Garçon manqué de Samuel Champagne. Un sujet tabou et une réalité insoupçonnée!

Garçon manqué de Samuel Champagne
Garçon manqué de Samuel Champagne

La transsexualité, voilà un sujet dont on parle peu, et encore moins dans la littérature jeunesse. Alors bravo à la collection Tabou d’offrir des romans qui abordent des sujets peu faciles et pour un lectorat adolescent en plus. Garçon manqué est le deuxième roman de Samuel Champagne et à nouveau, il sait me captiver, m’émouvoir et surtout, me renseigner sur une réalité présente autour de nous, mais que nous connaissons peu.

« Oh, la jolie petite fille ! » Je suis pas mal sûr que c’est ce qu’on a dit quand je suis né. On a regardé entre mes jambes et le sort en était jeté. Après, ça n’a plus arrêté. « Regarde ses beaux cheveux longs, comme ceux d’une poupée », disait toujours mon grand-père. Et mon frère refusait que je reste dans sa chambre quand il était avec ses amis : « Tu ne peux pas jouer avec nous, je ne veux pas d’une petite soeur dans les pattes. » Puis j’entendais ma mère me complimenter : « Éloïse, regarde-toi, ma belle, tu as l’air d’une princesse dans cette robe. »
Éloïse. Je savais que c’était mon nom. Mais qui étaient la soeur, la belle, la poupée dont ils parlaient? Je ne me reconnaissais pas dans ces mots, je me sentais différent et je ne comprenais pas pourquoi. Quelque chose en moi avait mal. Les miroirs et le temps ont répondu à mes questions. J’ai vu un corps de fille. Et pourtant. Malgré mon corps féminin, je sais que ce n’est pas moi. Moi, je suis un garçon. Un gars, un homme, un ti-cul, un dude…
Ou vous pouvez tout simplement m’appeler Éloi.
Parfois, la nature fait une erreur, et un enfant naît dans le mauvais corps. Il se livre alors à un horrible combat intérieur, acceptant difficilement son physique comme étant le sien. Lorsque cette personne prend conscience de sa différence, lorsqu’elle décide que le changement de sexe est sa seule option, un immense processus s’enclenche. L’auteur, lui-même en transition, utilise son expérience pour raconter tous les obstacles inhérents à la transsexualité.

Ayant déjà lu le premier roman de Samuel, qui traitait du sujet délicat de l’homosexualité au masculin, j’anticipais avec beaucoup de plaisir la lecture de ce deuxième roman, sur la transsexualité. Tout d’abord, les transgenres sont des personnes qui font peu souvent parler d’elles. Elles demeurent «low profile», et bien souvent, on peut très bien avoir déjà rencontré une personne transgenre, sans jamais le savoir. Ce sujet m’attirait beaucoup, car à part au CEGEP (où un gars dans un corps de fille, était venu faire une conférence à mon école), il y a presque 30 ans, je n’avais pas vraiment lu sur ce sujet, ni connu de personne vivant cette souffrance d’avoir l’impression d’être né dans le mauvais corps. Et j’ai voulu comprendre, mieux me renseigner sur ce qu’ils vivent. Or, ce livre est exactement l’outil idéal pour s’ouvrir l’esprit et découvrir le mal intérieur de ces gens pour qui la nature leur a joué un vilain tour.

À mon avis, bien que ce soit un roman jeunesse, il est pertinent et intéressant pour tout public.  Rien de tel que l’ouverture d’esprit pour laisser tomber tous préjugés. Alors, ce livre fait exactement cela. Il met en lumière la vie d’une personne mal dans sa peau, qui tente de trouver sa place dans une société qui définit les gens par leur genre.

Cette histoire est racontée avec simplicité, des mots faciles à comprendre par tous et qui s’adressent assurément à des lecteurs adolescents, mais aussi aux parents. Avec beaucoup de tact et un talent d’écriture indéniable, Samuel apporte des pistes de solutions autant pour ce jeune mal dans ce mauvais corps, que des façons d’être pour les gens autour de lui.

