Écrire le mal, de Claude Champagne : un puissant témoignage sur l’âme humaine par le truchement d’un polar passionnant.

Claude Champagne Écrire le mal © photo: courtoisie
Claude Champagne Écrire le mal © photo: courtoisie

C’est bien décidé à la vendre que Jean Royer, pénètre dans l’agence de détective privé dont il vient d’hériter de son père. Un père avec lequel le contact passait peu. Un père et un fils aux univers si lointains, aux malentendus si nombreux et qui se sont encore plus éloignés depuis la disparition non résolue de Charlotte, la fille de Jean, il y a 6 ans. Une disparition qui a tari en lui toute son inspiration de romancier. Mais, à peine arrivé, il est happé par une enquête qui pourtant démarre sous le signe de la banalité de bien des recherches des agences de détective: Une femme âgée a perdu son fidèle compagnon, son chien. Il suit donc les deux salariés de son père, Roger et Ferdinand, pour ses premiers pas d’enquêteurs. Entre eux et lui, pèse la prochaine vente de l’agence qui risque de les laisser pour compte. Eux qui espéraient se voir léguer l’agence, qui en avaient même eu la promesse faite par leur patron, acceptent mal que Jean, tire un trait sur leur vie en même temps que sur leur boulot. Mais la banale disparition d’un chien vire rapidement à la découverte «d’un camp de vacances pour tueur en série ». Ce n’est pas un chien mais des animaux de toutes sortes qui sont découverts écorchés, probablement vifs, et cloutés sur des arbres. Parmi eux, le chien d’un ancien maître chien de la police : Marcel Deschamps.

Rapidement Marcel, devient un allié inestimable sur la piste de ce tueur fou dont les seules victimes apparemment, des animaux, intéressent peu la police en exercice. Un homme aussi qui pourrait être un espoir pour Roger et Ferdinand puisqu’il se montre intéressé à acquérir l’agence en gardant ses deux salariés dont il pourrait même faire ses associés. Mais surtout, plus qu’un associé le temps d’une enquête ou plus durablement d’une agence de détective, Marcel devient un repère et un espoir pour Jean qui vit, soumis au rythme de ses crises d’angoisse et de ses questionnements lancinants depuis la disparition de sa fille. Et s’il allait enfin l’aider à trouver des réponses dont l’ultime: Qu’est devenue Charlotte? C’est que peu à peu se dévoile l’évidence: L’assassin a fait de Jean et de la disparition de Charlotte l’un des éléments clefs de son projet, de son «œuvre» d’exaltation du mal.

C’est sous la forme du journal ou plutôt des journaux intimes, de Jean, de l’assassin, du père défunt, que l’auteur nous plonge dans cette quête qui recouvre derrière celle des faits celle de l’âme humaine et des marques qu’elle inscrit dans les actions des hommes: celle de l’assassin au seul service du «Beau» de son projet maléfique; celle de deux salariés menacés par la perte de leur travail face à leur «nouveau patron» le fils du fondateur et qui leur est donc tout sauf un inconnu déshumanisé; celle des relations entre Jean et Marcel deux inconnus devenus pourtant très vite très proches, et entre Jean et son père; celle enfin d’un père dont l’enfant a disparu, face à lui-même, à l’absence et au deuil qui se refuse à lui.

Une quête à plusieurs voix en polyphonies qui tantôt interagissent, s’interpellent sont à l’unisson et tantôt se jouent en solo. Un tel principe d’écriture aurait pu mener à l’incohérence du récit à sa déstructuration complète rendant le cheminement de l’enquête et donc du lecteur impossible. C’est pourtant tout le contraire qui se passe. Chacun de ces journaux nourrit l’autre, nourrissant l’intrigue. Une intrigue parfaitement construite, et menée. Rien n’est laissé au hasard ou à son alter ego l’invraisemblance qui sont souvent le mauvais cheminement de bien des thrillers. Si chacune des histoires qui se jouent dans l’histoire a sa propre cohérence, sa début et sa fin, toutes, parallèlement concourent à l’ensemble du roman et de son suspense. Et si parfois, au cours de la lecture on en doute, l’auteur sait, au final, et avec brio, raccorder tous les fils ensemble. Surtout, dans un livre dont le ressort est pourtant l’expression du mal, notamment dans son expression sanglante, l’auteur n’a pas cédé à la facilité de la description gore et crue. Sa seule incursion, à la fin, est nécessaire au déroulement tant de l’histoire en tant qu’intrigue que de la psychologie des personnages qui fait corps avec elle.

