« En attendant Godot » ou l’attente interminable…

En attendant Gogot © Yves Renaud
En attendant Gogot © Yves Renaud

Beckett refusait que l’on entende dans le nom de Godot une manière de nommer quelque divinité que ce soit. Il déclara même que s’il avait souhaité parler de Dieu, il aurait pu non pas écrire Godot mais God, tout simplement. On peut sans doute le croire. Mais peu importe ce que les deux vagabonds Vladimir et Estragon attendent tout au long de la célèbre pièce écrite en français par l’auteur irlandais. Ce qui est sûr, c’est qu’ils attendent.

Les décors du Théâtre du Nouveau Monde ne déçoivent jamais les spectateurs. Tout en respectant les instructions données dans les didascalies de l’œuvre, la superbe mise en scène de François Girard insiste comme il se doit sur la dimension philosophique du temps présentée dans la pièce.

Les deux vagabonds, liés l’un à l’autre par un aimant irrésistible, attendent sous un arbre l’arrivée de Godot. Situé au milieu de nulle part, cet arbre sec dans le premier acte est planté dans une aire circulaire où du sable s’écoule du ciel. Au-dessus de leurs têtes, le même arbre mais avec quelques feuilles, la même aire circulaire, les mêmes objets plantés dedans, les enferme dans un espace d’où ils ne parviennent pas à sortir et qui forme un immense et magnifique sablier. Le décor se retourne dans le second acte. Ils y sont toujours enfermés psychiquement. Leur vie se réduit à cette attente. Attente de quelque chose qui ne viendra jamais, dans laquelle leur mémoire n’arrive pas même à se fixer puisqu’aucun événement signifiant ne risque d’advenir.

Donner à penser sur la notion de temps : un vaste programme, au cœur de toute réflexion philosophique, que Beckett aborde par le biais de cette fiction pas si absurde que cela, et pas dénuée non plus de beaucoup de ressorts comiques même si on nage dans le total tragique de l’absence de perspective.

Dans son dernier essai intitulé Question d’être, le philosophe et psychanalyste Daniel Sibony écrit une phrase qui résume bien cette attente on ne peut plus stérile : « […] l’attente met en réserve le temps en un lieu dont l‘accès est interdit. Il y a l’attente névrotique où l’on attend qu’il soit trop tard, il y a l’attente souffrante où l’on attend que ça se passe, il y a l’attente plus vive où l’on s’attend… à ce qu’il arrive quelque chose, comme si une part de nous-mêmes était à venir, de là-bas, de si loin. »*

C’est qu’il y a bien des manières de perdre sa vie. Aux deux vagabonds qui attendent – Vladimir et Estragon magistralement interprétés par Pierre Lebeau et Benoît Brière, s’ajoute un autre couple qui donne aussi à réfléchir un peu dans le même sens. Remarquablement interprété, par Alexis Martin et Emmanuel Schwartz, Pozzo et Lucky semblent liés par un contrat pervers qui les fait forcément passer aussi à côté de l’essentiel. Si enfermement il y a encore, il est d’un autre ordre que celui de Vladimir et d’Estragon.

En attendant Gogot © Yves Renaud
En attendant Gogot © Yves Renaud

Pozzo est un affreux bonhomme, désagréable et autoritaire, qui maltraite avec insouciance le très soumis Lucky comme s’il s’agissait de son esclave. Personne ne proteste contre cette maltraitance, pas même la victime. Le bourreau quant à lui trouve cela on ne peut plus naturel. C’est qu’il s’estime en plein centre du monde, personne n’existe sinon lui-même, il ne voit que lui et c’est peut-être pour cela qu’on le retrouve aveugle dans le second acte de la pièce.

Durant cette attente stérile et pour le moins désespérante, un enfant – interprété par Mounia Zahzam – apparait, qui pourrait donner l’espoir d’un ailleurs, d’une sortie de la vacuité de la vie que se sont forgé les deux protagonistes. Mais il n’en est rien. Les deux vagabonds n’entendent dans ses paroles que l’injonction à demeurer sur place et à répéter quotidiennement leur enfermement jusqu’à la fin de la pièce et sans doute de leur vie.

Beckett a eu le génie de faire œuvre de créativité pour décrire des personnages aux antipodes justement de toute créativité. Même si En attendant Godot est très souvent montée, ce n’est pas une mince affaire que de s’attaquer à une telle œuvre. L’équipe rassemblée par le Théâtre du Nouveau Monde est bien à la hauteur d’une pareille entreprise. La mise en scène de François Girard est tout à fait remarquable et servie superbement par une distribution dont il est difficile d’imaginer de meilleure qualité.

En attendant Godot au Théâtre du Nouveau Monde à Montréal, du 1er au 31 mars 2016

Texte : Samuel Beckett

Mise en scène : François Girard

Avec : Pierre Lebeau, Benoît Brière, Alexis Martin, Emmanuel Schwartz et Mounia Zahzam

Informations : www.tnm.qc.ca/piece/en-attendant-godot/

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* Daniel Sibony, Question d’être, Entre Bible et Heidegger, Paris, Odile Jacob, 2015, p.125