Marjorie Chalifoux, le roman de Véronique-Marie Kaye: Prendre son destin en main envers et contre tout

Véronique-Marie Kaye : Marjorie Chalifoux © photo : courtoisie
Véronique-Marie Kaye : Marjorie Chalifoux © photo : courtoisie

Marjorie Chalifoux a tout jute 19 ans quand elle découvre qu’elle est enceinte alors que son amoureux, son véritable rayon de soleil dans une vie difficile et triste vient de mourir dans un accident de voiture. Élevée par son père, seul, sa mère est morte en couches, cette naissance annoncée n’a rien d’un heureux événement à venir. La société en ce milieu du 20ème siècle à Ottawa est dure. Dure, surtout pour les francophones minoritaires dans un monde anglophone économiquement et socialement dominant. Sa vie dans la situation à venir, celle d’être une fille-mère, ne va que s’aggraver voire même être complètement être ruinée. Marjorie a, de plus, peu à espérer en terme d’affection ou même de soutien de la part de son père. De l’affection, son père qui fait de son « don » de medium son gagne-pain, ne lui en a d’ailleurs jamais vraiment donné à cette enfant qui a « tué » sa femme. Parler avec les morts ou avec ceux qui guettent un signe des morts pour survivre à la douleur de la disparition peuple son univers bien plus sûrement que le dialogue avec une enfant devenu adolescente puis jeune femme au milieu de son indifférence hostile. Marjorie trouve toutefois la force de lui avouer sa situation. Sa réponse est sans appel : elle a une semaine pour se trouver un mari et un travail, car il est hors de question que ce père, usé par la vie et par une responsabilité qui le dépasse, veuille, ou même puisse, subvenir aux besoins d’une nouvelle « bouche à nourrir ». Aussi décide-t-il, sans discussion possible du soupirant, déniché parmi les fils de sa clientèle. Un jeune, avec lequel Marjorie a consigne de coucher pour piéger le jeune homme et l’obliger au mariage. Marjorie doit entamer sur le champ, avec la complicité d’une mère à laquelle on n’a raconté qu’un pan de l’histoire et bien sûr pas que son fils élèverait ainsi l’enfant d’un autre, les démarches de séduction du mari ainsi désigné, dans l’optique arrêtée de coucher avec lui pour, ensuite, hurler à l’honneur détruit et réparation par une…union. Parallèlement, Marjorie part en quête d’un travail là où il se trouve, c’est à dire dans la partie anglophone de la ville, avec comme tout bagage professionnel ce métier de couturière qu’elle a appris « sur le tas » dans le silence et la solitude de la maison familiale, sur décision de son père qui la pensait prédisposée à ce domaine d’activité parce qu’enfant…elle jouait avec des bouts de ficelles!!

Le livre aurait pu sur une telle base partir vers le pathos misérabiliste ou au contraire le joli conte de fée mièvre ancré dans un contexte historique autant pesant et prégnant que de façade. Le livre évite avec bonheur ces deux genres pour nous offrir un véritable conte épique et même picaresque. C’est donc une véritable aventure dans la tradition de ces genres littéraires que va vivre Marjorie. Une aventure qui va bouleverser son destin, faire mentir tous les déterminismes sociaux, économiques et sociologiques. Marjorie à travers ce parcours initiatique sexuel, amoureux, relationnel et social, qui va agir comme une catharsis, se transformera, se découvrira, s’affirmera. Une transformation durant laquelle Marjorie rencontrera des personnages, bons ou mauvais, « réels » ou nés des séances de spiritisme de son père auxquelles elle assiste et parfois même participe elle qui a aussi, peut-être, le « don ». Des personnages qui l’accompagneront et qui seront pour elle, comme dans les contes, à travers leurs différents caractères et personnalités, les révélateurs de sa propre personnalité et de son destin à construire. Des personnages et une histoire dont l’ancrage dans un cadre historique et géographique donne une crédibilité et une structure au roman mais tout en restant toujours suffisamment léger pour que l’aventure de Marjorie Chalifoux ait une portée qui dépasse largement le seul contexte de la société ontarienne du milieu du 20ème siècle.

La langue écrite de ce deuxième roman de l’auteure franco-ontarienne Véronique-Marie Kaye, comme le portrait des personnages qui le peuplent sont à l’unisson de la dynamique du roman : natures, suggestifs, imagés, tendrement humains, souvent remplis d’humour sans être jamais ni vulgaires ni forcés.

Ne cherchez pas dans Marjorie Chalifoux une étude sociologique ou un roman historique réaliste sur la vie des francophones à Ottawa au milieu du 20ème siècle. Laissez-vous plutôt porter par ce conte, au sens noble du terme, de l’éveil et de l’affirmation d’une jeune femme à la vie… la sienne, résolument.

À propos de l’auteur
Véronique-Marie Kaye est romancière et dramaturge. En 2014, elle a été finaliste au Prix littéraire Trillium avec la pièce Afghanistan (Prise de parole, 2013). Marjorie Chalifoux est son deuxième roman.

Marjorie Chalifoux
Véronique-Marie Kaye
Roman
Œuvre en première de Couverture : Marc Charles Bertrand
Conception de la couverture : Olivier Lasser
Éditions Prise de Parole : www.prisedeparole.ca
196 pages
22,95$
ISBN : 978-2-89423-940-7 (Édition papier)
ISBN : 978-2-89423-778-6 (PDF)
ISBN : 978-2-89423-034-3 (ePub)
LesLibraires.ca : http://www.leslibraires.ca/livres/marjorie-chalifoux-veronique-marie-kaye-9782894239407.html/71d51779d6e90cdc1415e87d169dc59fe355f670f3e60db0e304a289b8c7b3dedabb2e8c092b16125be5fd6614418b0bfaf9b75ddca2399bf46d52b8b130645f/?u=4850
Avec le soutien du Fonds du Livre du Canada, du Programme Développement des communautés de la langue officielle de Patrimoine canadien; Du Conseil des Arts du Canada, du Conseil des Arts de l’Ontario et de la Ville de Sudbury.

© photo : courtoisie