vis-à-vis de ceux qui l’ont trahi, fasciné par le savoir d’un Freud qui pointe au travers de Iossif Vissarionovitch n’excuse ni ne masque jamais un Staline monstrueux toujours présent jusqu’à la perversité finale au dépend du jeune idéaliste Danilov victime bien malgré lui et au plus profond de sa vie de la folie stalinienne de l’homme comme de l’État.

Avec Le divan de Staline Jean-Daniel Baltassat est parmi les premiers à oser aborder Staline par le romanesque. À faire sortir du discours des historiens et donc diffuser auprès du grand public la véritable réalité d’un dictateur longtemps protégé par le bluff orchestré et réussi auprès d’une grande partie des militants véritablement emprunts de volonté de justice sociale de l’Europe de l’Ouest, et parmi eux de nombreux intellectuels. Des militants qui, pour beaucoup, ont voulu croire jusqu’au bout au mythe du « Petit Père des Peuples » en ces lendemains de la résistance héroïque du peuple soviétique contre le nazisme et de l’aura de la Révolution d’octobre. Un dictateur qui à ce titre a beaucoup bénéficié de leur indulgence qui dénonçait longtemps encore après la mort de Staline devant les révélations qui traversaient le Rideau de fer, l’anti soviétisme et l’anticommunisme primaires d’un Occident dégénéré et capitaliste (sic). Ce livre est implacable. Une œuvre indispensable pour nous emmener au cœur de cette gigantesque dictature et imposture du 20ème siècle et en finir avec le mythe, s’en libérer.

 Le divan de Staline
Auteur : Jean-Daniel Baltassat
Roman, littérature française
Collection cadre rouge
Éditions  du Seuil : www.seuil.com
Parution août 2013
Le livre est actuellement en lice pour le Prix Goncourt et le Prix Goncourt des Lycéens.
310 pages ; Format broché 14 x 21.6 cm.

ISBN : 9782021116700 (Papier)
Prix suggéré : 25,95 $ avant taxes.
ISBN : 9782021116717 (Pdf)
Prix suggéré : 35,95 $ avant taxes.
ISBN : 9782021116724 (Epub)
Prix suggéré : 25,95 $ avant taxes.
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© photo: courtoisie