Sunderland, au Théâtre Jean-Duceppe ou la force de l’humanité quand tout paraît perdu

Sunderland
Sunderland

Dans une petite ville du Nord de l’Angleterre en pleine crise, Sunderland, au tissu industriel comme à la société totalement déstructurés et délabrés où bière et soccer sont devenus les seuls loisirs et sociabilité pour ne pas dire horizons, la dernière usine, une usine d’abattage de poulets, a fermé. Cette fermeture précipite la jeune Sally, ancienne Miss de beauté, dans le chômage et dans encore un peu plus dans la précarité.

Comble de tout, cette précarité risque de priver Sally du droit et de la possibilité de continuer de s’occuper de sa jeune sœur autiste, Jill. C’est du moins ce qu’estime l’assistance sociale, Miss Gallagher, drapée dans l’assurance et la toute puissance que lui donne sa fonction et le zèle des néophytes pas même matinées du recul que l’expérience aurait pu donner à de plus anciennes qui ont parfois su ou osé faire le tri entre la théorie ou la pratique ou tout simplement donner le petit coup de pouce à l’humanité et à l’énergie de survivre qu’elle ont appris à déceler derrière les faits obtus de la situation socio-économique des personnes.

C’est qu’en effet, de l’humanité Sally, sa copine et « pensionnaire » Ruby comme son amoureux aussi transi qu’éternel éconduit, Gaven Matthews, en ont à revendre. Une humanité qui se décline en sens de la communauté, de la solidarité, et du pouvoir du don de soi. Et ce, même si, alors que sous les coups du sort tout espoir semble les avoir déserté la solution retenue, devenir mère porteuse contre large rétribution, semble bien loin, au premier abord, de ce qu’on appelle communément la générosité et encore plus du socialement correct de nature à satisfaire les exigences de moralité d’une assistance sociale. C’est ainsi que Sunderland nous donne une formidable leçon de vie, d’humanité, de foi dans la force et le soutien du groupe comme dans le don de soi.

Les comédiens de la pièce Sunderland
Les comédiens de la pièce Sunderland

Pour sa première mise en scène pour le Théâtre Jean-Duceppe, Serge Postigo a choisi, un texte du jeune dramaturge, par ailleurs comédien des grands textes classiques, Clément Kock, joué ainsi pour la première fois au Québec. Une œuvre qu’il avait expressément envie de monter souligne-t-il. Un petit bijou de pièce, aux textes percutants et qui rend parfaitement, bien que l’auteur soit français, l’atmosphère de la société populaire anglaise dans ses moindres caractéristiques. Le rendu d’une société qui n’est pas pour lui une pure œuvre de fiction puisqu’il a fait une partie de ses études en Angleterre et qu’il a même partagé dans les usines automobiles de Newcastle le quotidien de ses ouvriers. L’hyperréalisme de la pièce, souligné par les décors de Jonas Veroff Bouchard et les costumes de Daniel Fortin dans lesquels évoluent avec parfaite aisance les acteurs, prend ainsi tout son sens.

Mais l’une des forces de ce texte, à l’image d’ailleurs bien souvent de la société anglaise elle-même, c’est que, là où l’on n’aurait pu trouver que le sombre, le misérabilisme comme trop souvent des films récents notamment français ont pu le faire pour dépendre nos sociétés en temps de crise, l’auteur a, lui, choisi le registre de la comédie sociale. C’est ainsi que pour soutenir cette énergie dont ils vont avoir besoin pour faire face et se battre, les personnages vont savoir aller chercher l’humour. Un humour tout british s’entend. Car si, comme le dit Boris Vian l’humour est la politesse du désespoir il est aussi souvent le premier pas vers la volonté de tenir.

Une puissance de l’humour, comme plus généralement une société anglaise, que le metteur en scène et les acteurs nous restituent avec brio. Tous sont excellents et donnent à la perfection corps à leurs personnages à leur humanité en même temps qu’à leur réalité sociale sans jamais tomber dans la facilité ou la caricature ce qui est le piège de tels rôles.

sunderland 3Il est évident que le texte de Sunderland fait à plusieurs niveaux écho pour Serge Postigo comme il le reconnaît lui-même : ce que j’aime dans cette pièce c’est qu’elle représente quelque chose que je me suis toujours dit dans la vie : Ce que te lèguent tes parents, le milieu dans lequel tu es né, tout cela explique d’où tu parti, mais ça n’explique pas où tu es aujourd’hui… On ne peut pas uniquement s’appuyer sur la passé pour se définir.  Mais aussi parce « l’arrimage des univers de Kock et de Postigo se fait aussi par une appréciation commune de cette écriture quelque peu cinématographique que la pièce met de l’avant. » nous précise le texte d’introduction du livret.

