Six minutes, le nouveau policier de Chrystine Brouillet : l’implacable enquête de Maud Graham dans l’enfer des femmes battues.

Six minutes © courtoisie
Six minutes © courtoisie

La vie sourit à Nadia. Jeune, remarquablement belle, aimée de ses amis et de sa famille, elle peut vivre de sa passion : La danse. Elle peut regarder l’avenir avec sérénité confiance et espoir. D’ailleurs son mariage avec le séduisant et richissime homme d’affaires torontois Ken Formann ne vient-il pas confirmer cette légitime foi dans la vie et confiance en elle? Pourtant, ce qui aurait du être le comble de son bonheur va rapidement devenir son enfer. Car Ken, sous ses dehors charmeurs et séducteurs, est un homme violent et aussi un escroc qui sait s’entourer et payer les bonnes personnes pour que les autorités le laissent tranquille quelles que soient ses déviances. Une première blessure la prive de sa passion, la danse. Puis, rapidement, le seul salut de Nadia, sa seule issue pour ne pas être trucidée, ne tiendra plus que dans réussir sa fuite, son évasion et refaire sa vie, loin, aux États-Unis en abandonnant tout ce qui faisait son univers, sa vie et son bonheur : Son métier, sa famille, ses amis…Couper tout ce qui pourrait permettre à son bourreau de la retracer. Car elle sait, au plus profond d’elle-même, qu’il n’aura de cesse de la retrouver et de lui faire payer cher au prix de sa vie ce qu’il considère comme l’affront qu’elle lui a fait de fuir. Cet exil se fait dans la peur, le traumatisme jamais surmonté. Ce n’est que plusieurs années après que Nadia, devenue Diana pour brouiller les pistes, s’installe à Québec. Toujours en fuite, toujours la peur au ventre, elle se cloître dans une solitude volontaire. Ses seuls contacts sont ceux liés à son travail comme assistante vétérinaire dans une clinique. Une nouvelle profession qu’elle a recherchée dans sa passion et son amour des animaux. Un trait de sa personnalité qu’elle avait su, heureusement, garder pour elle et qui lui a permis de survivre. Mais la vie est la plus forte et c’est dans cette clinique que Diana rencontre Dominique un ostéopathe. Et si un possible existait encore? Mais la vie à nouveau s’acharne et la violence rattrape Diana. La jeune assistante de Dominique, Rachel, connaît elle aussi l’enfer et la menace qui plane sur la vie des femmes battues. Une violence qui ne connaît aucune limite, aucune capacité de se raisonner ou d’être raisonnée, d’autant que les victimes se taisent et nient l’évidence. Dominique l’apprendra au prix de sa vie. Et pendant que Maud Graham l’enquêtrice de la police tente avec son équipe de comprendre, le cycle de la violence continue inexorablement pour Rachel tandis que l’enquête elle-même, en mettant Diana en pleine lumière, menace sa vie. Il faudra toute la perspicacité de Maud mais aussi sa profonde écoute de cette violence faite aux femmes pour qu’intuitivement d’abord puis rationnellement ensuite, la solution s’impose à elle. Mais, se reproche-t-elle, n’a-t-elle pas elle-même contribué à mettre les victimes en danger ? Parce qu’elle n’a pas su ou pu les convaincre de lui faire confiance. Parce qu’elle n’a pas mesuré, anticipé, l’ampleur de la froide détermination des bourreaux à éliminer leurs victimes par tous les moyens, violence physique, mentale avec la complicité de la société qui se voile la face quand ce ne sont pas ses représentants qui se vendent aux bourreaux et à leur argent.

Six minutes est à l’image de l’œuvre de son auteure, Christyne Brouillet, un excellent livre, un excellent roman policier. Pour ceux qui ne la connaissent pas encore on découvre et pour ceux qui sont des fidèles lecteurs de ses enquêtes on retrouve avec délice Maud Graham, enquêtrice dans le service de crimes contre la personne. Maud est une enquêtrice qui ne perd jamais de vue que son métier se doit de favoriser une société qu’elle voudrait plus juste, plus emphatique pour les victimes. Elle puise les moyens et l’art de faire son métier, dans sa puissance humaine et son écoute plus que dans des technicalités policières même si elle sait les mettre en œuvre avec dextérité quand cela s’avère nécessaire. L’intrique s’appuie non pas sur le suspense (le lecteur connaît très vite tous les protagonistes et le rôle qu’ils vont tenir) mais sur le déroulement de l’enquête et la psychologie des personnages, policiers comme agresseurs et agressés. Elle est captivante, bien menée, particulièrement vraisemblable. Pas de ces coups de baguette magique ou force du hasard au service d’une intrique qui peine à se construire.

Mais Six minutes est bien plus qu’un polar bien mené. Il est surtout un cri d’alarme sur ce que subissent ces femmes victimes de violence conjugale. Un témoignage sur ce qu’elles vivent, sur ce que leur font vivre leurs agresseurs mais aussi la société qui leur fait si peu de place, les écoute et les protège si peu. « …Chaque fois Graham éprouvait le même découragement face à une société qui continuait d’engendrer des êtres violents et une colère froide envers les institutions qui ne protégeaient pas assez les victimes. On leur conseillait de porter plainte contre leur conjoint, mais entre le moment où une femme racontait que son mari menaçait de la tuer et celui où elle était entendue par un juge, six mois pouvaient s’écouler. Alors que six minutes suffisaient amplement pour qu’un homme étrangle son épouse… ».

