Rencontre avec Jean Désy – auteur du livre Isuma

Jean Désy
Jean Désy

J’ai eu l’opportunité de rencontrer l’auteur-médecin-amoureux du nord Jean Désy pour discuter de son nouveau livre, Isuma, en plus de plusieurs autres sujets. Voici des bribes d’une entrevue riche en réflexions sur le monde et la poésie, en compagnie d’un philanthrope engagé à nous faire découvrir le Nord du Québec dans toute sa splendeur, sa nature et son humanité.

Sur le monde de l’édition et de la diffusion de la poésie

« Le monde du livre tel qu’on le connaît actuellement est en crise. Mis à part les best-sellers, les ventes diminuent. Les éditeurs doivent être prudents dans leurs choix de manuscrits, et s’engager en publiant un auteur de poésie est particulier, comme un acte de foi. Les éditeurs sont à l’affût des tendances et doivent souvent se coller à une politique éditoriale. La majorité des manuscrits sont probablement refusés momentanément pour des raisons au-delà de la qualité des textes. Certains auteurs plus chanceux arriveront à trouver un éditeur alors que d’autres, dont la parole mériterait pourtant d’être entendue, resteront inconnus aux lecteurs.

Ceci étant dit, malgré les difficultés rencontrées par les auteurs pour éditer leur recueil, les milieux de diffusion foisonnent. La poésie est en vie, et la prise de parole est bien réelle. On n’a qu’à penser aux soirées organisées au TamTam café ou à l’Agitée, et à tous les autres événements marginaux qui ont lieu ici. Il y a des poètes, et il y a des gens pour les écouter, pour s’inspirer. Ce ne sont pas seulement des vieux de 84 ans qui sont là, ce sont aussi les jeunes de 24 ans. Et tout le monde participe, en toute sincérité un peu comme si on était en communion. Ce n’est pas seulement de l’écoute en silence, c’est de l’écoute active. »

Sur son dernier livre, Isuma, et la parole poétique du Nord

« Isuma, c’est l’esprit de la taïga et de la toundra. Dans Isuma, je revisite quatre recueils de poésie que j’ai écrits par le passé dont le sujet était le Grand Nord québécois. J’ai choisi les poèmes et je les ai retravaillés en prose, pour coller un peu plus à la manière dont j’avais écrit Ô Nord, mon Amour. C’est un hommage à la nordicité, et j’ai envie de partager cette découverte, cette richesse territoriale, la richesse des peuples qui l’habitent. Quand on s’y arrête, c’est fascinant de voir que ces 100 000 personnes occupent la moitié du territoire québécois!

Je ne prétends pas tout connaitre du Grand Nord, pourtant j’y ai travaillé et j’y ai rencontré des peuples extraordinaires, qui vivent en communion avec la nature. C’est un monde inspirant rempli de paradoxes, un monde qui se relève du choc historique de la rencontre des Européens, et qui prend maintenant parole. Ces peuples sont des poètes dans leur perception du monde, et leur présence à nos côtés peut enrichir notre identité occidentale. Je ne veux pas dire que nos pensées scientifiques ne sont pas bénéfiques, mais leur pratique est trop éloignée de l’âme, de l’esprit. La nature et l’homme ne sont pas uniquement de la mécanique. Certains maux et certaines douleurs peuvent être traitées efficacement, alors que d’autres nous échappent par leur dimension psychologique. Le mal à l’âme ne se traite pas de la même façon. C’est là que la poésie devient riche et donne un sens à nos vies. Lorsque je traite un patient, nous communiquons d’âme à âme.

J’aime le Nord, sa richesse. J’ai obtenu une visibilité appréciable avec mes participations à différents projets télévisés ou d’édition. Je suis parmi les rares personnes qui aiment le Nord et qui en parlent. Il s’agit toutefois d’une vue personnelle, qui peut malgré tout rejoindre plusieurs personnes. Je ne parle pas au nom des Innus ou des Inuits. Ces peuples nordiques ont leurs propres symboles et leurs propres systèmes de pensée. Par exemple, notre pensée cartésienne est remplacée chez eux par une vision circulaire de la vie. Pas étonnant qu’il soit difficile, de prime abord, de bien saisir les subtilités de leur mode de vie. En même temps, il y a des images fortes de notre imaginaire qui sont inspirés de nos ancêtres qui ont eu à vivre avec les autochtones, avant qu’ils ne soient confinés dans des réserves. Certains d’entre eux prennent la parole, et nous pouvons entendre le nouveau souffle de leur peuple après les années difficiles issues du contact avec nous. On n’a qu’à penser à Josephine Bacon qui écrit des textes sublimes.

Mes textes sont une réappropriation des espaces nordiques, pas dans le sens de les posséder, mais plutôt dans le sens d’une prise de conscience de leur immensité, et par la dimension spirituelle de ce qui nous entoure. On n’a pas besoin bien loin pour se dépayser, d’autant plus que ce territoire et ces gens partagent les mêmes espaces avec nous. »

C’est avec passion que cette rencontre s’est déroulée, et il me tarde maintenant de savourer les pages d’Isuma, afin de vivre un peu plus cet amour d’un homme pour la nordicité.

crédit photo: Yannick Lepage