Le parcours aux multiples et riches facettes de Serge Postigo, comédien, animateur et metteur en scène tant dans le monde du théâtre, du cinéma que dans celui de l’humour (il est aujourd’hui vice-président du Festival juste pour rire après avoir mis en scène plusieurs galas de ce même festival), ou des séries et émissions télé de société (Penthouse 5-0, 30 vies, Scoop, Urgence 4 et demi…) n’y est probablement pas pour rien. Il est allé chercher dans le meilleur de tous ces univers et à su en faire la synthèse au service de ce texte et de sa portée.

À son image, ce qui donne de la consistance à la ligne directrice de sa mise en scène, les comédiens qu’il a retenu pour cette pièce ont un parcours multiple marqué par les fictions ou films à dimension sociale, l’humour, ou la musique.

En montant cette pièce Serge Postigo nous dit vouloir montrer en Sunderland, le courage de rester et d’aimer. Le courage de ne pas faire ce que l’on nous a fait. La volonté de grimper sur nos épreuves afin de voir plus loin et de retrouver l’horizon. Voilà la quête de Sally, l’amour de Gaven, l’amitié de Ruby et le naufrage de Jill. Sunderland, c’est l’héroïsme d’aimer. Le pari est gagné et nous devons le remercier de nous rendre à travers sa création théâtrale l’envie, la volonté, et le courage de faire face.

Serge Postigo dit « Sunderland n’est pas qu’un bon texte, c’est aussi et surtout du très bon théâtre. » Lui et tous ses comédiens ont su nous le démontrer et nous le faire partager.

Sunderland
Pièce de Clément Kock lauréat de la Bourse Beaumarchais
Mise en scène et adaptation de Serge Postigo

Distribution :
Eloi ArchamBaudoin : Paul
Karine Belly : Ruby Lambert
Frédéric Blanchette : Gaven Matthews
Debbie Lynch-White : Miss Gallagher
Marie-Claude Michaud : Mary Mawln
Marie-Ève Milot :  Jill Mawln
Henri Pardo : Gordon
Catherine-Anne Toupin : Sally Mawln

 L’équipe de création :
Décor : Jonas Veroff Bouchard
Costumes : Daniel Fortin
Éclairages : Matthieu Larivée
Musique : Christian Thomas
Accessoires : Normand Blais
Assistance à la mise en scène : Marie-Hélène Dufort

Une production du Théâtre Jean-Duceppe
Directeur Michel Dumont,
Partenaires de production : La Presse, Télé Québec; Cogéco; Montréal en Lumière; 98.5 FM

Théâtre Jean Duceppe :
http://www.duceppe.com
Place des Arts : https://laplacedesarts.com
Du 19 février  au 29 mars 2014
Du mardi au vendredi à 20 h / samedi à 16h et 20h30 / dimanche à 14h30
Durée 1h35 sans entracte
Tarifs individuels de 50.29$ à 38.99$

175, rue Sainte-Catherine Ouest
Montréal (Québec)
H2X 1Z8
Tél. : 514 842-2112 Sans frais : 1 866 842-2112

En complément à la pièce deux rencontres-discussions conférences et ouvertes à tous à l’Espace culturel Georges-Émile-Lapalme (devant l’entrée du théâtre Jean-Duceppe) :

Les Causeries réconfortantes Le Lait : Pour s’immiscer dans l’univers de Sunderland avec Michel Dumont, Serge Postigo et Catherine-Anne Toupin, le 26 février de 17h à 17h45 en collaboration avec la Fédération des producteurs de Lait du Québec
Et
Les Midis Duceppe 101; Le casting et les auditions : l’art de créer une belle distribution avec Michel Dumond, Debbie Lynch-White, Frédéric Blanchette et Catherine Didelot le 5 mars de 12h15 à 13h, en collaboration avec la Société de la Place des Arts.

Les citations de Serge Postigo sont issues du livret de la pièce et du site internet du Théâtre Jean-Duceppe.

© photo: François Brunelle