La Divine Illusion, à la salle Albert-Rousseau, une fiction historique théâtrale qui séduit, dérange et pousse à la réflexion

Divine Illusion
Divine Illusion

Dans le cadre des tournées du TNM, la salle Albert-Rousseau a reçu sur sa scène, lundi le 18 janvier dernier, la très acclamée pièce La Divine Illusion,  mettant en lumière Anne-Marie Cadieux dans le rôle de Sarah Bernhardt, une création de Michel Marc Bouchard et une mise en scène de Serge Denoncourt. Une fiction historique théâtrale qui séduit, dérange et pousse à la réflexion. Une pièce qui est beaucoup plus qu’un divertissement! 

Féru d’histoire québécoise, Michel Marc Bouchard s’inspire de la visite de la divine Sarah Bernhardt à Québec en décembre 1905 pour créer un bouleversant portrait de société : la classe ouvrière naissante est déjà séduite par le capitalisme qui l’écrase, l’Église est à la fois lieu d’oppression et d’espoir et le théâtre commence à apparaître comme le seul territoire où le réel pourrait s’arracher à lui-même.

La ville est en émoi : Sarah Bernhardt arrive à Québec. Nul n’en est plus excité que Michaud, un séminariste que le théâtre attire bien plus que la prêtrise. Nul ne s’en fiche davantage que Talbot, pour qui la prêtrise n’est rien d’autre que le chemin que sa mère lui a imposé pour sortir sa famille de la misère et du travail en usine. Or, la venue de la plus célèbre comédienne du monde bouleversera ces destinées jusque-là terriblement prévisibles. 

Après avoir remporté un véritable succès au TNM, cette pièce était très attendue à Québec. Ce qui fait la force de cette pièce à mon avis, c’est sa capacité de nous faire rire avec ses répliques mordantes et un humour corrosif. Puis, sans qu’on s’y attende, deux phrases plus tard, c’est le drame et l’émotion vive qui nous atteint de plein fouet. On alterne entre les émotions fortes et les éclats de rire à tout moment!

Simon Beaulé-Bulman, Mikhaïl Ahooja
Simon Beaulé-Bulman, Mikhaïl Ahooja

En plus du texte jouissif à nos oreilles, dont je suis certaine qu’on ne peut pas en saisir toutes les subtilités et toute la profondeur, tellement il est puissant, cette production propose des personnages savoureux interprétés par des acteurs de très grand talent.

Bien qu’elle n’apparaît qu’en troisième partie, après près d’une heure de spectacle, Anne-Marie Cadieux EST Sarah Bernhardt. Dès qu’elle est sur scène, elle vole la vedette avec son excentricité, son hostilité envers le clergé qui dirige tout et sa passion pour le théâtre. Ses répliques assassines et cinglantes sont déroutantes et déclenchent le rire en plus d’un grand respect pour cette grande dame qui n’a pas peur de faire éclater la vérité.

Il y a également Simon Beaulé-Bulman et Mikhaïl Ahooja qui sont de véritables révélations pour moi dans cette pièce. Ils sont deux jeunes séminaristes au caractère très opposé. L’un, Michaud,  incarne un fils de ministre, grand fervent de théâtre et admirateur de Sarah Bernhardt, qui vit sa vie comme si elle était une pièce de théâtre. Il est plein d’innocence et d’entrain. L’autre, Talbot, est issu du milieu ouvrier, dont la mère et le jeune frère travaillent dans une usine de chaussures. Il est désabusé et en colère contre tout. Il est très intéressant de voir ces deux acteurs en action. Ils livrent leurs émotions avec beaucoup de passion. On les voit peu à peu se transformer durant la pièce, suite aux événements qui se produisent. Simon fait rire et Mikhaïl incarne la douleur. Ils sont criants de vérité.

Anne-Marie Cadieux, Marie-Pier Labercque, Guillaume Cyr
Anne-Marie Cadieux, Marie-Pier Labercque, Guillaume Cyr

Pour le reste de la distribution, Annick Bergeron incarne avec brio cette pauvre Madame Talbot, dépassée par les événements, femme travaillante et aimante qui ne veut que le meilleur pour ses fils, sans savoir comment y parvenir. Gérald Gagnon est un véritable bourreau que l’on aime détester, dans le rôle du patron de l’usine. Un rôle ingrat qu’il incarne à merveille. Lévi Doré dans le rôle de Léo nous faire sourire par son humour. On sympathise avec lui instantanément. Et je pourrais continuer ainsi avec tous les autres acteurs qui donnent tous une excellente performance de jeu. Pour la tournée du TNM, c’est Guillaume Cyr qui joue le rôle de Meyer et David Savard qui incarne le Frère Casgrain. Également, le pianiste Laurier Rajotte qui était présent sur scène à Montréal, n’a pas suivi avec la tournée. C’est plutôt de la musique enregistrée que l’on entend durant la pièce.

Au niveau de la mise en scène, Serge Denoncourt a fait un travail remarquable qui permet de mettre en valeur le fabuleux texte de Michel Marc Bouchard. Le décor est extrêmement bien présenté. Un dortoir du séminaire, qui se transforme en atelier de couture dans l’usine de chaussure, en quelques secondes. Et la loge de Madame Bernhardt est recréée en avant-scène avec seulement quelques accessoires que l’on ajoute pour cacher le dortoir. C’est inventif, ingénieux et efficace. La musique que l’on entend à l’occasion, vient ajouter à l’ambiance. C’est une belle initiative.

Lévie Doré, Mikhaïl Ahooja, Annick Bergeron
Lévie Doré, Mikhaïl Ahooja, Annick Bergeron

Finalement, l’histoire qu’on nous raconte est puissante. Cette pièce aborde des thèmes qui ne sont pas des plus joyeux. Michel Marc Bouchard dépeint le Québec du début des années 1900, alors que le clergé contrôle tout et dont les mœurs laissent grandement à désirer. On nous montre les conditions de travail inhumain de ces usines des gagnes-petits qui ne peuvent faire autre chose qu’accepter ou s’en aller. Également, Michel Marc, par la bouche de Sarah Bernhardt et des jeunes séminaristes, aborde le thème de l’art, de l’importance du théâtre dans la société. La puissance du théâtre pour divertir, mais aussi dénoncer, se défouler, faire réfléchir et pourquoi pas, créer un monde meilleur. Voilà ce qui en fait une œuvre si originale, intelligente et remplie d’émotions vives.

Les prochaines représentations de la pièce La Divine Illusion  dans le cadre de la tournée du TNM

2 h 50 incluant un entracte

 Création MICHEL MARC BOUCHARD

Mise en scène SERGE DENONCOURT

 Avec Anne-Marie Cadieux , Louise Cardinal, Mikhaïl Ahooja, Simon Beaulé-Bulman, Annick Bergeron, Gérald Gagnon, Marie-Pier Labrecque, Dominique Leduc, Lévi Doré, Guillaume Cyr et David Savard

 http://sallealbertrousseau.com/

http://www.tnm.qc.ca/

Crédit photos : Courtoisie et  photographe Yves Renaud