Voici un extrait du livre où Éloi parle à son ami Pascal «C’est tellement compliqué… Pour ceux qui réfléchissent trop, c’est compliqué. Pas pour ceux qui savent qu’on ne peut pas tout comprendre »

Aussi « Les gens veulent toujours tout savoir sur l’identité d’une personne; ça ne devrait pas être comme ça… Qui tu aimes, ce que tu as dans tes pantalons, c’est personnel »

 Ce roman m’a profondément émue. Le personnage d’Éloi m’a touché droit au cœur avec ses réflexions, ses peurs, son acharnement, sa détermination et surtout, il m’a fait comprendre que justement, on ne peut pas tout comprendre, mais seulement accepter que l’être humain est complexe et qu’on peut être tous différents, tout en ayant les mêmes sentiments, les mêmes peurs, les mêmes aspirations dans la vie.

 Bien que je me qualifie comme une personne très ouverte dans la vie, je pense que cette histoire m’a ouvert les yeux à une réalité que je ne soupçonnais pas. J’aime le fait que Samuel a dépeint la société telle qu’elle l’est vraiment, c’est-à-dire avec des gens fermés, qui ne veulent pas voir la différence, mais aussi il a montré des gens qui voudraient bien s’ouvrir à la différence, mais ont tout simplement peur, ou ne comprennent pas et donc, refusent de se laisser aller. Et finalement, il a mis sur la route d’Éloi quelques alliés, ses amis Pascal et Dominique, ainsi que son frère Joël, qui doit faire le deuil de sa petite sœur, au profit d’un frérot. Et c’est là que je trouve formidable ce qu’a fait Samuel. Il ne condamne pas les gens qui ont peur ou qui ne comprennent pas. Il les montre tels qu’ils sont. Par exemple, on voit comment il est difficile pour les parents d’Éloi de voir leur fille devenir peu à peu un garçon et la scène qui m’a le plus ému (tellement que j’en avais une boule dans la gorge et les larmes aux yeux) dans ce livre, est la discussion entre le père et le fils.

Le père «Tu me fais peur. Réellement peur. Je ne sais pas ce que tu vis, ce que tu va vivre. Je fais quoi, moi, face à toi? Je devrais être plus fort que toi, mais c’est pas le cas. Je ne peux pas te guider, je ne te connais pas… C’est comme si, quand t’es passé qu’une fille à un… à un gars, je t’avais perdu et, depuis des années, je te cherche.»

Le fils : « Éloïse, je l’ai pas enterrée, c’est toujours moi, avec un dehors différent… J’ai pas besoin que tu comprennes tout, que tu saches tout… J’ai pas besoin que tu te trompes jamais de nom, de pronom, j’ai pas besoin que t’aies pas de regrets… J’ai juste besoin de savoir que tu es là.»

 Donc, en résumé, ce livre est remarquable et pertinent et bien qu’on y a apposé une étiquette « 14 ans et + », je pense que tout adolescent peut importe l’âge, devrait lire, peut importe son orientation sexuelle, ne serait-ce que pour s’ouvrir sur la différence des autres et en connaître un peu plus sur ce sujet fascinant.

À la fin du livre, on retrouve une liste de ressources en France et au Québec pour venir en aide, avec sites internet et no de téléphones, que ce soit la prévention du suicide, Gai écoute, association de parents, SOS homophobie… Et on retrouve une liste des livres disponibles dans la même collection Tabou. À découvrir! 

Samuel Champagne
Samuel Champagne

Samuel Champagne, est un transsexuel dans la fin de sa vingtaine, passionné de danse, musique, de soccer et de l’Angleterre. Recrue, son premier roman, fut le mémoire qu’il a écrit dans le cadre de sa maîtrise à l’université, où il a étudié le thème de l’homosexualité dans la littérature jeunesse au Québec. Son deuxième roman, garçon manqué dans la même collection Tabou, traite du sujet de la transsexualité…

Samuel sera  au salon international du livre de Québec, les 11, 12 et 13 avril 2014, avec ce tout nouveau livre qui vient de sortir en magasin.  Voici son horaire au salon, au kiosque 159. Personnellement, je compte bien aller lui parler un peu.

Vendredi : 13h à 15h et 18h à 21h

Samedi : 12h à 14h et 17h à 19h

Dimanche : 9h à 12h et 13h à 15h

336 pages

Prix 16.95$

Édition de Mortagne

Collection :   Tabou (Littérature Jeunesse)

La collection Tabou des Éditions de Mortagne s’adresse, comme toutes les autres publications de cette collection, aux adolescents. La collection Tabou aborde des sujets sensibles auxquels sont confrontés très tôt les jeunes, comme le viol, le taxage, l’avortement, la drogue, et bien entendu les relations homosexuelles.

https://editionsdemortagne.com