Garcia Alarcon dirige Water Music : L’invitation d’un chef d’exception par Les Violons du Roy

Le Chef Leonardo Garcia Alarcon © photo: courtoisie
Le Chef Leonardo Garcia Alarcon © photo: courtoisie

Pour l’un des derniers concerts de sa saison montréalaise l’Orchestre de chambre les Violons du Roy avait invité, pour une soirée entièrement consacrée au musicien du XVIIIème siècle Georges Frideric Handel, l’un des plus reconnus chefs baroques actuels, le chef d’orchestre et claveciniste, argentin d’origine, Leonardo Garcia Alarcon. En première partie était jouée la cantate Il delirio amoroso HWV 99. La première cantate écrite par Handel lors de son séjour en Italie, à Rome, au tout début du XVIIIème en 1707, sur un texte et à la demande du Cardinal Benedetto Pamphili. Une cantate destinée à être jouée dans l’un de ces cercles savants comme il en existait tant alors dans toutes les cours et capitales européennes qu’elles soient civiles ou ecclésiastiques. Comme l’a rappelé en introduction Leonardo Garcia Alarcon, on peut considérer ces cantates comme les premiers pas affirmés et reconnus de ce qui deviendra plus tard l’opéra. La présentation de cette œuvre était donc doublement importante tant pour le parcours d’un musicien en pleine ascension mais encore formation que pour l’évolution de la musique en général. L’orchestre et le chef d’orchestre avaient choisi comme soliste, invitée pour la première fois par les Violons du Roy, la Soprano américaine à la carrière internationale Joëlle Harvey. Un choix particulièrement judicieux tant cette musicienne a su interpréter avec brio et présence ce rôle de femme qui vient de perdre son amour, un homme cruel qui l’a faite tant souffrir mais qu’elle va pourtant chercher jusque dans les Enfers avant que de se résoudre à quitter définitivement le séjour terrestre pour rester avec son amant dans les Élysées. La voix est parfaite tout à la fois techniquement impeccablement maîtrisée et si subtile, si juste et en même temps si agile mais aussi avec cette puissance, cette présence dans le jeu qui la place d’emblée parmi les meilleures. Elle nous est apparue si pure, presque irréelle accompagnée d’une véritable présence sur scène bien au-delà de la simple récitation d’une partition. Assurément un très grand moment que nous ne sommes pas près d’oublier.

La Water Music Suite no 1 en fa majeur HWV 348; Suite no 3 en sol majeur, HWV 350; Suite no 2 en ré majeur, HWV 349, composait la deuxième partie et donnait même son nom au concert. Dommage d’ailleurs qu’en terme de communication ce titre ait passé sous silence la cantate Il delirio amoroso dont la qualité de l’interprétation n’a eu rien eu à envier à celle de la . Une œuvre bien sûr beaucoup plus connue de notre période contemporaine, même si nous ne savons pas toujours associer son nom à cette musique que tous reconnaissent, et pour laquelle le musicien est définitivement associé à ses créations pour la cour d’Angleterre et son roi Georges. L’œuvre aurait été jouée pour la première fois lors d’une promenade royale sur la Tamise en 1717. Elle aurait tellement plu au roi que celui-ci se la fit jouer trois fois de suite. Nous n’avons pas eu ce privilège, mais quel dommage. Car bien sûr l’œuvre est magnifique comme chacun le sait mais surtout le concert qui nous a été offert ce vendredi à la Maison symphonique fut véritablement exceptionnel. Quelle qualité ultime de l’interprétation de tous les musiciens solistes ou non. Saluons notamment les prestations si abouties du premier violon Alexander Read; du Basson Mathieu Lussier qui illuminait ce concert par son plaisir évident de jouer cette œuvre; des cors Nadia Côté et Xavier Fortin qui ont su démontrer que cet instrument n’était pas uniquement celui de la puissance poussée à son paroxysme mais aussi celui des nuances; du luthiste Sylvain Bergeron, qui a su nous rappeler et avec quelle perfection que le luth doit sortir du rôle dans lequel notre imaginaire le confine d’instrument pour romance musicale de ménestrel et la flutiste à bec Sophie Larivière qui a redonné pour nous ses lettres de noblesse à un instrument malmené à nos oreilles par des années de massacre dans les classes des cours de « musique » du primaire et du secondaire.

