Oh les beaux jours : Catherine Frot interprète corps et voix le solo féminin de Samuel Beckett sur la scène du TNM

Catherine Frot
Catherine Frot

Après être passé par la capitale et le Théâtre de la Bordée, Oh les beaux jours poursuit sa tournée québécoise et s’installe au Théâtre du Nouveau Monde de Montréal pour six représentations. Reprenant le rôle emblématique de Winnie, La Française Catherine Frot s’empare avec brio de la partition écrite pas Samuel Beckett il y a plus de cinquante ans.

« Encore une journée divine! » s’écrie Winnie tandis que retentit la sonnerie du réveil. Encore une journée. Encore une. Encore.
Winnie fait ses prières, sa toilette, sort de son sac ses petites affaires … Comme tous les jours, elle recommence, avec un optimisme à toute épreuve, les mêmes petits gestes qui font un rituel de son quotidien. Tout sourire, elle s’apprête, elle se tient prête.
En vue de quoi? De rien. Winnie fait seulement tout, tout ce qu’elle peut pour faire passer le temps entre deux « Et maintenant? » Et il y a si peu qu’elle puisse faire afin de « tirer sa journée » en attendant la sonnerie du sommeil.

« Je ne peux plus rien faire. Plus rien dire. Mais je dois dire plus. » Winnie est entravée à hauteur de la taille, dans la lave, quelque part dans un lieu désert. Pas âme qui vive avec elle, mis à part son mari, Willie, qui dort – ou pas – dans son trou, presque hors de vue mais à portée de la voix de sa femme, et qui lui répond presque – ou pas du tout.
Mais qu’importe que Willie l’écoute ou pas, Winnie parle, et ce sans discontinuer. Car tant qu’il est là, il y a quelqu’un à qui s’adresser. Tant que les mots sont là, elle peut se distraire un temps et ne pas céder à la tentation de farfouiller dans son sac, à côté, pour y trouver de quoi s’occuper – par exemple un pistolet.
« Le temps est à Dieu et à moi. Drôle de tournure. Est-ce que ça se dit? Est-ce que ça peut se dire, Willie, que son temps est à Dieu et à soi? Est-ce que tu dirais ça, Willie, que ton temps est à Dieu et à toi? » Willie, lui, ne s’épuise pas en questions quant à sa condition d’être et de néant. Il répond : « Dors. » Mais Winnie ne dort pass.

Catherine Frot
Catherine Frot

« Quel est ce vers…? » Ensevelie jusqu’au cou, Winnie n’est plus qu’une voix sans corps, un « être en apesanteur que la terre cruelle dévore » et qui disparaît, mais pas encore.
Lucide mais entêtée. Tant que sa voix porte encore, cette « fleur sauvage qui pousse entre les rails d’une voie ferrée », cette femme résistante, « qui n’est plus une seule femme, mais toutes les femmes » continue à repousser avec force et courage le triomphe de la mort.

« La cinquantaine, de beaux restes, blonde de préférence, grassouillette, bras et épaules nues, corsage très décolleté, poitrine plantureuse, collier de perles. » C’est ainsi que Samuel Beckett voulait sa Winnie.
Faisant suite à Madeleine Renaud, à Françoise Faucher, Sylvie Drapeau et Andrée Lachapelle, pour ne citer qu’elles, la Française Catherine Frot reprend le rôle de Winnie, dont elle a rêvé des années de carrière durant, attendant patiemment la maturité venir et son art atteindre ses sommets afin d’avoir les armes pour composer un drôle d’oiseau « à la fois burlesque et tragique », léger et mélancolique, qui résiste en couinant à la terreur qui « l’étreint à l’idée de se retrouver seul » face au néant.
Privée ou presque de mouvements, Catherine Frot délivre pourtant toutes les nuances de son talent et parvient à faire de sa Winnie un être à l’inquiétude existentielle pétillante, savoureux de par son « vieux style » et un rien irritant.

L’actrice a travaillé, avec le metteur en scène Marc Pasquien, à « élever vers la clarté l’éclat d’une voix qui porte comme un appel persistant à ne pas se laisser anéantir. » C’est réussi. On quitte la salle convaincu qu’avant la nuit, même si c’est dur, mieux vaut en rire.

Oh les beaux jours, du 21 au 26 février au Théâtre du Nouveau Monde, à Montréal.

Distribution : Catherine Frot, Éric Frey

Texte : Samuel Beckett
Mise en scène : Marc Paquien
Assistance à la mise en scène : Martine Spangaro
Collaboration artistique : Élisabeth Angel-Pérez
Décor : Gérard Didier
Lumière : Dominique Bruguière, Pierre Gaillardot
Costumes : Claire Risterucci
Maquillages : Cécile Kretschmar

Crédits photographiques : Pascal Victor/ArtComArt