Au moment où le spectateur pénètre dans la salle du Mai à Montréal pour assister au spectacle de la chorégraphe israélienne Aharona Israel, les trois acteurs / performeurs courent déjà l’un après l’autre sur sa scène circulaire. Lorsqu’à la fin du spectacle ce même spectateur quitte la salle après les applaudissements, les trois continuent à courir encore. C’est que la vie se poursuit au même rythme, avec les mêmes problèmes et dans la même course haletante…
Aharona Israel s’est fait la spécialiste des performances multidisciplinaires atypiques. Chorégraphe, metteur en scène, interprète, mais aussi architecte, elle a le sens de l’espace qu’elle sait mettre en relation avec le corps physique et l’intimité psychique de ses personnages.
Présenté pour la première fois au Québec, après avoir été acclamé en Israël, en Pologne, en Allemagne, également à Toronto, Ottawa et Vancouver, Marathon est un mixte de danse, de performance et de théâtre autofictionnel. Ses trois personnages sont des Israéliens qui au fil de leur performance sportive – ils ont l’air de participer à un vrai marathon, avec tenues vestimentaires, dossards numérotés et station de ravitaillement en eau – racontent de manière fragmentaire leurs histoires individuelles, incluses dans l’histoire et le quotidien souvent difficile du pays où ils vivent et cherchent à exister.
Ilya (Ilya Domanov) est né en Russie mais vit désormais en Israël depuis plusieurs années. L’histoire qu’il nous raconte est celle de ses rapports avec son fils qui lui manque, et qui n’est pas sans lien avec celle qu’il a vécu avec son propre père… Merav (Merav Dagan qui a reçu le prix de la Meilleure actrice au festival de théâtre alternatif d’Acco) est une jeune femme apparemment en révolte contre les valeurs de son pays, fière d’avoir échappé à son service militaire, mais profondément blessée par la mort d’un membre de sa famille à la guerre de Kippour. Gal (Gal Shamai), enfin, a fait l’armée comme tout Israélien, peut-être dans des sections d’élite, et passe par des crises existentielles en se demandant s’il pourrait faire un jour ce qu’il désire vraiment.
Les trois personnages écorchés vifs portent en eux leurs secrets et leurs blessures personnelles. Et à cela s’ajoutent les difficultés et les complexités de la société israélienne : une société en guerre et entourée d’ennemis où la menace terroriste est plus que quotidienne ; une démocratie multiethnique où se côtoient orthodoxes et ultra-libéraux, qui bouillonne de vie, de trafic, d’intelligence, d’innovations aussi, mais où les gens ne se comprennent pas toujours les uns les autres, où se rencontre une très grande solidarité mais aussi une bonne dose d’agacement, où tous visent toujours l’avenir mais en refusant d’oublier le passé.
C’est un peu tout cela que montre le spectacle Marathon. Pendant une heure et plus, la performance très physique exhibe les corps qui courent, se fatiguent, transpirent, s’épuisent, se fâchent les uns les autres, semblent vouloir tout laisser tomber. Mais qui dans un élan de solidarité, repartent et courent de nouveau, sans se donner le droit d’abandonner, car la vie est ainsi faite. Une vie qui va nulle part, qui tourne en rond parfois, mais une vie qu’il faut vivre le mieux possible. Avec une bonne dose d’humour aussi, ces trois personnages anonymes au début, deviennent intimes pour le spectateur, très attachants chacun dans son genre. Chacun peut parfaitement s’y reconnaître dans sa propre course non seulement pour sa vie mais pour tenter d’exister réellement.
Pour visionner des vidéos d’Aharona Israel (extraits) : https://www.youtube.com/channel/UCdd7THLK9wN64XqX2TSjtAw
Marathon de Aharona Israel (Tel-Aviv), au Mai à Montréal, les 1er et 2 avril 2016
Avec : Merav Dagan, Ilya Domanov, Gal Shamai
Textes : Asa Wolfson, Aharona Israel, en collaboration avec les interprètes
Informations : http://m-a-i.qc.ca/fr/index.php?id=459
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