La soliste Soprano  Joëlle Harvey © photo: courtoisie
La soliste Soprano Joëlle Harvey © photo: courtoisie

Mais, surtout, quelle direction inspirante que celle de Garcia Alarcon! À n’en point douter cet homme sait tout donner et tout obtenir de l’orchestre qu’il dirige. Tout donner car on le sent véritablement dans la création qu’à chaque instant il semble réaliser pour nous. Et pourtant quel défi ne se lance-t-il pas à lui-même comme à ses musiciens en dirigeant tout en jouant lui-même de l’un des instruments, le clavecin. Et l’homme qui pourrait se perdre dans ces deux rôles semble pourtant au point parfait et ultime de sa fonction. Tout son être est là, sur scène, dirigeant sans baguette cet instrument trop souvent froid qui introduit une distanciation forte entre le chef et les musiciens. Ici rien de tout cela. On a l’impression que le chef accompagne, prend, enveloppe, élève avec lui les artistes qui l’accompagnent sur scène et quand il joue c’est de sa tête et de son corps qu’il dirige, vivant sa musique, encore et toujours. Et la magie opère, l’orchestre le suit partageant, à l’évidence, avec lui  le plaisir de jouer, l’enthousiasme d’être là. Il suit toutes les subtilités que le Maître donne à ses instructions. Et nous, spectateurs, nous ne pouvons détacher non yeux de cet être, toujours en alerte qui s’anime devant son clavecin devenu aussi pupitre de chef. C’est d’ailleurs son intime conviction que Garcia Alarcon illustre ainsi et nous transmet définitivement. L’homme, qui est venu se former en Europe car il ne trouvait pas dans son Argentine natale de clavecin en assez bon état, est en effet convaincu, par son travail avec sa professeure Christiane Jacobett , que, pour le répertoire baroque, un bon chef doit diriger de son clavecin, maestro al cembalo, selon l’appellation de l’époque.

Mais on sent aussi dans ce chef exceptionnel la générosité. L’organisation de l’orchestre est tout au service de la musique mais aussi de la mise en valeur des musiciens comme si cela allait de paire; les cors placés en hauteur, les solistes qui tour à tour s’avancent sur le devant de la scène… Générosité aussi avec le public en nous impliquant dans sa prestation par, chaque fois, une courte présentation tout aussi pertinente et appréciée de l’œuvre dans son contexte musical et historique. Mais générosité aussi, par ses remerciements pour l’accueil que le Québec lui a réservé, lui qui se produisait pour la première fois en Amérique du Nord et alors que ce serait plutôt à nous de le remercier pour le concert exceptionnel qu’il nous a offert ce soir-la.

Avec Garcia Alarcon dirige Water Music, les Violons du Roy nous ont une fois encore démontré l’excellence de leur formation. Excellence dans le choix de leur répertoire, excellence dans leur exécution des œuvres jouées et la cohésion de l’orchestre, excellence dans le choix des chefs et solistes invités. Mais aussi excellence dans leur souci de participer au mouvement contemporain de renouveau dans l’interprétation de la musique des XVIIème et XVIIIème siècles et de jouer sur des instruments modernes tout en s’approchant le plus possible de ceux d’époque en utilisant, par exemple, des archets, copies de ceux d’alors.

G. F. HANDEL (1685-1759)
Delirio amoroso (Da quel giorno fatale), cantate pour soprano et orchestre, HWV 99
Water Music, Suite no 1 en fa majeur, HWV 348; Suite no 3 en sol majeur, HWV 350; Suite no 2 en ré majeur, HWV 349
Les Violons du Roy : http://www.violonsduroy.com
Leonardo Garcia Alarcón, chef et claveciniste
Joélle Harvey, soprano

Maison symphonique de Montréal,
Place des Arts : http://placedesarts.com
Concert unique le samedi 21 mai 2016.

© photo: courtoisie