Claude Champagne, après plusieurs autres chemins de l’écriture, littérature pour la jeunesse, dramaturgie, nouvelles, romans et actions au service de la promotion et de la diffusion de celles-ci, il a été le cofondateur de Dramaturges Éditeurs et est actuellement enseignant en littérature, publie ici son premier thriller. Mais pas un thriller quelconque dans lequel seul le suspense compte même si dans Écrire le mal, celui-ci est particulièrement bien orchestré. Plus que sur les détails scabreux des perversions, l’auteur met l’emphase sur l’âme et ses dérives. La psychologie de chacun des personnages comme les relations qu’ils tissent entre eux et leur incidence sur le cheminement du récit sonnent toutes vrai et font de ce livre bien plus qu’un «polar». L’auteur nous en livre probablement le secret dans sa postface: « Plusieurs idées de romans marinaient dans mon bocal, chacune de leur côté depuis des années. Écrire sur l’absence de ma fille. Écrire sur la mort. Ma peur. Mon père. Le mal. Celui qu’on ressent, celui qu’on fait, celui qui est autour de nous. L’envie d’écrire une enquête. Puis j’ai mélangé tout ça. Je tenais quelque chose, un désir. Une urgence de dire. Il me manquait la «boite». La structure dans laquelle allait évoluer le récit. La forme du journal intime s’est ainsi imposée. Il ne me restait plus qu’à écrire. Sans plan, pour une rare fois. L’histoire m’habitait depuis si longtemps, je n’avais qu’à la laisser guider jusqu’à vous. »

Ainsi, on le comprend, Claude Champagne, dont le propre père dirigeait une agence de détective privé, nous transmet avec Écrire le mal un livre qu’il portait en lui, fait de lui. La forme du thriller comme celles des journaux intimes des personnages, de par le cache de l’intrigue qui nous entraîne dans son propre rythme et des différences voix qui nous parlent, nous sauvent du voyeurisme du lecteur fasse à l’écrivain qui se livre sans en diluer la puissance de la transmission. C’est toute la force de ce livre qu’il faut lire, au delà de l’intérêt bien réel d’une intrigue qui nous tient en haleine, pour ce qu’il nous apporte: Une réflexion autant qu’un témoignage sur les méandres et les facettes de qui l’on est face à soi-même, face aux autres, face au drame, face au mal et les dérives possibles de son expression par le détournement de l’Art.

Écrire le Mal
Auteur : Claude Champagne
Collection Reliefs dirigée par Anne-Marie Villeneuve
Conception de la couverture : www.annetremblay.com
Photographie de l’auteur : Richmond Lam
Éditions Druide : www.editionsdruide.com
ISBN: 978-2-89711-132-8 (Papier)
ISBN: 978-2-89711-134-2 (Pdf)
ISBN: 978-2-89711-133-5 (Epub)
272 pages
Broché
22,95 $

En librairie le 10 août 2014
Avec le soutien du Conseil des Arts du Canada et de la Sodec Québec
Les libraires: http://www.leslibraires.ca/livres/ecrire-mal-claude-champagne-9782897111328.html/c74b4f9a25db6b1804b4185d6bcecd90cddd40f0a6651890e8ebd8b581a0f3dc22e7733f5f59d028a7d0f75f678bdab08ca265d15a817408e496a08a8b1402a1/?u=4850

© photo: courtoisie