Six minutes
raconte avec un réalisme saisissant leur calvaire au quotidien dans lequel le moindre geste de la banalité de tous les jours peut devenir pour elle une mise en danger. « …Moi aussi! s’exclama Rachel. S’il fallait que ça m’arrive…Elle ne termina pas sa phrase fouilla dans son sac pour vérifier si le portable était toujours là. L’idée subite de le perdre, que Christian ne puisse la joindre au moment où il le souhaitait l’avait fait paniquer. Elle appuya sur le bouton pour être certaine de ne pas avoir manqué d’appel… ». Ces femmes vivent entre culpabilité, honte et peur au ventre qui peu à peu devient terreur sans qu’elles puissent sortir de cet abîme. Un abîme dans lequel leur bourreau les a enfermées en les isolant peu à peu, en les intimidant, en rejetant la responsabilité de leurs actes sur elles, mais aussi en leur faisant croire à chaque fois qu’il n’y aura plus de nouvelle fois, qu’il est amoureux joignant le geste à la parole avec quelques cadeaux. Et si elles parviennent à en sortir, la peur demeure qu’il les retrouve, ou qu’une nouvelle relation leur fasse revivre un tel cauchemar comme si l’histoire, toujours devait se répéter. Une angoisse et une terreur mais aussi une extrême solitude que Chrystine Brouillet, toujours très bien documentée, nous restitue impeccablement, implacablement. « …Elle n’aurait pas dû l’interroger sur son travail. Mais elle l’avait fait naturellement, en épluchant les carottes, comme devaient le faire des tas de femmes quand leurs maris rentraient à la maison. …Question banale, anodine, lui semblait-il. Elle aurait dû deviner au nombre de secondes que Christian mettait à répondre, qu’elle devait changer de sujet ou se taire… Qu’avait-elle dit pour lui déplaire? Elle avait beau se remémorer le court échange, elle ne voyait pas se qui avait déclenché sa colère. …. Rachel se mit à pleurer, se demandant se qu’elle devait faire, incapable de réfléchir, tremblant encore d’avoir eu peur qu’il la frappe. Et tremblant à l’idée qu’il la batte dans quelques heures… »

Six minutes est aussi un hommage à tous ceux et surtout celles qui luttent pour aider ces femmes en détresse : infirmières qui les reçoivent dans les services hospitaliers et policiers appelés par ces même personnels soignants ou par les voisins, premiers répondants et qui, trop souvent, assistent impuissants à une répétition d’évènements dont ils ne connaissent que trop bien l’issue. Mais aussi bénévoles et personnels des maisons d’accueil et des centres d’écoute. Des personnes qui bien souvent sont, elles aussi, des survivantes.

On pourrait reprocher à l’auteure d’avoir choisi deux agresseurs ultimes l’un, un homme richissime et escroc et l’autre, un véritable psychopathe, laissant croire ainsi que la violence faite aux femmes n’est pas le fait de «Monsieur tout le monde». Mais elle voit plutôt dans ces deux personnages une mise en lumière de deux réalités douloureuses: Que l’argent donne, et malheureusement pas seulement en rêve mais bien dans la réalité des faits, un pouvoir sinon illimité du moins extrêmement fort y compris sur les autres êtres humains; et que des hommes, même bien insérés dans la société et que l’on côtoie au quotidien, peuvent cacher un désir de domination de l’autre qui s’exprime sur leurs victimes par la violence sans que les autres s’en rendent compte et qui peut les faire basculer facilement, si quelque chose ou quelqu’un s’oppose moindrement à ce désir, dans la folie meurtrière envers ceux et celles identifiées comme «l’obstacle». Un rappel salutaire.

Chrystine Brouillet ©  Marcel La Haye
Chrystine Brouillet © Marcel La Haye

Un tel angle de vue, un tel choix thématique à travers un roman policier aurait pu revêtir la forme d’une démonstration lourde et pesante instrumentalisant le roman et finalement desservant le projet d’écriture. Chrystine Brouillet évite avec brio cet écueil. L’écrivaine qui avait déjà abordé ce sujet dans « Les fiancées de l’enfer », parvient, comme dans ses autres ouvrages, à nous livrer une poignante sensibilisation, à l’un des maux les plus sournois et pourtant les plus destructeurs de la vie sociale partout dans le monde. Six minutes est une véritable osmose réussie et équilibrée entre roman et comme le nomme l’auteure elle-même une «photographie de la société». Comme elle le souligne «le roman policier est un vecteur idéal pour aborder ces sujets de société. Mais il faut que demeure pour le lecteur un plaisir de lire un roman. Je ne suis pas là pour dire aux gens quoi faire mais pour être un cri d’alerte pour que les gens sachent quoi faire pour aider ces femmes ».

À propos de l’auteure
Talentueuse et prolifique, Chrystine Brouillet a écrit une cinquantaine de romans, surtout policiers. Sa série mettant en scène la détective Maud Graham remporte un énorme succès, avec plus de 600 000 exemplaires vendus. Cette héroïne, que la romancière décrit comme « une femme ordinaire exerçant un métier hors de l’ordinaire », est une enquêtrice de grande expérience au flair et à la ténacité redoutables. Aussi impatiente que généreuse, elle cultive, à l’image de son auteure, un doux penchant pour la gourmandise…

Six minutes
Chrystine Brouillet
Thriller
Collection reliefs
Direction littéraire : Anne-Marie Villeneuve
Œuvre de la couverture : iStock photo © MoreISO
Maquette de la couverture : Anne Tremblay
Éditions Druide : http://www.editionsdruide.com
344 pages
24,95 $
Format papier : ISBN : 978-2-89711-202-8 / 24,95$
Format Epub : ISBN 978-2-89711-203-5 /16,99$
Format PDF : ISBN 978-2-89711-204-2/16,99$

© photo: courtoisie
© photographie de l’auteure : Marcel La Haye