Hernani : Nicolas Lormeau modernise l’Honneur castillan de Victor Hugo

Félicien Juttner
Félicien Juttner

Spectateur, que vous preniez plaisir à la représentation de la passion, de l’action ou des caractères, vous ne manquerez pas d’être emporté par les vents violents de l’émotion, des sensations ou de la méditation qu’Hernani, drame romantique écrit par Victor Hugo, déversera en votre cœur, en votre vue ou en votre esprit en cinq actes et deux heures. 

« Il est nuit. »
Trois hommes se disputent la main de Doña Sol de Silva à la porte de son lit.

Hernani, noble banni dont le père est mort d’une sentence de la royauté, dépose les armes qu’il destine au meurtre du roi d’Espagne sur le seuil de la femme qui s’offre toute à lui et dont il est lui-même follement épris.
C’est à portée de fusil que le roi Don Carlos d’Espagne se rend sans pitié ni merci au pâtre assassin, alors que sur le point d’être élu empereur du Saint-Empire romain germanique il offre la moitié de son trône à la dame de Silva, qui si elle ne le hait ne l’aime pas.
Entre Ruy de Silva, à l’âge mûr duquel est promise en mariage sa jeune nièce et qui surprend, jaloux, ses rivaux sous son toit mais se voit retenu par sa loyauté envers son hôte et envers son roi.

En s’emparant d’Hernani, l’acteur, metteur en scène et sociétaire au premier théâtre de France Nicolas Lormeau a pris le parti de laisser en coulisses les éléments secondaires de la pièce afin de « porter au plus près des spectateurs les passions d’Hugo. »

C’est donc à l’intérieur d’un « cadre émotionnel posé au milieu des spectateurs » que se rencontre le cœur de la pièce -le quator amoureux ; Hernani, Don Carlos et Don Ruy sont tous les trois attirés par la lumière de Doña Sol, dont l’aura rayonne au-dessus de leurs parts respectives de nuit ; papillons et pris, la musique de leur cœur se met à nu alors que leurs sentiments se répandent sans retenue dans l’espace vide ouvert qui se remplit de leurs allées et venues.

Jérôme Pouly, Félicien Juttner
Jérôme Pouly, Félicien Juttner

Tour à tour les uns et les autres entrent, sortent et se tournent autour, virevoltant tels des danseurs mus par le drame qui avance pas à pas, implacablement.
Pour Don Carlos, l’amer pardon et le couronnement, la dette l’honneur et la rançon du paiement pour Don Ruy ; pour Hernani et Doña Sol, les noces d’une nuit et l’empoisonnement.

Félicien Juttner tempête, impétueux, alors que son Hernani est emporté sans répit par ses excès d’humeur et ses serments maudits, tirant l’épée de tous côtés sans s’arrêter une seul nuit sur Doña Sol et la sérénité salvatrice de son « Je te suis. »
Sa tirade au néant dans le caveau de l’empereur intronise Jérôme Pouly alors qu’il endosse le costume d’un souverain qui renonce à la terre dans le doute et la douleur pour assumer son destin de demi-dieu solitaire.
Bruno Raffaeli cabotine un peu en vieil amoureux trompé que le sens castillan de l’honneur rend élégant dans la défaite mais fait de lui un vainqueur aigri.
Quant à Jennifer Decker, c’est en incarnant la pureté d’un amour qui se donne entier, sans peur et sans arrière-pensée, qu’elle va droit au cœur.

Pari réussi pour Nicolas Lormeau qui, en « jetant les acteurs au milieu des spectateurs », parvient à ce que ceux-là se retrouvent pris en retour dans la trame de ceux-ci.

Près de deux-cent ans après la bataille d’Hernani, qui vit se quereller sous la coupole de la Comédie-Française les partisans du classicisme et les adeptes du renouveau romantique incarnés par l’auteur et ses amis, retentit à nouveau avec violence le coup de tonnerre qu’est l’oeuvre de Victor Hugo.

Hernani, du 10 juin au 6 juillet 2014 sur la scène du Théâtre du Vieux-Colombier, à Paris.

Distribution : Catherine Sauval*, Bruno Raffaeli, Coraly Zahonero*, Jérôme Pouly, Nicolas Lormeau, Félicien Juttner, Jennifer Decker, avec la voix de Thierry Hancisse
(* en alternance)

Texte : Victor Hugo
Version scénique, mise en scène et scénographie : Nicolas Lormeau
Musique originale : Bertrand Maillot
Costumes : Renato Bianchi
Lumières : Pierre Peyronnet
Collaborateur artistique : Patrick Haggiag

Crédits photographiques : Divergence Images