« Le royaume des animaux », ou le naufrage de comédiens en détresse

Le royaume des animaux © Yanick MacDonald
Le royaume des animaux © Yanick MacDonald

Grotesque, caustique, outrancière, cruelle, comique – très comique – audacieuse (c’est le moins), et j’en passe…, la pièce de Roland Schimmelpfennig, Le royaume des animaux, mise en scène par Angela Konrad pour démarrer la saison du théâtre de Quat’Sous à Montréal, en fait vraiment voir de toutes les couleurs.

Le royaume des animaux, c’est aussi le titre de la pièce que jouent cinq comédiens un peu désespérés. Ils souffrent non seulement physiquement mais aussi psychiquement. Leurs costumes agressent leurs corps et masquent leurs visages. Même la direction du spectacle qui les emploie ne les reconnaît pas. Que dire des spectateurs devant lesquels ils se produisent ?

Il y a le zèbre et le lion, la genette, l’antilope, le marabout et peut-être d’autres encore. Qui du zèbre pacifique ou du lion agressif va régner sur le monde animal ? Ce duel pour la royauté, qui compose l’intrigue de la pièce que ces malheureux acteurs ont tous de bonnes raisons d’être fatigués d’interpréter, sans qu’ils aient le choix de jouer autre chose, masque des rivalités bien plus cruelles et sauvages entre les humains qui constituent la troupe. Les frustrations qu’éprouvent chacun des acteurs ne les pousse pas à la solidarité ou à des sentiments d’une grande humanité, au contraire. Et que va-t-il advenir quand il faudra jouer une pièce encore moins valorisante s’il en est, et qui s’intitule Le jardin des choses… ?

Plusieurs histoires s’enchâssent les unes dans les autres, sans compter qu’il faut les prendre au second degré pour en rire franchement. Les acteurs qui se côtoient forcément en dehors de leur travail commun ont certains rapports entre eux, pas toujours très brillants. Ils jouent et dansent ensemble pour ce spectacle qui les fait vivre professionnellement, mais qui les frustre et pour de bonnes raisons. Ils rêvent d’une carrière plus digne et valorisante, moins usante, moins humiliante, mais leurs espoirs ne se réalisent pas toujours… Ainsi, dans une mise en abyme vertigineuse, la pièce montre tout des sombres coulisses de ce qui apparait comme des monstres grotesques mais particulièrement drôles.

Le royaume des animaux © Yanick MacDonald
Le royaume des animaux © Yanick MacDonald

On alterne entre les séances d’habillage (dans des costumes improbables) et de maquillage des acteurs en coulisse, et celles de jeux de la pièce, de chorégraphies sur fond de musique wagnérienne ou de chant avec clin d’œil sur Le livre de la jungle façon Walt Disney. Après des années de vie commune, tous ces acteurs ont tissé des liens entre eux et révèlent leurs histoires personnelles pas toujours reluisantes. Ils sont prêts à tout pour défendre leur territoire et la vie humaine du monde du spectacle se révèle parfois bien plus cruelle que cette de la jungle et de ses prédateurs.

Le royaume des animaux est une pièce, incroyablement bien jouée, décoiffante, où l’on rit beaucoup, parfois jaune. Ce n’est pas de l’humour subtil – encore qu’il ne soit pas dénué d’intelligence, loin de là. C’est plutôt du rire mordant, subversif, transgressif ; un rire cruel qui renvoie chacun à ce qu’il est obligé ou prêt à concéder pour pouvoir faire sa place dans la jungle de l’existence.

Le Royaume des animaux, Du 6 septembre au 1er octobre 2016 au théâtre de Quat’Sous à Montréal

Une coproduction du Théâtre de Quat’Sous et de LA FABRIK

Texte Roland Schimmelpfennig
Traduction Angela Konrad et Dominique Quesnel
Mise en scène Angela Konrad
Avec Eric Bernier, Philippe Cousineau, Alain Fournier, Marie-Laurence Moreau, Gaétan Nadeau, Lise Roy

Assistance à la mise en scène William Durbau
Décor Anick La Bissonnière
Costumes Linda Brunelle

Informations : www.quatsous.com/1617/saison/le-royaume-des-animaux.php